CB : Pourquoi avez-vous décidé de lancer la redistribution
des terres en ce
moment et d'adopter ce que vous appelez le fast-track (l'allure rapide)
malgré le mécontentement que suscite cette mesure?
Mugabe: Tout d'abord parce que nous sommes un peuple de cultivateurs
et
d'éleveurs, que nous avons besoin de la terre, cette terre qui nous
a été
ravie par les colonisateurs. Nous produisons du tabac, du maïs, du millet,
du sucre, du café. A la veille de l'indépendance, les accords
de
Lancasterhouse avaient prévu de redistribuer les terres sur une base
volontaire et les fermiers blancs devaient être indemnisés.
Mais nous
n'avions pas les moyens de les dédommager et les Britanniques comme
les
Américains s'étaient engagés à fournir les moyens
financiers nécessaires. Au
début, tout allait bien. Les Américains nous ont aidés
substantiellement et
nous avons commencé à réinstaller des agriculteurs noirs
sur les terres
rachetées aux Blancs. Mais lorsque Ronald Reagan a remplacé
le président
Carter, il a cessé de payer, de même que Margaret Thatcher.
Par la suite,
nous avons tenté de renégocier avec John Major. A ce moment,
nous avions
réinstallé 57.000 agriculteurs et nous voulions aller de l'avant.
Mais nous
manquions de moyens et nous étions limités par le principe
de la cessation
volontaire des terres. Nous avons alors décidé de modifier
la constitution,
de changer le mode d'acquisition mais sans abandonner le principe des
compensations financières car nous pensions qu'il y avait toujours
moyen de
négocier avec les Anglais. Mais les négociations avec John
Major
n'aboutirent pas et lorsque Blair arriva au pouvoir, il refusa d'admettre
la
moindre responsabilité coloniale. Il nous proposa des mesures destinées
à
alléger la pauvreté. Mais là n'était pas le problème,
ce qui comptait
c'était la terre. Nous avons alors décidé d'aller de
l'avant et d'acquérir
nous-mêmes les terres, tout en respectant certains critères.
Par exemple,
lorsque quelqu'un ne possède qu'une seule ferme, produit des semences
ou
travaille pour l'exportation, sa propriété ne sera pas saisie.
Si nous avons
décidé d'accélérer le mouvement, c'est pour une
raison simple: en octobre,
commence la saison des pluies. C'est alors qu'il faudra semer. Autrement
dit, il faut labourer et préparer la terre dès maintenant.
Auparavant, nous
construisons des maisons, des puits, des routes mais cette fois, nous avons
décidé de ne pas attendre. Tout cela viendra par la suite.
Nous voulons
cultiver d'abord, plus tard, l'armée aidera les paysans à réaliser
les
travaux d'infrastructure nécessaires.
CB: Les gens se plaignent du comportement des vétérans,
disant que l'ordre
et la loi ne règnent plus dans le pays.
Mugabe: Il y a eu, c'est vrai, quelques incidents l'an dernier. Les
vétérans
sont allés occuper les fermes car ils trouvaient que le gouvernement
était
lent, ils voulaient lui forcer la main. Nous avons tenté de trouver
une
solution négociée. Nous avons dit aux vétérans
de parler aux fermiers, de
leur signifier qu'occupation n'est pas propriété. Il faut que
le
gouvernement d'après les règlements existants décide
si la terre peut ou non
changer de main.
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"Je n'ai pas encore vu un seul diamant en provenance du Congo"
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Nous payerons des indemnités pour tous les investissements qui ont
été
réalisés par les fermiers, mais nous ne paierons pas pour la
terre car cela
c'est l'affaire des Britanniques. Quant à la violence, si il y en
avait
autant qu'on le dit à travers le pays, les Blancs ne seraient déjà
plus
là...
CB: Pourquoi êtes-vous intervenu en République démocratique
du Congo, un
engagement qui vous a valu bien des critiques?
Mugabe: Avions-nous tort d'intervenir, de nous porter au secours
d'un pays
ami qui avait été attaqué, envahi, au mépris
du droit international, de la
Charte des Nations unies? En fait, nous avons répondu à la
demande des
dirigeants d'un pays souverain. Le Rwanda et l'Ouganda ont violé la
souveraineté du Congo et lorsque le président Kabila a fait
appel au
président Dos Santos d'Angola et au président de Namibie, ils
ont accepté
comme moi d'intervenir dans le cadre des accords de la Conférence
des Etats
d'Afrique australe.
Tous n'ont pas répondu de la même façon. L'Afrique du
Sud par exemple qui a
vendu des armes aux agresseurs et collaboré avec eux pour tenter de
renverser Kabila. Notre engagement au Congo n'est pas différent de
notre
intervention au Mozambique où nous sommes restés 7 ans. Il
s'agit d'un
devoir de solidarité, nous ne sommes pas allés là pour
des raisons
économiques.
