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Un an après Cologne, le point sur les allègements
by Par Arnaud Zacharie Saturday September 02, 2000 at 02:08 PM

Le 19 juin 1999, suite au dépôt de 17 millions de signatures demandant l'annulation de la dette de 50 pays par la coalition Jubilé 2000, le G7 de Cologne s'était engagé à annuler 90% de la dette des 41 pays de la liste PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). En septembre de la même année, plusieurs pays du Nord (dont la Belgique) prenaient le relais de ces engagements. La presse internationale avait largement fait l'écho de cette générosité. ....

Un an après Cologne, le point sur les allègements

Par Arnaud Zacharie

 

Le 19 juin 1999, suite au dépôt de 17 millions de signatures demandant l'annulation de la dette de 50 pays par la coalition Jubilé 2000, le G7 de Cologne s'était engagé à annuler 90% de la dette des 41 pays de la liste PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). En septembre de la même année, plusieurs pays du Nord (dont la Belgique) prenaient le relais de ces engagements. La presse internationale avait largement fait l'écho de cette générosité. C'en était fini du fardeau de la dette pour les pays pauvres très endettés. Lors du sommet euro-africain d'avril 2000, cette affirmation était renforcée : on parlait alors de 100% d'annulation pour les pays africains. Qu'en est-il un an après Cologne ?

Les conditions

On connaît les clauses de l'initiative PPTE : elles ne visent qu'à rendre soutenable le fardeau de la dette de ces pays et se basent sur la logique ayant mené à leur endettement et à leur appauvrissement. Les conditions d'éligibilité à l'initiative imposent en effet trois ans minimum d'ajustement structurel, ce qui sous-entend une hausse de la fiscalité indirecte (ce qui touche les plus pauvres), une austérité budgétaire (ce qui limite les budgets d'éducation et de santé à leur plus simple expression), des privatisations massives (ce qui engendre des licenciements massifs) et une politique économique tournée vers le 'tout à l'exportation' (ce qui marginalise l'économie locale et rend les pays dépendants de fluctuations extérieures). A l'arrivée, les prix des matières premières continuent de baisser, les rentrées de l'Etat s'amenuisent et l'endettement continue de croître, tandis que les populations sont maintenues dans une pauvreté extrême.

A ces conditions économiques sont liées des conditions politiques : les gouvernements doivent pour être élus être 'politiquement corrects' aux yeux des créditeurs et présenter un 'Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté' (CSLP) rédigé avec la société civile.

Les résultats

Un an après Cologne, on ne peut que constater la faiblesse des résultats obtenus. Seuls cinq pays ont été élus pour un allègement (il s'agit de la Bolivie - réduction de 27% du service de la dette -, de l’Ouganda - 62% -, de la Mauritanie - 31% -, de la Tanzanie - 7% - et du Mozambique - 60% -) et on est loin des 90% annoncés avec grand fracas : ce sont en moyenne moins de 40% de la dette de ces cinq pays qui sont concernés - soit moins de 6% de la dette totale des HIPC. Or, si on prend notamment en compte le fait que les prix des matières premières exportées ne cessent de chuter, on peut craindre que l’allègement accordé ne réduira qu'à court terme et de manière marginale la somme à rembourser par la plupart des pays concernés. En effet, si les conditions offertes à l'Ouganda semblent relativement intéressantes (bien qu'encore loin des 90% annoncés), à l'opposé, le cas de la Tanzanie se révèle nettement moins enviable, puisqu'il se voit gratifier après quatre ans d'ajustement d'un allègement ridicule de 7% de son service annuel de la dette (passant de 162 à 150 millions de dollars). A l'arrivée, la Tanzanie devra encore dépenser près de deux fois plus pour sa dette que pour son budget de santé (qui s'élève à 87 millions de dollars). Il suffira donc qu'une chute des cours du riz survienne pour que le fardeau de sa dette redevienne insoutenable !

