arch/ive/ief (2000 - 2005)

Interview de S.I.*, jeune Franco-serbe de Paris
by Frédéric Delorca Wednesday September 13, 2000 at 06:29 PM

Interview de S.I.*, jeune Franco-serbe de Paris SI, vous avez 29 ans, vous militez à l'Alliance Franco-Serbe de Paris. Pouvez-vous nous parler de cette Alliance, de ses activités, comment vous est-venue l'idée de créer ce mouvement ? ........


- SI, vous avez 29 ans, vous militez à l’Alliance Franco-Serbe de Paris. Pouvez-vous nous parler de cette Alliance, de ses activités, comment vous est-venue l’idée de créer ce mouvement ?

- Cet Alliance est née en novembre 1999 à partir d’un constat d’échec : l’incapacité de la diaspora serbe en France et de ses amis français à défendre l’image des Serbes qui étaient très négative dans les médias et de l’impossibilité d’y répondre individuellement. Concrètement c’est suite aux bombardement de l’OTAN, que, en novembre 1999, avec des amis, comme Radenko Jenovacki, nous avons décidé de créer cette association. A ce jour nous avons surtout contribuer à organiser des conférences pour informer les gens sur les enjeux de la guerre de Yougoslavie. Nous avons aussi récolté de l’argent pour les Serbes de Mitrovica et aidé des associations pour l’aide humanitaire.

- C’était votre premier engagement pour défendre l’image des Yougoslaves en Occident ?

- Pas exactement. Mon engagement a débuté en 1992 – j’avais 21 ans – en pleine guerre de Bosnie, quand la campagne antiserbe battait son plein. J’ai rejoint une association qui, si je me souviens bien, s’appelait le Rassemblement pour la Paix. Cette association regroupait près de 200 sympathisants et une vingtaine de membre actifs, des jeunes comme moi, pour la plupart, issus de l’immigration serbe. Nous étions très motivés, et scandalisés par les mensonges qu’on faisait courir sur notre compte. Nous nous réunissions tous les vendredi au Centre culturel yougoslave. On tenait à jour une revue de presse, et l’on préparait des communiqués pour les médias. Mais, au fond, cela tournait un peu en rond, et c’est Bernard-Henri Lévy qui nous a portés le coup de grâce.

- Bernard-Henri Lévy ?

- Il a débarqué au Centre culturel yougoslave avec un mégaphone, proférant des insultes anti-serbes, et accompagné d’une bande de voyous, un après-midi, au printemps 1993. C’était à l’époque où Alain Juppé, nouveau ministre des affaires étrangères, poussait la France à s’aligner sur les positions d’Izetbegovic. La directrice du Centre culturel yougoslave a eu tout juste le temps de fermer à clé le Centre, mais les amis de BHL lui ont volé les clés. Ils ont dérobé divers documents, ils se sont installés au premier étage. Il n’était pas question de compter sur la police pour évincer les squatteurs du Centre culturel. Au contraire, un cordon de CRS s’est déployé pour les protéger. Mon frère et moi, ainsi que d’autres jeunes serbes étions refoulés à l’extérieur de l’immeuble. printemps 1993. Ce manège a duré jusqu’à 19 h 55, juste histoire que Monsieur BHL s’offre une sortie triomphale devant les caméras, pour le journal de 20 h. Cette histoire nous a démotivés, et surtout elle a inquiété l’ambassade de Yougoslavie dont dépendait le Centre culturel. L’ambassade ne nous avait jamais vraiment aidés. Mais le happening de BHL nous a desservi auprès d’elle et notre association a cessé ses activités.

- Après 1993 vous n’avez plus rien fait ?

Non, les Serbes se sont complètement démobilisés. Ceci explique que nous étions si peu préparés à résister à la propagande de guerre de l’OTAN en 1999.

- Avez-vous eu des activités pendant les bombardements de l’OTAN sur la Serbie ?

