arch/ive/ief (2000 - 2005)

une taxe mondiale sur les transactions monétaires est-elle souhaitable et faisab
by Daniel SPOEL Friday June 16, 2000 at 05:24 PM
danieljf_spoel@compuserve.com

Colloque du 9 juin : une taxe mondiale sur les transactions monétaires est-elle souhaitable et faisable ? Premières impressions de quelques personnes du Réseau contre la Spéculation Financière qui étaient présentes au colloque.

Tout d'abord, nous soulignons comme l'a fait le sénateur Ecolo, Jacky Morael dans sa conclusion, l'intérêt de cette nouvelle confrontation entre le monde politique (des parlementaires), la société civile (représentée à travers les deux réseaux d'action contre la spéculation financière Fr/Nl) et des techniciens internationaux (professeurs qui travaillaient depuis de longues dates sur la taxe Tobin ou ses équivalents). C'est peut être la première fois que le monde politique et la société civile co-organisent une réflexion, en invitant des experts, sur la faisabilité d'une taxe sur les transactions monétaires.

Les spécialistes
Durant la matinée à travers leurs exposés le professeur Bardos, M. Akyuz (CNUSED), M. Rodney Schmidt (International Development Center) et le professeur Spahn ont démontré de différentes manières qu'une taxe sur les transactions monétaires est techniquement faisable. Ils ont également mis en évidence qu’une taxe de 'type Tobin' n'est aujourd'hui qu'une question de volonté politique.
Le professeur Bardos fut le premier à souligner que 5% seulement du montant total des mouvements de devises correspondent à l’économie réelle, c’est-à-dire celle des échanges de biens et de service. Le professeur a insister aussi sur la nécessité d’éviter tout caractère dégressif d’une taxation en fonction du montant de l’opération de change et d’appliquer cette taxe sur le montant total des opérations et non pas sur les montants compensés.
Monsieur Akyuz a souligné que, malgré la prolifération des réunions et déclarations des autorités mondiales en charge de prévenir les crises financières internationales, peu a été fait concrètement pour réformer le système. Il relève que les gouvernements des pays les moins développés sont toujours les otages des financiers internationaux ; ces pays subissent toujours des pressions pour libéraliser tous les marchés, marchés financiers compris, ce qui est contraire à ce qu’ils devraient faire pour se protéger à l’égard de la volatilité des marchés de capitaux.
Monsieur Rodney Schmidt a démontrer l’absolue faisabilité technique de la taxation des flux de capitaux grâce à l’existence de réseaux électroniques de communication utilisés pour effectuer ces transferts. Cette taxation peut se faire en temps réel (Real Time Gross Settlement) par le truchement de SWIFT (Society for World-wide Interbank Financial Telecommunications).
Le professeur Spahn nous a proposé une taxe à deux niveaux, sa proposition semble mieux cibler les activités liées à la spéculation financière à court terme. Il propose d'une part une très faible taxe (quasiment nulle) lorsque la situation de change est stable, celle-ci pourrait être progressivement augmentée en fonction des réactions du marché. Et, d'autre part, une taxe très forte (entre 40 et 50%) lorsque les indicateurs économiques annoncent une crise possible. Pour mesurer les différentes situations, il a établi une sorte de 'corridor' (une sorte de serpent monétaire) à partir d'un taux de change de référence projeté (soit la valeur moyenne du cours de la devise durant les 20 derniers jours) autour duquel les taux de change peuvent osciller de maximum 3% ; dans ce corridor la taxe sur les transactions serait très faible. Par contre, en dehors de ce corridor, la taxe sur les transactions de change serait très élevée. La proposition faite par le Prof. Spahn pourrait être applicable à un niveau national, régional ou international étant donné que le prélèvement se fait dans le pays concerné.

Au-delà des mesures techniques
Cependant, il faut rester lucide, seule une taxe ne peut résoudre les problèmes de la volatilité des marchés de capitaux, elle peut contribuer à une certaine régulation mais seule elle ne pourra pas empêcher les crises financières et sociales et ce, spécifiquement, dans les pays dit émergents qui ont une économie très fragile.

