arch/ive/ief (2000 - 2005)

Matraque Chantilly
by Bendy Glu Saturday June 10, 2000 at 07:55 AM
bendyglu@freegates.be

C'est pas d'jeu

Matraque Chantilly

Hier soir, 9/06, vers 19h30 une foule d'inoffensifs conjurés munis des traditionnels fonds de tartes et des bombes de crème chantilly bien connues ont voulu pousser la témérité pâtissière jusqu'à offrir le dessert aux membres de l'UNICE réunis pour un dîner au Sablon. Si la Commission européenne paraît prête depuis toujours à passer les plats, tel n'est pas le cas en effet d'un certain nombre d'artisans pâtissiers qui goûtent peu les ravages de la cuisine industrielle où se mitonne, entre autres édulcorants, une citoyenneté sans odeur ni saveur ni le moindre soupçon de libre-arbitre, préférant en outre la cocotte-minute au mijoté.

Sûre de la justesse de sa cause, la foule, portée par la candeur de Noël Godin, s'avança dispersée et rigolarde, comme il convient, précédée par deux policiers en civil : aucun de ces vaillants belges, pour rien au monde, n'aurait voulu ajouter au ridicule de ces professionnels qui évoquaient irrésistiblement les Dupondt mandarins du Lotus Bleu, et dilapider ainsi la précieuse chantilly. Le plan était d'une simplicité gauloise : "nous arrivons, nous entrons, nous saccageons pâtissièrement et repartons, justice faite, munis de victuailles que nous partagerons en un banquet avec les SDF". Toute la ville était au courant et commentait depuis une semaine la pureté de ce plan au service d'une cause juste, tandis que les stratèges de la police s'efforçait d'en percer la subtilité. Une fois de plus les dés de l'absurde étaient jetés et on allait voir ce qu'on allait voir.

On vit.

Comme prévu une colonne de fonctionnaires munis d'une combinaison EURO 2000 flambant neuve s'interposa gaillardement entre les masques sévères des maîtres du monde et les zygomatiques des justiciers pâtissiers. On discutait dans les rangs de l'opportunité d'aller boire une bière, oui mais où parce que dans le coin c'est un peu cher, lorsque, sans doute intoxiqués par leur panoplie fabriquée à Taiwan à moindre frais, les hommes masqués se jetèrent convulsivement sur les manifestants placides, matraquant devant les caméras de télévision des jeunes femmes plaquées au sol et autres galopins menottés, frappés, insultés en état de parfaite non-violence. On décida prudemment qu'on déciderait plus tard où boire ce pot et tournant le dos aux forces de police qui menaient largement vingt à zéro contre une équipe sous-équipée et sous-entrainée, on prit un ami par le bras pour descendre en flânant vers les terrasses. C'était compter sans la meute déchainée des hooligans mobilisés loin des stades qui en voulaient pour leur argent et continuaient à jouer tous seuls, plaquant, tabassant, garotant (et, curieusement, s'archarnant à casser les lunettes) : score final 55 à 0.

Le transfert en autocar s'avéra digne de ce qu'on peut attendre de ce type d'organisation même si le chauffeur, après avoir erré vainement pendant une bonne heure dans la ville, retrouva heureusement son chemin (ce fut surtout regrettable pour le plus tabassé de la soirée pour lequel il y a lieu de craindre une fracture du crâne et qui ne fut conduit aux urgences que plusieurs heures plus tard sous prétexte qu'il n'avait qu'à rester chez lui s'il ne voulait pas saigner de l'oreille). Après avoir émis diverses hypothèses sur les préférences sexuelles de l'équipe adverse, on empila ses membres dans les vestiaires avant de les remettre en circulation six heures plus tard. Les joueurs se ruèrent alors sur le JT pour dénombrer les multiples fautes grossières commises par les forces de l'ordre : las, par un miracle dont la RTBF est coutumière, si la montée pacifique vers le Sablon et le tas de manifestants menottés sur le trottoir apparurent à l'écran, aucun hypothèse ne fut évoquée sur le mode de transformation de cette masse hilare d'un état à l'autre…

Heureusement, les images tournées par les amateurs permettront certainement de disqualifier les forces de l'ordre qui ont une fois de plus dû déployer beaucoup de bêtise pour jouer contre leur camp, se trompant d'ailleurs totalement de match.