- Oui , au début j’assistais aux manifestations improvisées contre l’OTAN, place du Trocadero mais elles ont été très rapidement interdite. Certes c’était dû parfois aux manifestants qui débordait le cadre de la manifestation en particulier devant l’ambassade Américaine à Paris, où des heurts avec la police avaient dégénéré. Cependant de tous les pays de l’OTAN, seule la France a interdit les manifestation alors que dans les pays anglo-saxonnes qui étaient plus acharnés dans cette guerre, elles n’ont pas été interdites.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Radenko Jenovacki lors d’une conférence au Centre culturel grec qui soutenait les Serbes. Le projet d’Alliance franco-serbe est né des bombardements.

Franchement nous étions tout le contraire d’activistes professionnels. En juin 1999, nous nous sommes essayés à écrire des graffitis sur un mur vers Bobigny, après avoir participé à une conférence de Michel Collon et des Editions Démocrite. L’un d’entre nous s’est fait piquer par une voiture de policiers en civils alors que les autres étaient censés monter la garde.

- Les Serbes en France sont généralement peu politisés. Aviez-vous des dispositions particulières pour vous engager dans la lutte ? une sensibilité aux enjeux internationaux ?

- Peut-être oui. Mon père était ingénieur, il travaillait dans le bâtiment, dans le contrôle technique, pour une société française. Nous avons donc vécu en Algérie et au Gabon. Très tôt j’ai été sensibilisé aux problèmes de la colonisation ce qui m’a aidé à comprendre, par exemple, que l’Allemagne se comporte à l’égard des Balkans comme la France à l’égard de l’Afrique. En plus, à l’époque, dans les années 1980, je prenais conscience de la popularité des yougoslaves dans les pays du Tiers-Monde- à cause du Mouvement des Non-Alignés. Je vivais à cheval sur plusieurs univers – la Yougoslavie, la France, l’Afrique. Je suppose que tout ceci m’a incité à m’intéresser aux enjeux politques de mon époque.

Pourtant, j’avais tendance à oublier un peu mon identité yougoslave qui appartenait plutôt au passé pour mou. Ce sont les guerres civiles qui m’ont incité à réétudier le serbe, à réflechir sur mes origines, à m’opposer aux diffamations qui couraient en Occident.

- Vous étiez cet été en vacances en Serbie, et même dans la Serbie profonde, ce qui vous a permis d’être parmi les rares occidentaux à pouvoir témoigner de l’évolution de la Serbie rurale sous la pression des forces de l’OTAN. Comment peut-on qualifier la situation des villages où vous étiez ?

- J’étais dans un village au sud de Nis, sur la route de Skopje, non loin de Grdulica où le train a été bombardé par l'OTAN en 1999. Ce qui m’étonne le plus, c’est que les gens oublient très vite les bombardements, on a reconstruit les édifices détruits. Sur le plan économique, la situation n’est pas si désespérée qu’on pourrait le croire. A ma grande surprise, les magasins sont aussi pleins qu’en 1996 (la dernière fois où j’y suis allé) grâce à l’afflux du marché noir. Ca n’a rien à voir avec la grande pénurie de 1993. On trouve à peu près de tout, sauf les médicaments qui font défaut. Le problème c’est que tout est hors de prix pour ceux qui vivent là bas. En fait, la vie rurale est surtout dure parce que les gens doivent se battre pour obtenir les choses à bas prix. Si vous voulez vous procurer du pain à un prix raisonnable dans un village serbe, vous devez vous lever à 5 heures du matin et faire la queue. Si vous allez acheter ton pain plus tard, il sera hors de prix. Dans l'ensemble les gens s’arrangent pour vivre avec peu de choses. Sur le plan administratif en revanche c’est un pays qui vit en Etat de siège. Sur tous les axes routiers la police est présente. On a peur du terrorisme albanais, on arrête les Occidentaux. J’ai été arrêté sur une route pour excès de vitesse après une série de problèmes que j’avais rencontrés avec les autorités militaires. J’étais au volant d’une voiture immatriculée en France. Ca se remarque en Serbie. Mais je n’ai pas eu trop de problèmes. Le policier est allé faire du change chez le coiffeur du coin quand je lui ai dit que je ne pouvais pas payer mon amende en dinars. Le problème c’est que cette mésaventure survenait après une pénible histoire avec l’armée.

