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Les 58 nouvelles victimes de l'Europe forteresse
by Gargamel Tuesday June 27, 2000 at 06:31 PM
fredolev@hotmail.com

Les Etats européens sont responsables politiquement de la mort des 58 Chinois retrouvés dans un camion-frigo à Douvres.

58 étrangers, immigrés, clandestins, illégaux, fraudeurs, indésirables, déboutés, éloignables, expulsables,… 58 cadavres retrouvés dans un camion-frigo néerlandais dans le port de Douvres.

Un banal fait divers ? Les conséquences extrêmes du développement de la traite des êtres humains au niveau mondial ? Le résultat d’une politique et de lois intolérables ?

On a pris l’habitude d’observer furtivement dans la boîte cathodique ou d’apprendre dans les brèves de la presse écrite la découverte de petits et plus grands contingents d’immigrés tentant de traverser la Manche ou la Mer du Nord afin de rejoindre les îles britanniques. L’année dernière, les Kosovars étaient les meilleurs consommateurs des services proposés par les mafias pour se rendre au pays de sa gracieuse majesté ; cette année, la tendance semble être plus aux Chinois, Ukrainiens, Slovaques (Roms), Pakistanais,… Ca aussi, c’est la nouvelle économie ! Mais ce n’est pas virtuel. Les marchandises sont des êtres humains.

Il est un fait évident : les contrôles dans l’espace Schengen sont intensifs, les polices collaborent et se dotent de matériel hautement technologique pour débusquer le « clandestin ». Souvenez-vous de la démonstration du ministre de l’intérieur et de sa flicaille aux frontières lors de l’opération de régularisation. Les frontières semblent bel et bien cadenassées à toutes une série de catégories d’étrangers (ceux porteurs de « toute la misère du monde » et du « sous-développement »). Par le déploiement d’imposants moyens policiers, le gouvernement belge sécurise la population. il veut montrer qu’il gouverne et qu’il protège le citoyen en empêchant les « hordes de barbares » d’envahir le territoire national et de nous priver du fruit de tant d’années de cotisations. Ce semblant de maîtrise de la situation, le gouvernement ne l’a pas, si l’on se réfère à la philosophie de sa politique en matière d’asile et d’immigration. Une telle politique est une aberration et ne prend nullement en compte la complexité des migrations internationales et que, derrière les termes de stocks et de fluxs, il y a des gens.
En fait, l’Etat n’a pas de politique, il réprime. Notre cher Etat de droit se comporte avec les étrangers non-européens (mais aussi avec certains de ses nationaux) comme un Etat policier. Le marché est roi, l’Etat assure l’ordre. Bienvenue dans le monde merveilleux du néolibéralisme.

Les mafias, les trafiquants d’êtres humains, les organisations criminelles de toutes sortes prolifèrent. Plus les législations se complexifient et deviennent tracassières, plus elles font le bonheur des trafiquants qui organisent la surenchère en se saisissant de ces mêmes réglementations pour faire monter les prix des faux papiers et les salaires des passeurs, pour rentabiliser les trafics des mains d’œuvres en les reliant au commerce de la drogue, des armes ou à la prostitution. Le nombre de femmes venues des pays de l’est pour travailler et qui sont devenues prisonnières des réseaux de prostitution en Europe occidentale est estimé à un demi million par le Bureau international du Travail et Interpol. L’idéologie du contrôle devenue explicitement celle de la sécurité prédomine. La préoccupation de l’immigration clandestine est le thème récurrent de l’exposé des motifs. Mais le tout-contrôle, les politiques répressives sont non seulement dangereuses pour les libertés mais en plus totalement contre-productives au regard de leurs objectifs.

Avant la crise économique et la fermeture des frontières en 1973-4 aux travailleurs immigrés, c’étaient les pouvoirs publics (sous l’influence des entreprises qui envoyaient leurs agents sélectionner les travailleurs les plus dignes à fouler nos contrées) qui étaient en fait les seuls trafiquants de main-d’œuvre autorisée. Les immigrés qui arrivaient illégalement sur le territoire avaient généralement beaucoup moins de mal à se faire régulariser. Il suffisait souvent d’un contrat d’embauche et il s’agissait, pour l’essentiel, d’une immigration masculine de jeunes célibataires. Ce que les gouvernants n’avaient pas prévu, c’est qu’une bonne part de ces immigrés allaient vouloir rester, faire venir leur famille et créer de fait un relatif effet d’appel pour leurs compatriotes (les réseaux familiaux, nationaux, ethniques sont un élément important pour comprendre certaines migrations). Mais, quand les politiques ont voulu, en liant étroitement, sur fond de chômage grandissant, l’idéologie électoraliste la plus sordide (surtout à partir des années ’80 que je rebaptiserait les années Nols) et les restructurations de l’économie, mettre un coup d’arrêt à l’immigration, nos dirigeants se sont aperçus qu’aucune politique de «maîtrise des flux migratoires» ne fonctionnait. La surenchère législative et réglementaire ne produisant que le contraire de ce que les Etats européens voulaient encadrer et contrôler.
Les Etats de l’Union sont responsables de ce qui arrive aujourd’hui. Les options prises en matière d’asile et d’immigration ont été et sont encore du pain béni pour mafias et adeptes de la traite des êtres humains. Mais au contraire d’une opinion répandue, il ne faut pas considérer cela comme un effet pervers. Ce processus de privatisation (criminelle) des trafics de main-d’œuvre n’est pas aberrant. Ce phénomène se trouve être en totale cohérence avec les avancées du rouleau compresseur néolibéral.

