Vincent
DECROLY Bruxelles, le 26 octobre 2001.
" Il
y a plein de façons de changer de majorité.
" Si
vous avez la possibilité d’admirer l’arc-en-ciel,
CONFERENCE DE PRESSE
Rétroactes Le gouvernement VERHOFSTADT éloigne notre société des objectifs du Programme d’ECOLO au lieu de l’en rapprocher. Retour sur les conditions auxquelles la participation a été décidée par l’AG d’Ecolo et sur l’évaluation intermédiaire très critique de décembre 2000 par cette même AG. Deux exemples flagrants d’actes politiques aux antipodes des objectifs et principes programmatiques sur lesquels les parlementaires verts ont été élus, et quelques réflexions sur la contamination des Verts par les logiques dominantes du système politique
Conclusions : une rupture (je quitte Ecolo) et la continuité (mon travail va se poursuivre jusqu’à la fin de ce dernier mandat au Parlement et en dehors, avec le Programme sur lequel les Verts ont été élus pour référence). Je reviendrai peut-être à Ecolo quand Ecolo sera revenu (vraiment) à l’Ecologie politique. Rétroactes Suite à la déclaration de rentrée du Premier ministre, M. Guy Verhofstadt, au Parlement fédéral, j'ai décidé de ne plus soutenir la politique de son gouvernement pour me consacrer au soutien exclusif du Programme sur lequel nous avons été élus, les parlementaires Ecolo et moi-même. Les parlementaires Ecolo sont élus pour faire progresser notre société vers des objectifs choisis par les citoyens. Le Programme des écologistes, l'un des plus ambitieux sur lequel un député ait jamais été délégué dans les institutions démocratiques, n'est évidemment pas réalisable en une législature. Et la démocratie exige des compromis. Mais elle exige aussi rigueur et lucidité : il y a des compromis qui nous tirent vers le haut, il y en a aussi qui nous tirent vers le bas. Notre démocratie souffre de ces situations où des candidats disent "blanc" avant l'élection, passent un accord de formation du gouvernement "gris", mais finissent par accepter des réformes "noires", une fois scellées les alliances... et verrouillés les débats. Oui donc aux compromis, même modestes du point de vue des Verts, dont aurait pu être fait le texte du Premier ministre (consultable sur www.fgov.be). Mais en l'écoutant attentivement, en superposant ce qui a déjà été concédé depuis deux ans et ce que le gouvernement aurait voulu me faire admettre pour 2001-2002, il m'est apparu très clairement que l'an prochain, notre société ne sera pas plus proche, mais plus éloignée du Programme sur lequel les Verts ont été élus. Sur le développement durable et la qualité de la vie, la fiscalité, la réduction des inégalités, les affaires étrangères, la justice, la tolérance vis-à-vis des étrangers, la prévention des drogues, les droits de l'enfant et des plus vulnérables, l'humanisation de notre société, le renouveau politique... les compromis présentés comme équilibrés cachent en réalité plus, bien plus de reculs que d'avancées. Je ne reconnais pas aux autres démocrates du Parlement où je siège le droit d'exécuter leur programme en force, au détriment quasi systématique de celui sur lequel les électeurs ont confié une victoire sans précédent à Ecolo le 13 juin 1999. Je resterai donc, quoi qu'il advienne, un parlementaire fidèle au Programme d'Ecolo et un adversaire acharné de celles et ceux qui cherchent à imposer des propositions radicalement contraires, au mépris de l'intérêt général. Pour faire progresser ce Programme-là, je poursuivrai mon travail au Parlement et en dehors jusqu'à la fin de ce dernier mandat, avec celles et ceux qui seront d'accord de se battre dans le même but. Et c'est par rapport à ce Programme que je déterminerai mes votes. Si la majorité constructive débouche sur un projet à ce point affligeant pour l'année qui s'ouvre, alors il faut passer à l'opposition constructive : appuyer ce qui va dans le bon sens, rejeter ce qui va dans le mauvais. La responsabilité confiée à chaque élu est trop importante : il ne peut la diluer dans cette discipline stérile que finit toujours par sécréter le pouvoir comme fin en soi, plutôt que comme instrument d'un authentique changement. Exclu du groupe parlementaire au terme d’une procédure digne du snelrecht (expéditive, unilatérale et fondée sur un mensonge ), condamné en des termes relevant de la plus pure langue de bois (exclusion du groupe parlementaire, mais pas d’Ecolo), mal