- Pouvez-vous nous en dire plus ?

- Etant de nationalité franco-yougoslave, j’avais opté pour faire mon service militaire en France – puis l’armée française m’a exempté pour raison de santé. Le consulat yougoslave à Paris a été informé de cela mais, du temps où celui-ci était tenu par des Croates et des Slovènes, tout cela marchait fort mal et l’information n’a pu parvenir jusqu’à mon bureau de recrutement en Serbie. Lorsque, en 1999, la Serbie a lancé un ordre de mobilisation pour faire face à l’agression de l’OTAN j’ai dû renouveler la démarche. Mais il semble-que celle-ci n’ait pas abouti davantage que la précédente . Si bien que cette année, en juillet, quand j’ai franchi la frontière hongroise en voiture au nord de la Serbie, j’ai été immédiatement arrêté par les douaniers, et menoté par la police, parce que j’étais sur les listes de déserteurs. J’en ai été quitte pour trois jours d’angoisse terrible

- Ce qui vous a permis d’avoir une image de l’appareil militaro-policier yougoslave.

- Oui, si l’on veut. En fait j’ai été traité d’une façon comparable à ce qui se serait passé dans beaucoup d’autres pays, à ceci près que les pesanteurs bureaucratiques me plaçaient dans l’impossibilité de démontrer que j’étais bel et bien en règle avec l’armée. Peu après avoir été arrêté par la police, j’ai été embarqué, cette fois sans menottes, par la police militaire yougoslave, dans une vieille voiture Zastava au parebrise branlant, pour me retrouver à la caserne de Subotica. J’ai pu discuter avec des appelés là, l’ambiance n’était pas à proprement parler désagréable. Mais les autorités ne voulaient rien savoir quant aux histoires de papiers. Je ne pourrais me justifier que devant le procureur militaire de ma zone de recrutement à Nis dans le sud du pays.

J’ai passé la nuit dans une cellule de la caserne, sans aucune notion du temps, et dans l’angoisse de finir dans un prison pour désertion. J’étais toujours encadré par deux appelés serbes. Le matin j’ai pu déjeûner avec les militaires.J’étais le seul homme en tenue civile au milieu d’une forêt d’uniformes kakis. On nous a servi un petit bout d’omelette et du lait chaud.

Finalement j’ai été transféré à Nis. Là ce fut un véritable parcours du combattant pour retrouver les bureaux de l’administration militaire qui avaient déménagé à cause des bombardements et dont personne ne voulait me donner l’adresse car c’était un secret militaire. Finalement j’ai pu démêler l’embroglio bureaucratique grâce à l’intervention de ma mère auprès d’une amie yougoslave qui s’était occupée de mon dossier à l’ambassade de Yougoslavie en France et qui désormais travaillait au Ministère des Affaires Etrangères à Belgrade. Cela a permit de débloquer plus rapidement la situation. On m’a fait signer un papier certifiant que je n’avais pas été maltraité et j’ai quand même pu commencer à profiter de mes vacances.

Cette expérience (et pas seulement ça) laisse tout de même l’impression d’une reprise en main de la Serbie. Les bombardements auront servi à ça. De 93 à 99 tout allait à la dérive et les administrations n’appliquaient même plus les règlements. Maintenant il y a des contre-temps et des erreurs, mais les fonctionnaires font plus attention à ne pas délivrer n’importe quel papier à n’importe qui. A certains égards c’est plutôt un point poisitif.

