arch/ive/ief (2000 - 2005)

Quelques questions sur le droit de manifester
by Benoit EUGENE Monday June 12, 2000 at 06:07 PM
benoit.eugene@infonie.be

Interdiction, intimidation et répression : une politique indigne de la capitale de l'Europe

Bruxelles est le siège des principales institutions européennes auxquelles les Etats de l'Union ont entrepris de déléguer leurs souverainetés. De nombreuses décisions qui jetteraient dans la rue des milliers de manifestants dans n'importe quelle capitale européenne sont désormais prises à Bruxelles par une bureaucratie sur laquelle ne s'exerce qu'un contrôle démocratique de façade. Peu à peu, beaucoup plus lentement, les mouvements sociaux et les citoyens s'organisent à l'échelle de l'Europe en un véritable contre-pouvoir , force de contestation et de propositions préparant l'avénement d'un Etat social européen. Capitale de l'Europe, il est logique que Bruxelles devienne un lieu privilégié de manifestations européennes.

L'implantation des institutions européennes a justifié de la destruction de quartiers entiers de Bruxelles : mais les urbanistes et ceux qui les inspirent, architectes d'une Europe à leur image qui entend faire table rase d'une partie du passé pour mieux restaurer ce que 200 ans de luttes sociales avaient su faire reculer, n'ont pas pensé que le pouvoir, en démocratie, appelle sa contestation. Rien n'a été prévu pour faciliter la tenue de manifestations européennes et les impératifs de police priment sur la liberté d'expression. Comme au temps d'Hausmann, l'urbanisme "Caprice des Dieux" n'a pas été conçu pour faciliter l'exercice des libertés démocratiques.

L'interdiction de la manifestation contre un sommet dont la tenue, selon la plupart des analystes, a un peu plus souligné la collusion entre la Commission Européenne et les intérêts privés (certains des membres de l'ancienne Commission, passé au service des multinationales, se retrouvant à cette occasion à la même table que leurs successeurs, qui leur succèderont, à leur tour, le moment venu) pose clairement la question de l'exercice des libertés démocratiques à l'échelle européenne. Le prétexte invoqué, la tenue de l'EURO 2000 donne aussi à réfléchir : si des impératifs de sécurité empêchaient la tenue du sommet UNICE/Commission Européenne qui incluait sa contestation démocratique, alors il convenait d'en reporter la tenue pour des raisons d'ordre public. Mais tout le monde aura constaté, au vu du dispositif policier, que ces impératifs de sécurité relevaient de l'intoxication. Ce qui pose clairement la question du droit de manifester à Bruxelles.

Par ailleurs les circonstances de l'arrestation avec une violence tout à fait disproportionnée de 69 manifestants menés par celui que la presse anglo-saxonne a surnommé the "pie anarchist" relèvent clairement de l'intimidation. Les manifestants étaient attendus sur leur lieu de rassemblement par des policiers en civil qui ont pratiquement ouvert la marche. Leur non-violence était connue. Des forces de police sur-dimensionnées les attendaient et un dispositif comportant des auto-pompes protégeait le palais, cible des manifestants, qui abritait le dîner offert à l'occasion du sommet. Et malgré cela, comme l'attestent de nombreuses images, la police s'est livrée méthodiquement à des actes de violence contre les manifestants. Tout aussi grave, ordre a été donné d'arrêter un certain nombre d'organisateurs de la manifestation du lendemain, dont Jean Claude AMARA, porte-parole de Droits devant!, à plus de cinq cent mètres du lieu de la manifetation, lesquels ont été placés en rétention administrative pendant 12 heures. Le Bourgmestre de Bruxelles-ville était lui-même présent sur les lieux.

La volonté d'intimidation est encore avérée par les menaces émanant d'un responsable de la police qui a téléphoné le lendemain à Eric Goeman, responsable d'Attac-Flandres, pour le dissuader de participer à la manifestation.

Interdiction, intimidation, répression : comment ne pas prêter l'oreille à tous ceux qui soupçonnent la mise en place à Bruxelles, capitale de l'Europe, d'un vaste plan de sécurité destiné à museler la contestation ? L'Europe économique et l'Europe policière vont décidément de pair.


Benoit EUGENE
chercheur indépendant