 

 

Le point en dollar sur les allègements un an après l'annonce du G7 à Cologne ( 19 juin 2000)

Pays

Dette en 1998

Allègement nominal accordé

Service de la dette avant allègement

Service de la dette après allègement

Réduc. du service de la dette

Budget de santé

Ouganda

3,935 milliards

1,950 milliards

155 millions

50 millions

67%

126 millions

Bolivie

6,078 milliards

2,060 milliards

329 millions

240 millions

27%

325 millions

Mauritanie

2,589 milliards

1,200 milliards

116 millions

80 millions

31%

17 millions

Mozambique

8,208 milliards

4,300 milliards

112 millions

45 millions

60%

57 millions

Tanzanie

7,603 milliards

3,000 milliards

162 millions

150 millions

7%

87 millions

Total

30,411 milliards

12,510 milliards

874 millions

565 millions

35%

612 millions

Source : Banque mondiale et Jubilé 2000

 

Une nouvelle série d'élus avant Okinawa

Avant le sommet du G7 d'Okinawa, quatre nouveaux pays ont été élu pour un allégement : il s'agit du Sénégal, du Honduras, du Burkina Faso et du Bénin.

Le 23 juin 2000, le Sénégal est élu pour un allègement nominal de 450 millions de dollars (en valeur nette actualisée), sous condition de rendre un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) qui implique de nouvelles réformes structurelles. Le CSLP doit être terminé avant fin 2000. Il est censé faire avaliser par la "société civile" (terme devenu malheureusement chewing-gum) des mesures telles que la privatisation des structures économiques du pays (soit les 40% restants, vu que 60% de ces structures ont déjà été vendues aux investisseurs privés) ou le passage à une TVA unique de 18%. Le gouvernement fraîchement élu de Wade a reçu comme encouragement du FMI un crédit supplémentaire de 19 millions de dollars, ce qui porte à 142 millions le montant du crédit étalé sur trois ans et décidé en 1998. Le thème de campagne de Wade ("sopi", c'est-à-dire "changement" en wolof) risque de se muer en "changement dans la continuité" au vu des réformes annoncées. Le Sénégal consacre 40% de son budget au remboursement de sa dette, alors que 66,4% de sa population est analphabète et que son budget d'éducation plafonne à 3,5% du PIB. L'allègement annoncé, s'il a effectivement lieu, ne modifiera que marginalement cette situation. Le Sénégal a été habitué à recevoir des allègements minimes au cours des années 90. Pourtant, en atteignant 323 millions de dollars, le service de la dette sénégalaise a augmenté de 31% par rapport à 1997 et atteint la valeur la plus élevée depuis 1990. Nouvelle preuve que la logique d'ajustement du FMI aboutit en définitive à aggraver le problème de la dette et de la pauvreté (54% des Sénégalais vivent avec moins d'un dollar quotidien).

A la mi-juillet, trois nouveaux pays ont été élus dans le cadre de l'initiative HIPC : le Burkina Faso (229 millions de dollars en valeur nette actualisée), le Honduras (556 millions) et le Bénin (265 millions). Cela porte à neuf le nombre de pays élus pour un allègement. Mais on est toujours très loin des 90% annoncés. Ce qui a été budgété jusqu'à présent (soit quelque 15 milliards en valeur nominale) concerne 33% de la dette des neufs pays élus (40% du service de la dette selon les évaluations les plus optimistes de la Banque mondiale), soit moins de 7% de la dette des 41 pays les plus pauvres et 0,7% de la dette du Tiers Monde. Et il est important d'avoir à l'esprit que ces chiffres sont proviennent de la Banque mondiale et représentent donc les estimations les plus optimistes.

 

 

Seconde vague d'allègements depuis juin 2000

Pays

Dette en 1998

Allègement accordé (NPV)

Service de la dette avant allègement

Service de la dette après allègement

Réduction du service de la dette

Budget de la santé

Sénégal

3,861 milliards

452 millions

275 millions

174 millions

37%

122 millions

Burkina Faso

1,399 milliards

398 millions

49 millions

35 millions

29%

31 millions

Honduras

5,002 milliards

556 millions

486 millions

215 millions

56%

145 millions

Bénin

1,647 milliards

265millions

51 millions

44 millions

14%

37 millions

Total

11,908 milliards

1,671 milliards

861 millions

468 millions

46%

335 millions

Source : Jubilee 2000 UK et Banque mondiale

Annuler veut dire payer

Il est important de souligner que ces allègements ont été budgétés, mais toujours quasi pas affectés. Au forum social de Genève, le représentant ougandais expliquait ainsi que toute affectation à son pays était suspendue suite à l'implication ougandaise dans le conflit des Grands Lacs, rappelant que pourtant, ce sont quelques élites ougandaises et pas les pauvres qui étaient responsables de cette situation. Dans un cadre plus global, le responsable de l'initiative PPTE à la Banque mondiale, Axel van Trotsenburg, a bien dû admettre à Genève que les pays riches n'étaient guère pressés de verser les sommes promises…

