LA DUPERIE DE LA BAISSE DES IMPOTS by Par Jacques Nikonoff Monday September 11, 2000 at 11:49 AM |
Laurent Fabius aime à répéter que « ce n'est pas la droite qui risque de battre la gauche aux prochaines élections, mais que ce sont les impôts. » D'où son plan de baisse : ....
LA DUPERIE DE LA BAISSE DES IMPOTS
Par Jacques Nikonoff*
Laurent Fabius aime à répéter que « ce n’est pas la droite qui risque de battre la gauche aux prochaines élections, mais que ce sont les impôts. » D’où son plan de baisse : 120 milliards de francs en trois ans. Le mobile de cette décision n’est donc pas l’efficacité économique ni la justice sociale, c’est le calcul électoral. Il semble d’ailleurs, pour l’instant, que les sondages donnent raison à Laurent Fabius puisque près de 90 % de nos compatriotes approuvent ces mesures. Toutefois, 73 % des sondés estiment que ces baisses d’impôts ont été décidées « parce que les élections approchent. » Ils ont donc une attitude pragmatique : ils prennent ce qui est à prendre, sans se faire la moindre illusion sur les raisons, les ambitions et les effets de ces baisses d’impôts.
Les sondés étant aussi, accessoirement, des électeurs, accepteront-ils cependant de vendre leurs voix comme il leur est demandé ? Rien n’est moins sûr. Car le gouvernement de gauche, en baissant sans compensation les impôts, vient de s’engager à grande échelle dans la mise en oeuvre de l’un des principaux canons de l’orthodoxie libérale. Le moment venu, les électeurs pourront parfaitement préférer l’original à la copie. Observant que la gauche ne propose aucune alternative dans le domaine économique et social et qu’elle applique les dogmes libéraux, ces électeurs seraient fondés à voter à droite puisque c’est une politique de droite qui se trouve adoubée. Le gain électoral n’est donc pas certain pour la gauche – ni même pour Laurent Fabius - et l’on pourrait même assister à un remake de L’arroseur arrosé. Les classes moyennes et une partie des ménages modestes, « bénéficiaires » à court terme de cette démagogie fiscale, attendent en réalité tout autre chose. Elles attendent une perspective renouvelée de leur position sociale, perspective qui continue à faire défaut. La baisse illusoire de leurs impôts n’y changera rien.
Car le projet Fabius est une duperie.
Il est une duperie puisque ce qui est accordé d’une main, sera repris de l’autre. En effet, cette baisse des impôts se traduit par une baisse de la dépense publique relativement au PIB. Qu’est-ce que l’impôt ? Ce sont les recettes de l’État et des collectivités locales. A quoi servent ces recettes ? A payer les dépenses d’intérêt général et de solidarité. Celles-ci concernent l’éducation, la police, la défense nationale, la santé, la culture, les minima sociaux pour les handicapés, les jeunes, les personnes âgées, les chômeurs... Baisser les impôts sans compensation revient donc à baisser la dépense publique et à réduire d’autant les investissements d’intérêt général et de solidarité. Mais comme ceux qui payent les impôts bénéficient également, en contrepartie, de ces dépenses d’intérêt général et de solidarité, ils verront certes baisser les premiers mais aussi les secondes : la contrepartie de services publics et de solidarité s’en trouvera nécessairement altérée par des services publics anémiés, des salaires bloqués et des minima sociaux verrouillés.
Cette baisse des impôts est également une duperie car elle ne va pas à ceux qui souffrent le plus. Certes, la baisse de la CSG et de la CRDS permettra une augmentation du pouvoir d’achat pour les bas salaires, rapidement annulée par la baisse de la dépense publique. Mais la baisse des taux ne concernera que la moitié de la population qui paye l’impôt sur le revenu. Quant à la suppression de la vignette, elle ne sera significative que pour ceux qui possèdent un gros véhicule tout comme la baisse du fioul domestique ne touchera que les propriétaires de leur habitation qui utilisent cette énergie. Pour les millions de chômeurs, de précaires et de pauvres : rien.
Le plan Fabius est enfin une duperie car il aggrave les inégalités. Il punit deux fois les plus pauvres : une première fois en les écartant de la baisse des impôts ; une deuxième fois en réduisant les dépenses sociales qui leur seront attribuées. Et il récompense deux fois les riches : une première fois en abaissant notamment la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu ; une seconde fois en favorisant l’investissement de cet argent rendu disponible dans les plans d’épargne salariale en franchise d’impôt…
Alors faut-il pour autant ne jamais baisser les impôts et protester quand ils montent mais aussi quand ils baissent ? La baisse des impôts peut constituer une excellente politique à quatre conditions : 1) elle ne doit pas se traduire par une baisse relative de la dépense publique ; 2) elle doit s’accompagner d’une compensation : les baisses pour certains sont compensées par des hausses pour d’autres, en particulier les revenus et flux du capital ; 3) elle doit permettre une véritable réforme fiscale ; 4) elle doit susciter une réflexion sur l’efficacité de la dépense publique. Aucune de ces conditions n’est réunie par le plan Fabius.
Ce qui est en jeu, avec ce « pacte fiscal », c’est en réalité la conception de la solidarité et le degré de tolérance de la gauche et de la société dans son ensemble face aux inégalités, à la pauvreté et au chômage.
L’idéologie de la baisse des impôts conduit à renforcer l’individualisme et l’égoïsme et à affaiblir la solidarité. Il est dangereux de donner une impression négative de l’impôt car le prélèvement fiscal permet le financement des dépenses publiques qui, dans leur nature, constituent des dépenses d’intérêt général et de solidarité. Baisser les impôts sans compensation, c’est assassiner la solidarité. Les impôts représentent la participation aux charges de l’État dont chaque citoyen doit prendre sa part. Le révolutionnaire Barrère estimait même que « la liberté du peuple est toute dans l’impôt ». Quant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle proclame qu’une « contribution commune est indispensable ; elle doit être répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés ». Telle est la bonne politique que la gauche devrait mener.
Si, dans notre pays, le plein-emploi était vraiment une réalité ; si les hôpitaux disposaient de personnels, d’espaces et de matériels suffisants ; si les établissements scolaires étaient des havres de sérénité et de culture ; si les banlieues étaient des endroits recherchés pour la qualité de la vie ; si les transports en communs étaient spacieux ; si personne ne souffrait de la faim sur la planète. Si… Si tout cela existait, alors oui, il conviendrait de se demander comment encore améliorer le bien-être général, éventuellement par la baisse des impôts. Mais tant que cet optimum social n’existe pas, la baisse des impôts sans compensation est une politique atroce. C’est une politique pour les riches et contre les pauvres. Comment la gauche pourrait-elle soutenir de telles orientations ?
Tant qu’il existera un seul chômeur, un seul pauvre, une seule injustice dans notre pays ou ailleurs, aucune baisse d’impôt non compensée n’est acceptable. Ce serait l’honneur de la gauche d’affirmer avec force ces vérités élémentaires. Toutes les ressources fiscales disponibles – « cagnottes » ou autres - doivent être utilisées pour la réduction des inégalités. Ces 120 milliards de francs représentaient, pour ne donner qu’un exemple, l’équivalent du financement d’un million d’emplois par an…
Jacques Nikonoff est professeur associé en économie à l’université Paris VIII. Il est membre du Collège exécutif du PCF.