" J'ai besoin de la commission d'enquête de Zimeray comme d'une balle dans la tête. " Ainsi s'exprimait, la semaine dernière, Chris Patten, diplomate britannique respecté, et ancien gouverneur de Hong-Kong, aujourd'hui chargé des relations extérieures de l'Union Européenne. Semaine après semaine, Patten consacre beaucoup de temps à des spéculations et à des attaques vigoureuses contre son adversaire socialiste, l'avocat français François Zimeray. Le thème principal de leurs discussions est toujours le même - l'Autorité palestinienne, qu'ils examinent chaque semaine sous un angle différent. A la lecture des rapports des dernières réunions des commissions des Finances et des Relations extérieures de l'Union Européenne, un visiteur venant d'une autre planète serait porté à conclure qu'il n'existe sur terre rien d'autre qu'Israël et l'Autorité Palestinienne. Lors de la dernière réunion, par exemple, sur deux heures, une heure et cinquante minutes ont été consacrées à ce sujet. Depuis le début de l'Intifada, Zimeray est presque seul sur la scène diplomatique la plus dure du monde à l'égard d'Israël - le Parlement Européen. Petit à petit, les quelques supporters d'Israël l'ont abandonné et lui seul est resté en guerre permanente, une guerre qui semble sisyphéenne et insensée. La plupart des Etats et des organisations européens adoptent une position pro-palestinienne tranchée et ne se laissent pas troubler par la réalité ni par les faits, et rien ne les fera changer d'opinion. Entre la morale et la terreur Cette fois, le Parlement européen s'agite autour de la demande de Zimeray de constituer immédiatement une commission d'enquête spéciale qui essaiera de localiser les fonds transférés par l'Union européenne à l'Autorité Palestinienne. - un montant de 4 milliards de dollars, depuis la création de l'Autorité. Zimeray n'est pas prêt à renoncer. Patten, chargé de ces transferts de fonds - et en direction duquel est pointé un doigt accusateur - a déclaré qu'il n'a aucunement l'intention d'aborder ce sujet. De toute façon, a-t-il affirmé, Zimeray n'a réussi à obtenir que 50 signatures sur les 172 nécessaires pour soumettre ce sujet au vote de l'assemblée du Parlement européen. Mais lorsqu'il a compris que Zimeray, grâce à son énergique assistante parlementaire, Shira Anski, allait revenir d'Israël avec 110 signatures, il a changé de tactique et a proclamé bruyamment que créer cette commission constituerait un vote de méfiance à son encontre et contre son action. Mais cela n'a eu pour effet sur Zimeray que de renforcer ses exigences : "Je ne peux pas dormir la nuit et l'attitude de l'Union Européenne me donne la nausée. Pourquoi devrions-nous payer un impôt pour alimenter le terrorisme d'Arafat ? Et, si la publication de la semaine dernière est exacte, il n'y a aucune raison non plus pour que je paie les commissions de Yossi Guinossar. "On a découvert exactement ce dont je parle continuellement. Je veux savoir quel argent entre en Suisse sur le compte de l'Autorité et pourquoi de l'argent européen, supposé être utilisé pour le bien-être des Palestiniens qui souffrent de famine et de pénurie, a été transféré secrètement en Europe. "Patten et moi-même utilisons des définitions totalement différentes du terme "morale". L'attitude de l'Europe vis-à-vis du conflit au Proche-Orient a, selon moi, perdu sa moralité. On ne peut justifier le terrorisme en utilisant le mot "conquête". Un livre vient juste d'être publié, qui met en lumière des textes d'Albert Camus sur le terrorisme. Camus écrit, à juste titre, que rien au monde ne permet de faire l'apologie des actes terroristes et de l'assassinat de civils. Or, c'est justement ce que, malheureusement, le Parlement européen tente de faire. La création d'une commission d'enquête est une mesure exceptionnelle au Parlement européen. Zimeray le sait, et Patten aussi. C'est aussi la raison pour laquelle ce grand homme, cet homme important, s'est donné la peine de contacter lui-même de nombreux membres du Parlement, pour les convaincre de ne pas signer la