A côté de l'instauration d'une taxe sur la spéculation financière, il faut continuer à travailler sur la transparence des institutions, sur leur contrôle démocratique, mais aussi sur la participation du secteur privé aux risques (à l’inverse de ce qu’il a voulu faire avec l’accord multilatéral sur les investissements) et sur l’annulation de la dette. Il est important que, lorsque les entreprises, banques et autres acteurs investissent dans l’économie des pays émergents ou autres, ils ne puissent pas retirer leurs capitaux massivement sans risques financiers important.
Différentes formules de protection des marchés locaux ont déjà fonctionné et fait leurs preuves, les exemples de l’Inde, du Chili (el canjé) et de la Malaisie ont été soulignés par différents intervenants.
Il n’est donc pas indispensable d’étendre le système de taxation des mouvements de change au monde entier comme certains le prétendent, le contrôle peut très bien fonctionner pour une seule monnaie.

La commission du Sénat
La balle était donc clairement dans le camp des hommes politiques. Nous avons écouté avec intérêt un premier rapport du groupe de travail du sénat belge. Présenté par le Président de ce groupe le professeur Paul De Grauwe, dont nous pourrions résumer les propos de la manière suivante :
1- Une taxe sur les transactions monétaires spéculatives est possible à un niveau local, il n'est pas nécessaire qu'elle soit mondiale.
2- La taxe Tobin est en fait un coût de transaction pour le Trésor et non pour les banques.
3- Il faut une taxe qui soit réalisable et qui décourage clairement les spéculateurs, ce sont eux qui doivent payer. Dans cette optique la taxe Tobin telle qu’elle a été conçue au départ ne semble pas être le moyen le plus approprié, la taxe est trop faible pour dissuader les spéculateurs. Par contre la proposition du Professeur Spahn est plus réaliste, avec son système de taxation à deux niveaux, dont un taux très important, elle devrait permet d'éviter la spéculation financière et diminuer la volatilité des marchés de capitaux.
4- Peut-on penser à une telle taxe comme source de revenus ? Il est difficile d'en parler de manière globale, car nous n'avons pas l'accord des différents pays pour transférer les revenus de la taxe (ou partie de ceux-ci) à un fonds international en appui au développement.
5- Les crises financières nécessitent d'autres contrôles en plus de la taxe. Comme la transparence des institutions financières, ainsi que, plus de transparence dans les politiques macro-économiques (plus d'information sur la situation des marchés financiers et des réserves bancaires). Mettre en place, un système de régulation bancaire qui permettrait de prévoir les risques et de les partager avec le monde privé. Un contrôle des mouvements des capitaux, qui devrait empêcher la sortie en blocs de ceux-ci. Et enfin, plus de souplesse lors de la fixation des taux de changes dans les PVD.

Tout le monde convient qu’il est nécessaire de parler d'une taxe de 'type Tobin' parce que la proposition du prix Nobel d’économie ne correspond plus aux réalités du marché actuel. Mais par contre sa philosophie principale reste bien d'actualité pour lutter contre les crises financières, soit une taxe, de faible taux (c'est à ce niveau que des variantes sont proposées), sur toute transaction spéculative faisant intervenir une opération de change, c'est-à-dire au moins deux monnaies ou devises différentes.

Le parlement européen
Harlem Désir a rappelé que le Parlement européen a rejeté par une très courte majorité la proposition d’étude de faisabilité d’une taxe du type Tobin. Ce rejet est largement dû à la discipline de vote imposée aux parlementaires britanniques du Labour Party par le Premier ministre Tony Blair. Harlem Désir a annoncé qu’il comptait réunir des Parlementaires nationaux pour relancer le processus.

Les partis politiques
Guy Moens (au nom des socialistes PS et SP), Michiel Maertens (au nom d’Agalev et d’Ecolo) et Michel Barbeaux (au nom du PSC), convaincus de la faisabilité de la taxation, se sont prononcés pour la désirabilité, l’application de celle-ci et pour la poursuite du processus engagé. Philippe Bodson (au nom des libéraux VLD et PRL) s’est prononcé contre. On remarquera que Monsieur Bodson n’a pas cru bon de se soumettre aux questions de l’assistance, en effet il a préféré quitter la salle avant que cet exercice ne commence. Le CVP n’a pas envoyé de représentant au colloque.