Un exemple : pour obtenir le passeport, les démarches sont devenues un véritable parcours du combattant.Il faut justifier à l’aide d’un certicat de nationalité de l’appartenance yougoslave, être en règle avec les papiers militaires, un extrait d’acte de naissance et surtout un numéro d’immatriculation, comparable à la sécurité sociale, qui s’obtient par le biais de la carte d’identité délivré pour ceux qui vivent en Serbie. Sans ce numéro, on a toutes les difficultés du monde pour résoudre des problèmes administratif : même pour ouvrir un compte en banque ou retirer de l’argent, on me le demande. Pour les Serbes qui vivent depuis longtemps à l’étranger, c’est un vrai casse-tête.

A la frontière, lorsque j’étais arrété, j’ai appris qu’ils arrêtaient en moyenne 2 à 3 jeunes par jour. C’étaient en général des Serbes comme moi de la seconde génération qui vivaient en Europe. Ainsi dans la cellule où j’étais ,certains avaient laissé leur nom inscrit sur le mur avec le nom de la ville ou du pays d’où ils habitaient habituellement.

Cette reprise en main du pays est peut-être une réaction face au laxisme des autorités antérieures. Dans les années 1980, du temps de l’autonomie du Kosovo, le président albanophone de la province ne parlait même pas la langue officielle de son pays (le serbo-croate). Ses discours à la télévision étaient sous-titrés. Il n’avait même pas la nationalité yougoslave ! De très nombreux Albanais d’albanie comme lui s’installaient au Kosovo et accédaient à des postes de responsabilité sans avoir aucun papier yougoslave !

Assurément une reprise en main s’imposait.

Elle se développe aussi sur d’autres plan. Ainsi par exemple pour les factures d’électricité.

Suite à la crise économique et aux différents embargos, la compagnie nationale d’électricité était devenue fort laxiste sur le paiement des factures. De sorte que parfois certains, surtout dans les campagnes, ne payaient plus leurs factures depuis des années .Cette année tout cela change : on n’a pas hésité à couper l’électricité aux mauvais payeurs. Beaucoup de retraités à la campagne ont eu bien du mal à faire rétablir le courant car il fallait payer les arriéres plus les intérêts de retard. Ce qui pouvait représenter parfois 10 000 dinars ou même 25 000 dinars alors que la retraite était 300 dinars. Même moi qui n’avais pas payé depuis 2 ans , je me suis retrouvé avec une facture de 9000 dinars (environs 1000 Francs) alors que mon frére avait consommé seulement une semaine l’électricité durant toute cette période.

- Quelle est le climat politique dans le su d de la Serbie ?

- Les campagnes sont très fidèles à Milosevic. Milosevic offre une image rassurante d’un homme qui n’a pas changé de convictions au cours des dix dernières années, à la différence des dirigeants de l’opposition considérés comme des lunatiques (en outre l’opposition dirige la ville de Nis où elle fait régner la corruption comme à Belgrade). Les paysans aiment cette stabilité.

- Pourtant les paysans sont des petits propriétaires privés. Ils se sentent proches malgré tout des communistes ?

- Le rapport au communisme en Yougoslavie n’est pas le même que dans les autres pays d’Europe de l’Est. Dans la plupart des autres pays, le parti communiste s’est installé au pouvoir dans les fourgons de l’occupant russe. En Yougoslavie, il a contribué à la lutte anti-nazie sans aucune aide extérieure, et il est arrivé au pouvoir avec un fort soutien populaire. D’une certaine façon il poursuit la tradition de résistance populaire serbe, et s’intègre parfaitement à l’histoire nationale. En outre, il n’a pas brimé le droit de propriété des paysans, puisque Tito à fini par renoncer au modèle soviétique d’agriculture collectiviste. Il n’a jamais non plus empêché aux gens de voyager à l’étranger, à l’inverse des autres systèmes communistes. C’était un communisme ouvert, ouvert sur le monde, et pour cette raison il n’a pas suscité de grands réflexes hostiles dans la population.