demande d'enquête de Zimeray. Son hypothèse de travail est que, dans des entretiens à huis clos, on peut dire "non" à la signature, mais lorsque le sujet sera soumis à débat, il sera difficile aux parties de voter contre la demande d'enquête sur des transferts de fonds mystérieux et suspects de corruption. " Je paie leurs salaires " Cette semaine, dans une interview spéciale pour le Yedioth Aharonoth, Zimeray, lors de sa visite-éclair en Israël, a déclaré être parvenu à la conclusion qu'on ne peut échapper à la constitution d'une commission d'enquête globale, parce que toutes les tentatives pour recevoir des données complètes, ou obtenir que les institutions décident cette enquête, ont été vaines. "L'Union Européenne continue de transférer de l'argent à l'Autorité Palestinienne sans contrôle et sans la transparence requise." "S'il ne s'agissait pas de mon argent, je n'aurais pas le droit de faire une demande à l'Autorité, mais c'est moi qui paie les salaires des policiers et des enseignants. Je veux vérifier que les policiers ne s'occupent pas de terrorisme, et que les enseignants ne répandent pas la haine antisémite et anti-israélienne et ne distillent pas auprès de leurs élèves une propagande en faveur des attentats-suicide." Zimeray est un socialiste gauchiste, très critique de certaines actions du gouvernement israélien. Il dit également qu'il n'est pas un grand supporter du Premier ministre Sharon. Il exige toutefois que soit adoptée la même attitude à l'égard d'Israël qu'à l'égard des Palestiniens. Sur le terrain, dit-il, on en est très loin. La position d'Israël s'effrite, en provoquant de véritables dégâts stratégiques pour l'Etat. Les choses en sont arrivées au point que, discrètement, mais pas en public, certains membres du Parlement européen disent que la création de l'Etat d'Israël a été une erreur historique. "Le problème réside avant tout dans l'antisémitisme enraciné en Europe depuis deux mille ans, et qui surgit des profondeurs, encore et toujours. Depuis que le Vatican a proclamé que les Juifs n'ont pas tué Jésus, personne n'ose plus le dire; par contre, on a le droit de dire que les Israéliens tuent des enfants à Bethléem, et tout le monde comprend clairement le lien entre les deux. "Mais si seulement je pouvais tout expliquer par le prisme déformant d'un antisémitisme qui resurgit... Malheureusement, il est question d'une chose beaucoup plus profonde et complexe. Les antisémites sont minoritaires parmi ceux qui condamnent Israël. Le problème est que, de réunion en réunion, le Parlement européen radicalise sa position anti-israélienne. L'un des exemples les plus pénibles en est l'annulation des accords de coopération économique entre l'Union européenne et Israël. Il ne s'agit pas là d'une démarche rituelle, symbolique, destinée à démontrer, vis-à-vis de l'extérieur, une solidarité envers les Palestiniens. C'est d'une véritable sanction qu'il s'agit, et d'une tentative véritable d'atteindre Israël dans la vie quotidienne de ses citoyens. "Les accords de coopération touchent à des domaines innombrables de l'économie, du système fiscal, de la recherche, de la médecine, etc. Malgré tout mon respect pour les Etats-Unis, je dois dire que c'est l'Europe qui est le partenaire commercial n° 1 d'Israël. Et contre qui a-t-on imposé cette sanction jusqu'à aujourd'hui ? La Serbie, le Nigeria, le Soudan et le Togo ont signé des accords de coopération économique avec la Syrie et avec la Libye, cette démocratie réputée. Cette semaine encore, ils en ont signé un avec le Liban, mais avec Israël : pas question ! Les complexes de l'Europe "Les Européens ne comprennent pas Israël. Dans le monde moderne et libre, il est très difficile d'expliquer des sujets complexes. Si on n'est pas très motivé pour approfondir un sujet, on peut facilement rester superficiel et accepter la réalité telle qu'elle est décrite par les médias. Et sur cette scène-là, Israël est perdant. "Nous, Européens, souffrons de sentiments de culpabilité parallèles envers les Juifs et envers les Arabes. D'un côté, il