CB: Mais cet engagement vous a coûté cher?
Mugabe: Certainement. Un jour, nous avons dit à Laurent-Désiré
Kabila que
nous étions incapables de soutenir plus longtemps le coût de
la guerre et il
nous a répondu qu'il n'avait pas encore le contrôle complet
de son économie.
Néanmoins, pour nous soulager, il nous a proposé des joint-ventures,
entre
autre à Mbuji-Mayi dans le diamant. Pour vous dire la vérité,
je dois avouer
que je n'ai pas encore vu un seul diamant en provenance du Congo, je n'en
connais même pas la couleur. Nous avons encore rien reçu. Ce
qui est
certain, c'est que nous n'avons rien à cacher à propos de notre
présence
là-bas et nous n'avons certainement pas pillé le pays. Cet
engagement a été
très coûteux en argent, en équipement mais aussi en hommes.
Nous en avons
perdu beaucoup. Nous avons fait tout cela pour aider le Congo à se
stabiliser afin que le processus de Lusaka puisse entrer en application.
Quelles sont les conditions d'un retrait de vos troupes?
Dès que les forces des Nations unies seront complètement déployées,
avec
peut-être le soutien d'autres forces venant de pays comme la Belgique
ou
d'Etats francophones, nous nous retirerons. Au Congo, nous voudrions que
les
observateurs et les Casques bleus soient plus nombreux; c'est aux Nations
unies de jouer actuellement.
CB: Vous soutenez donc le gouvernement actuel à Kinshasa?
Mugabe: Certainement. Dans la mesure où il veut entamer un
processus
démocratique qui passe par le dialogue puis les élections.
Je suis heureux
de voir que Joseph Kabila veut aller aux élections. Nous voulons conseiller
Joseph Kabila mais ne voulons pas être seuls: il doit aussi prendre
conseil
de pays amis comme la Belgique et d'autres pays européens. C'est cela
que
j'ai évoqué à Bruxelles avec votre Premier ministre
et je lui ai demandé
d'aider Kabila d'aider le Congo et j'ai exprimé le même souhait
auprès du
président Chirac. En tous cas, il faut que les agresseurs quittent
le Congo.
Sinon, comment organiser ce dialogue et des élections dans tout le
pays? Je
suis cependant déçu par la lenteur des Nations unies, par l'insuffisance
de
leur engagement. Pour le moment, les observateurs se contentent de
surveiller le cessez-le-feu.
CB: De quoi a-t-il été question lors de vos entretiens
avec le président
Kagame?
Mugabe: Il est effectivement venu ici à Harare et il a évoqué
la nécessité
de cantonner et de désarmer les forces négatives qui se trouvent
toujours au
Congo ou de les renvoyer au Rwanda. Par ailleurs, je démens complètement
l'accusation selon laquelle le Zimbabwe entraînerait des Interhamwe
et je
tiens à dire qu'en aucune façon, nous ne sommes en guerre avec
le Rwanda ou
l'Ouganda. Nous sommes simplement en désaccord avec ces pays aussi
longtemps
qu'ils ont des troupes présentes au Congo.
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"Je ne me retirerai pas avant que la question de la terre soit réglée"
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CB: Le Zimbabwe a actuellement mauvaise presse auprès de
la Communauté
internationale. Est-ce à cause de votre engagement au Congo?
Mugabe: Il est vrai que nous sommes critiqués, mais méritons-nous
d'être
traités de la sorte. Sommes-nous des démons et l'Ouganda et
le Rwanda
seraient-ils des anges? Si tel était le cas ou ceux qui tentent d'aider
les
autres sont punis tandis que les autres sont récompensés, je
refuse ce
chemin-là pour le paradis, et je refuse de lire la Bible de cette
manière.
Nous sommes stupéfaits du degré d'amoralité de pays
comme la Grande-Bretagne
et les Etats-Unis. Ces derniers ont même passé une loi empêchant
l'aide au
Zimbabwe!
CB: A 78 ans, ne songez-vous pas à vous retirer?
Mugabe: Je vais d'abord me faire réélire. Je ne
me retirerai pas avant que
la question de la terre soit réglée. C'est pour cela que je
suis entré en
guerre, que nous avons lancé la lutte de libération, pour que
les gens
deviennent souverains, maîtres de leurs propres ressources. Nous avons
acquis l'indépendance politique voici vingt ans, mais la souveraineté
économique n'est pas encore conquise. Je veux que mon peuple devienne
complètement souverain alors seulement je pourrai me retirer.