Dans les campagnes, l’adhésion à Milosevic s’explique en partie par le fait que l’on ne diffuse que les programmes de télévision du Parti socialiste et du Parti Radical de Seselj, qui s’entendent comme larrons en foire. On ne connaît même pas le nom des candidats de l’opposition. Mais l’adhésion à Milosevic n’est pas due qu’à cela . Les gens sont attachés au système social que Milosevic défend, à un certain sens de la solidarité. Même à Belgrade, j’ai parlé avec ma tante qui bien qu’elle travaille à la municipalité (de droite) de Belgrade reste une fervente socialiste. Elle écoute la BBC etc, sa fille de treize ans est très « pro-occidentale » et favorable à l’opposition. Pourtant elle soutient toujours Milosevic, et d’une façon très raisonnée, en connaissant parfaitement ce que les Occidentaux disent. Ce n’est pas une adhésion par bourrage de crâne et il n’y a aucun aveuglement là-dedans.

- Sa fille en revanche est « pro-occidentale »?

- Oui. Elle croit par exemple, qu’il aurait fallu se rendre aux Américains en 1999 et que comme ça ils auraient une meilleur vie. Hélas elle ne comprend, par manque de culture politique, que la Serbie, si elle se couche devant l’OTAN, a plus de chance de devenir comme la Russie ou des pays d’Amérique Latine encore plus pauvre qu’actuellement, et que seule une frange de la population aura toute les richesses du pays. Ce qui commence d’une certaine façon à se réaliser dans les principales villes de Serbie : j’ai vu de luxueuses voitures comem celles qu’on croise sur les Champs Elysées à Paris. Les adolescents des grandes villes sont très semblables à ma jeune cousine. Ils veulent jouir des avantages de la société occidentale – les produits culturels américains, les voyages – et ils ont l’impression que l’état de pauvreté qui les empêche d’en jouir comme ils le voudraient est uniquement dû à l’existence de Milosevic et à l’isolement de la Serbie. Ca explique qu’ils s’engagent souvent dans les rangs d’Otpor.

- Croyez-vous que Milosevic soit un communiste « ancienne manière » comme on le soutient parfois dans la presse occidentale ?

- Certainement pas. C’est le Gorbatchev serbe : un communiste qui a eu conscience de la nécessité d’ouvrir le pays à l’économie de marché tout en cherchant à conserver les acquis sociaux. Mais c’était un Gorbatchev plus « patriote », de sorte qu’il n’était pas prêt à tout céder aux Etats-Unis, et les problèmes sont venus de là.

- Son épouse serait plus fidèle à l’ancienne conception du communisme.

- Oui, c’est une femme qui vit dans le passé. Elle a un discours généreux sur une Yougoslavie égalitaire et multiethnique, mais elle est déphasée. Je ne suis pas du tout d’accord avec les Belgradois que vous citez dans vos textes et qui qualifient Mme Markovic de « folle » et la JUL de « syndicat du crime ». Les choses ne sont pas ainsi. La femme de Milosevic est une femme du passé. Milosevic lui, est un homme plus avisé, mais sur tous les plans, il est pris entre deux feux. En Occident il passe pour « trop communiste », en Serbie pour « trop libéral ». En Occident, il passe pour un nationaliste, en Serbie pour un homme trop peu nationaliste, attaché au multiethnisme titiste, et qui aurait sacrifié les intérêts nationaux des Serbes en lâchant la Bosnie et la Krajina.

- Et le parti radical de Seselj ? sont-ils comparables à Le Pen ou pires ?

- Personnellement j’ai beaucoup d’admiration pour Seselj qui est un aristocrate balkanique ancienne manière, très entier dans ses convictions et très sincère. Il veut vraiment défendre les intérêts des Serbes qui ont été longtemps négligés.

- Mais ce n’est pas un démocrate …

- Il a certes un style abrupt. Il est capable de sortir un couteau de sa botte dans une émission de télévision. Mais c’est plus un problème de style que de fond.

- N’empêche que son parti a soutenu une loi « anti-terroriste » en juillet qui a failli ruiner ce qui restait de liberté d’expression en Serbie.