y a la Shoah et le fait que les Etats européens y étaient impliqués, ou qu'ils n'ont pas fait assez pour l'empêcher. D'un autre côté, il nous est commode de penser que les victimes d'hier sont les criminels d'aujourd'hui. Si ceux qui ont souffert à cause de nous infligent aujourd'hui les mêmes souffrances à d'autres, peut-être qu'après tout, nous ne sommes pas si mauvais que cela. "Il est important, par ailleurs, d'être attentifs à la terminologie qu'on emploie en Europe, à propos du conflit au Proche-Orient, et à l'origine des mots. Ce conflit nous rappelle notre histoire : les Portugais se souviennent de l'Angola, les Belges : du Congo, les Français : de l'Algérie. "Le terme "colonie" qu'on utilise pour désigner une implantation a une connotation très particulière, très négative pour tout Français. Lorsqu'on dit "ghetto palestinien", on imagine un lieu très spécifique et, lorsqu'à la télévision, on discute de la "résistance" palestinienne, on évoque un héroïsme qui n'a rien à voir avec les actes terroristes palestiniens. "Nous utilisons votre conflit, votre souffrance, pour résoudre les problèmes que nous entretenons avec notre mémoire. Votre conflit est notre thérapie. Tout ceci est également lié à notre vieux réflexe chrétien, qui crée automatiquement l'amalgame entre le faible et le juste, d'une part, le fort et le méchant, d'autre part. En outre, les Européens ne comprennent rien au monde arabe. Tout au long de son histoire, l'Europe a entretenu des relations dominateur/dominé, et nous considérons Israël comme relevant du même cas de figure. Nous harcelons Israël pour qu'il paie notre dette envers les Arabes. Tout cela, accompagné d'une attitude romantique glorifiant la chaleur humaine et la sensualité particulières à l'Orient, fait que les Européens vivent avec des mythes, tandis que les Israéliens et les Palestiniens vivent dans une terrible réalité". Les diplomates et les gens du Renseignement en poste en Israël comprennent exactement la situation, et au moins, pour tout ce qui a trait à Arafat, il n'y a pas vraiment de divergences de vues entre eux et le gouvernement d'Israël. Pourquoi alors ce message ne passe-t-il pas ? Celui qui vit en Israël connaît bien l'ensemble du tableau, mais celui qui prend les décisions et façonne la politique ne la connaît pas, ou choisit de ne pas tenir compte des faits. Même dans mon parti, sur les 170 délégués du Parlement, j'ai réussi à obtenir une seule signature pour la demande de constitution d'une commission d'enquête : la mienne. La composition du Parlement européen est le reflet de l'opinion publique, et Ariel Sharon est décrit par les media comme un Miloseviç. Sharon a commis une grave erreur en ne parlant pas, après avoir été élu Premier ministre, lors de sa campagne d'information, pour améliorer son image. Dans son procès en Belgique, il a eu d'excellents avocats, mais ils ont mis en échec la partie adverse sur des questions de procédure et n'ont pas essayé de se battre sur le fond. Ceci est un exemple frappant du minable système d'information israélien. "Une autre chose nuit à l'image de l'Etat : l'impression qu'Israël ne propose pas d'alternative politique. Israël ne sait pas se vendre comme Etat qui aspire à la paix." Arafat et Staline Selon Zimeray, la révélation de l'implication d'Arafat dans le terrorisme a peut-être changé son image aux yeux du président Bush, mais, au Parlement européen, Arafat est plus fort que jamais et il continue d'être considéré comme l'homme épris de paix qui a reçu le Prix Nobel. "Cet aveuglement moral n'est pas nouveau. La gauche européenne en a été affligée au temps de Staline, où des intellectuels comme Sartre ont exprimé durant des années leur solidarité avec son régime terroriste, parce qu'ils ne voulaient pas reconnaître que la réalité n'était pas conforme à leurs rêves. De 1975 à 1979, nous avons vu cela à propos du Cambodge, pas un mot de critique n'ayant été entendu prononcer contre les Khmers Rouges. "Actuellement, ils se comportent de la même manière vis-à-vis des Palestiniens, malgré