Mais au fait, pourquoi ces allègements supposent-t-ils un débours de la part des créditeurs ? Pourquoi ne suffit-il pas de stopper les remboursements des pays endettés ? N'est-il pas étrange de présenter comme obstacle à une annulation de dette le fait que les pays créditeurs ne veulent pas verser d'argent ?

Non. En tout cas, pas dans la logique des institutions financières internationales. Pourquoi ? Parce que sur les marchés internationaux, les agents économiques sont cotés de AAA à D, suivant la confiance qu'on peut leur octroyer en matière de respect de leurs engagements financiers. Ainsi, plus un agent économique est riche, plus il est "sûr" et mieux il est coté. Cela signifie qu'il a accès aux marchés à des taux avantageux (la prime de risque est quasi nulle). C'est évidemment le cas des pays riches, au contraire des pays pauvres et endettés (les pays riches ont donc moins d'intérêts à rembourser pour leurs emprunts que les pays pauvres). C'est aussi le cas de la Banque mondiale, qui fait partie des meilleurs élèves de la classe des marchés internationaux, puisqu'elle peut se targuer de la cote maximale (AAA). Suivant cette logique, renoncer à une créance équivaut à remettre en question cette sacro-sainte cotation. Et se voir rétrograder signifie dans la logique de la Banque avoir moins de marges de manœuvre pour combattre la pauvreté. C'est pourquoi à chaque allègement accordé par le FMI et la Banque mondiale doit correspondre un dédommagement équivalent. Pour ce faire, les institutions multilatérales puisent dans un Trust Fund (fonds fiduciaire) alimenté par les Etats membres (y compris des pays très pauvres).

Cas par cas

On connaît la logique des créditeurs en matière d'allègement de dette : les pays endettés doivent se présenter individuellement et c'est au cas par cas que les allègements sont accordés. Retournons cette logique envers les pays créditeurs et analysons au cas par cas ce qui a été affecté par les pays riches, qui tous avaient annoncés leur détermination à en finir avec cette dette odieuse qui paralyse les pays pauvres.

Au total, à peine 2,5 milliards de dollars ont été versés jusqu'ici (soit un peu plus de 1% de la dette des PPTE et de 0,1% de la dette du Tiers Monde), ceci alors que le G7 de Cologne annonçait un débours de quelque 100 milliards. En ce qui concerne la dette multilatérale, seule la Banque mondiale a annoncé vouloir effacer 1,8 milliards de dette. Le FMI n'en a quant à lui apparemment pas l'intention…

La dette des PPTE s'élève toujours à quelque 200 milliards de dollars. Elle continue de ronger les budgets des pays pauvres de manière insoutenable. L'Afrique continue par exemple de rembourser 15 milliards de dollars par an (soit 292 millions par semaine). Même les rares pays élus restent avec un réel fardeau sur les bras : le Mozambique va devoir rembourser 45 millions de dollars par an, pour 57 millions affectés à la santé; la Tanzanie continuera de rembourser 150 millions en service de la dette, pour 154 millions destinés à l'éducation; la Mauritanie reste condamnée à rembourser 80 millions pour sa dette, alors qu'elle ne dépense que 68 millions pour ses budgets d'éducation et de santé réunis.

La dette empêche tout espoir de développement dans le Tiers Monde. Son annulation ne serait qu'un pas, insuffisant mais nécessaire, vers un modèle de développement endogène capable d'éradiquer la pauvreté dans le Sud. Pourtant, à l'analyse, les annonces spectaculaires du G7 à Cologne se résument à des résultats dramatiquement timides. Si certaines vieilles créances que l'on sait impayables depuis des années vont sans doute être effacées, la logique néo-coloniale de dépendance maintenue par le biais de la dette semble loin d'être abandonnée…