- Cette loi était tournée contre les responsables d’attentats et de meurtres survenus en nombre depuis janvier 2000. On peut tout-à-fait le comprendre.

- En fait elle visait essentiellement tournée Otpor. Or on ne peut pourtant pas qualifier les adolescents qui scandaient à Belgrade les slogans d’Otpor de « terroristes »…

- J’ignorais que cette loi avait Otpor pour cible.

- Seselj s’il était au pouvoir n’imposerait-il pas un politique raciste et discriminatoire, fondée sur une conception ethnique de l’identité serbe comme Le Pen prétend le faire avec l’identité française ?

- Non je ne crois pas.

- N’y aurait-il pas un risque pour qu’il conduise une politique hostile aux tziganes par exemple ?

- Non. Seselj a une logique de réponse à l’agression c’est tout. Il dit tout haut que les Serbes de Krajina ont le droit de retrouver leurs terres là-bas et il reproche à Milosevic de négliger cela au nom d’une conception étriquée de la petit Serbie créée par Tito. Il a demandé qu’on impose un statut discriminatoire aux Croates de Serbie, en représailles du statut des Serbes en Croatie, mais c’est toujours dans une logique défensive. L’action de son parti est très positive, notamment dans la gestion de sa commune de Zemun dont il parle dans ses spots publicitaires.

- Aux prochaines élections vous allez donc voter pour lui ?

- Les 4 millions de Serbes de la diaspora n’ont pas le droit de voter en Serbie même s’ils ont le passeport yougoslave, parce qu’ils n’ont pas la carte d’identité serbe – méfiance traditionnelle des communistes serbes à l’encontre de leurs émigrés. En outre, il ne se présente pas à titre personnel aux élections présidentielles. Si je pouvais votee, je voterais Kostunica : il présente une bonne solution de rechange par rapport à Milosevic. Il n’est pas bon de garder le même dirigeant pendant plus de dix ans. Kustunica peut à la fois défendre les intérêts de la Serbie, et négocier intelligemment avec les Américains pour qu’elle sorte de l’asphyxie.

- Dans un article à publier prochainement dans « Solidaire », Michel Collon estime que le discours anti-américain de Kostunica est un pur artifice et que, si celui-ci est élu, il sera le cheval de Troie de l’OTAN en serbie.

- Je n’en suis pas sûr. Kustunica est obligé de compter avec les gens qui auront voté pour lui et qui, dans l’ensemble, ne sont pas prêts à capituler devant toutes les exigences de l’OTAN. S’il sacrifie trop les intérêts des Serbes, il n’est pas exclu par exemple que l’armée fasse un coup d’Etat. Ce qui est sûr c’est que la Serbie a besoin d’un changement. Voyez la situation économique : toute la reconstruction a été financée par du prêt interbancaire qui fonctionne en vase clos. Cette économie de surendettement est vouée à la faillite. Tôt ou tard il faudra des capitaux extérieurs.

- Si Kostunica gagne, Slobodan Milosevic acceptera-t-il le résultat des urnes, sachant que, par ailleurs, il est poursuivi par le TPIY ?

- C’est toute la question de ce scrutin. Milosevic n’est pas du genre à accepter de se réfugier en Chine. Il préfèrera mourir sur le sol serbe. Par contre je ne vois pas quel tribunal serbe accepterait de livrer Milosevic aux Occidentaux. Là encore l’esprit de résistance des Serbes restera vivace. Cela dit, Milosevic sera, moins que maintenant, à l’abri des tentatives d’enlèvement. Comme toujours tous les scénarios sont possibles, y compris que Milosevic tente de réoccuper militairement le Kosovo pour mobiliser les ardeurs patriotiques autour de lui (ce qui pourrait provoquer de nouveaux bombardements de l’OTAN en représailles, voire un scénario de pourrissement de crise à l’irakienne, mais franchement je n’y crois pas trop : les Balkans ne sont pas le Moyen-Orient). Le pire n’est jamais certain.

Propos recueillis par Frédéric Delorca, le 9 septembre 2000