les massacres qu'ils perpètrent et malgré la corruption de grande envergure que l'on découvre chez eux." Patten est considéré comme le tout premier des supporters de l'Autorité Palestinienne au sein de l'Union Européenne. Il a fait déclaré, au début, que les documents qu'Israël présentait, parmi ceux trouvés au quartier général d'Arafat à Ramallah (la Mouqata'a) étaient faux, et ensuite, il a nié toute implication de fonds européens dans l'incitation à la violence et dans le terrorisme. Ses réponses sont généralement caustiques et se cantonnent à un niveau formel. "Prouvez-moi", dit Patten, "que mes euros ont servi à acheter des Kalachnikov ou une ceinture d'explosifs." Zimeray, ainsi que des membres du Renseignement en Israël et des membres de la diplomatie européenne, répondent que les pays d'Europe ont connu et connaissent encore bien la véritable situation de l'Autorité, et savent dans quels abîmes de corruption et de terrorisme est plongée l'administration d'Arafat. Il n'est pas besoin de prouver que les euros transférés par l'Union ont servi à acheter des armes pour les Tanzim. Une discussion particulièrement vive a éclaté entre Zimeray et Patten au sujet de l'éducation dans les territoires de l'Autorité palestinienne. Zimeray a déclaré que l'Autorité finance la télévision palestinienne, laquelle émet des incitations à la violence. Il a rapporté un discours du Cheikh Ibrahim Maar, en avril 2002, dans la mosquée Cheikh 'Elgin, à Gaza, où il disait, par exemple : "Nous sommes convaincus qu'un jour, nous entrerons dans Jérusalem en conquérants, nous entrerons à Jaffa en conquérants, et dans toute la Palestine en conquérants, comme l'a ordonné Allah. Tous ceux qui ne parviennent pas à la sainteté en ces jours-ci, devront se réveiller la nuit et dire : "Dieu, pourquoi m'as-tu empêché d'être un saint à ton service ?". Si les Juifs se cachent derrière un rocher ou un arbre, le rocher et l'arbre diront : "Musulman, serviteur d'Allah, un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le". Et ceci au moment où l'aide financière qui avait été accordée à la télévision palestinienne était destinée à "créer un équipement scientifique, ouvert et pluraliste", et "une société palestinienne démocratique", comme il est écrit dans la lettre accompagnant la subvention. Zimeray déclare que plus de 330 millions d'euros ont été transférés au système éducatif palestinien depuis les accords d'Oslo, bien que ses livres scolaires soient "de la propagande antisémite, et qu'ils aient été interdits dans chacun des pays européens, conformément à la loi contre l'incitation au racisme. Si quelqu'un publiait ces choses-là en Europe, il se retrouverait en prison dans les heures qui suivent." La réponse de Chris Patten sur ce thème a été, comme d'habitude, une réponse technique : la contribution européenne n'a pas financé la publication des livres. Mais c'est aussi une pirouette : l'Autorité finance les salaires des enseignants qui utilisent ces livres. Zimeray : "Patten est un excellent exemple de l'attitude unique de la diplomatie européenne. Il croit que les sujets importants se concluront, en fin de compte, par un accord entre diplomates et que tout le reste est sans importance. "Je pense, en revanche, que si l'on examine comment la France et l'Allemagne ont scellé leur réconciliation historique, ce n'est pas uniquement grâce au bout de papier sur lequel a été écrit le traité de paix, mais grâce à une éducation en profondeur à la paix. Lorsque j'ai examiné les livres scolaire palestiniens, j'ai compris exactement d'où vient cette forte hostilité. Ces livres enseignent le djihad et une haine aveugle. "La scène internationale, bien qu'elle ne comporte ni tanks, ni avions, ni généraux, est néanmoins une scène extrêmement importante. Il faut qu'Israël comprenne que son existence ne dépend pas seulement de sa force physique, mais aussi du système international, et qu'il ne pourra s'appuyer indéfiniment sur les Etats-Unis. Les Palestiniens pourront apprendre avec vous une ou deux leçons sur ce thème. "