Alors, un bon siècle après Zola (faites attention ! C’est un moment historique), je lancerai aussi à la face du monde bien-pensant un retentissant « J’accuse » non pas dans « L’Aurore », mais sur Indy media (il faut s’adapter, innover et progresser nous dirait l’UNICE, hein !) aux gouvernements européens d’être complice du développement de la traite des êtres humains et de la mise en esclavage de milliers de sans papiers. Je ne suis un fervent adepte de la théorie du grand complot. Je me rends compte seulement des effets néfastes d’une politique dangereuse et criminelle, de la tolérance de fait qu’il existe, de la part des autorités, vis-à-vis des trafiquants et employeurs de main-d’œuvre étrangère sans papier.
Souvenez-vous : le 25 septembre 1998, trois jours après l’assassinat par les gendarmes de Semira Adamu, le gouvernement « libèrait » les prisonniers non-africains du centre 127bis avec un ordre de quitter le territoire dans les 5 jours. Pour ce qui est des compagnons africains de Semira, alors en grève de la faim, ils sont transférés au « Refuge », c’est-à-dire au centre fermé de Bruges. Le réputé directeur de cette prison affirma à l’époque à une délégation de manifestants qu’il avait libéré de la place dans le centre pour les grévistes de la faim en remettant à la rue tous les « prostituées » sans-papiers du centre. Ce qui pour lui n’avait guère de conséquence puisque les forces de l’ordre savait très bien où on pouvait les retrouver : dans les réseaux de prostitution à Anvers.
Jean Cornil, directeur adjoint du centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme, a affirmé que l’on disposait en Belgique d’une des meilleures lois sur la traite des êtres humains. Peut-être ? Mais ce qui est important ici c’est la pratique de fonctionnaires d’Etat qui alimentent consciemment les réseaux mafieux d’exploitation sexuelle.
Ce style d’anecdote, il en existe d’autres. Il est vrai, comme l’a répété le répétitif ministre de l’Intérieur, on ne peut installer de centres fermés partout sinon on vivrait dans un Etat policier. Même si les expulsions sont nombreuses et fonctionnent actuellement à un très bon rendement, si l’on se base sur les chiffres des années antérieures, une bonne moitié des détenus des centres fermés sortent avec un ordre de quitter le territoire et ne sont pas expulsés de force. Que deviennent-ils tous ? Combien retournent éventuellement dans un quelconque réseau ? Pensez aux chinois de Puurs arrêtés et puis relâchés par la gendarmerie et que l’on croyait éventuellement retrouver dans les 58 cadavres de Douvres. Ne sommes-nous pas en face d’une déresponsabilisation de l’Etat ? Les autorités ne laissent-t-elles pas, finalement, au marché criminel, le soin de décider du sort des sans papiers ? Le fait de ne pas vouloir régulariser tous les sans-papiers ne représente-t-il pas finalement une sorte de consentement implicite à la poursuite de l’exploitation de travailleurs étrangers sans papiers ? Car même si les « clandestins » ne représentent une importance économique que sectoriellement (bâtiment, horeca, textile,…), « remettre les compteurs à zéro » aurait un fort impact sur l’économie en général. Pensez à tous les sous-traitants des grandes entreprises.

Depuis 1993, on a répertorié plus de deux mille morts aux frontières de l’Europe (sans parler des disparus)? Qu’ils se noient dans le détroit de Gibraltar, qu’ils soient tués légalement par les forces de répression, qu’ils se réfugient dans des camions ou dans les trains d’atterrissage d’un avion, la faute est à imputer à la politique ou plutôt à la non-politique d’asile et d’immigration des Etats de l’Union (et au système économique en général, camarades marxistes !). Que l’on aille ou non vers une européanisation de ces problématiques, si la philosophie actuelle reste en vigueur, si les orientations n’évoluent pas, on va au devant d’autres « faits divers » comme celui de Douvres.

Gargamel