entendu par le Conseil de fédération d’Ecolo vendredi dernier - qui n’a pas voulu ou osé annuler ni même suspendre la décision du groupe parlementaire et a opté, sous la pression de l’appareil, en faveur d’un encommissionnement hypocrite, je suis donc devenu en quelques jours un parlementaire sans groupe politique, c’est-à-dire un élu sans droit de vote en commissions parlementaires (où je n’ai jamais démérité), sans soutien d’expertise, sans moyens techniques, bref un oiseau sans aile ni pattes. Ne prolongeons pas inutilement l’ambiguïté. Si un programme est une bible (car principal référent stable entre les citoyens et leurs élus), un parti n’est pas une église. Pour plus d’efficacité et de clarté, je poursuivrai hors d’Ecolo mon travail de militant et de parlementaire. J’ai été élu sur un Programme que je refuse de ne considérer que comme un élément d’évaluation " parmi d’autres " des avancées et reculs de l’arc-en-ciel. Je ne peux plus longtemps rester membre d’un parti qui bâillonne l’un de ses élus pour la seule raison que, défendant le Programme de ce parti à la tribune du Parlement, il n’aurait pas respecté l’espèce de " chaîne de commandement " et d’organigramme parallèle qui prévaut depuis plusieurs mois sur toute forme de débat collectif, démocratique et tolérant. Et qui, confronté à une question politique de fond, se comporte comme s’il s’agissait d’un problème de type relationnel ou psychologique entre une personne individuelle, stigmatisée de multiples déviances psychiques ((individualisme, etc.) et son organisation. Le gouvernement VERHOFSTADT éloigne notre société des objectifs du Programme d’ECOLO au lieu de l’en rapprocher. Le 10 juillet 1999, à l’Assemblée générale réunie à Louvain-la-Neuve, le programme de la coalition arc-en-ciel pour le gouvernement fédéral est, de tous ceux qui sont présentés ce jour-là, celui qui rencontre l’adhésion la plus mitigée des militants d’ECOLO. Prononcée à la tribune, ce jour-là, la formule qui résume le mieux l’état d’esprit général – partagé tant par les " enthousiastes " que par les " réservés " - tient en un paradoxe : " ECOLO a gagné les élections, mais a perdu les négociations ". Ce qui arrache finalement le vote favorable de près de 2/3 des participants, c’est l’affirmation haut et clair, par plusieurs des rapporteurs, de deux principes.
C’est donc
" en ordre de bataille " que nous sommes entrés
dans une majorité où nous avons d’emblée annoncé
que nous nous battrions pour faire entendre les priorités de notre
Programme et faire appliquer celles que nous étions parvenus à
" injecter " dans la déclaration gouvernementale
(" La voie vers le 21ème siècle "
- cfr www.fgov.be). * * Au vu de la tonalité et du contenu de la déclaration de rentrée du Premier ministre, le 9 octobre, à la Chambre, force est de constater (comme l’ont fait l’ensemble des députés ECOLO présents à la réunion d’évaluation en groupe parlementaire tenue ce soir-là)
Il y a évidemment de bonnes décisions parmi celles que le gouvernement dit vouloir prendre en 2001-2002 dans le domaine de la lutte contre les exclusions. Y a-t-il un gouvernement au monde qui ne prend pas, de temps en temps, des réformes valables ?! Mais en l’occurrence, ces mesures positives (en faveur desquelles je voterai) sont largement dominée par les pas, voire les pas de géant dans le mauvais sens. Comme plusieurs observateurs économiques ou médiatiques, l’AG d’ECOLO tenue le 17 décembre 2000, au terme des 18 premiers mois d’arc-en-ciel, disait déjà : " Bref, ne le cachons pas : l’arc-en-ciel, surtout fédéral, est pour le moment à dominante bleue. Au-delà d’un bilan en forme de catalogue, il faut relever notamment que sur la question centrale de la redistribution des richesses et des transferts de revenus, le gouvernement fédéral n’a pas su infléchir la dérive inégalitaire mise en branle par les gouvernements précédents. Fondamentalement, la direction néo-libérale de la politique gouvernementale s’est trouvée renforcée, même si la présence des Verts en a atténué les effets les plus négatifs. " Comment cette Assemblée générale, déjà si nette il y a un an, aurait-elle évalué la déclaration de rentrée de M. VERHOFSTADT, cuvée 2001, les 9 et 11 octobre ? Le moins qu’on puisse en dire est " que le gouvernement en remet une couche bleue ", bien au-delà de tout ce qui a déjà pu être imposé au cours de la première moitié de la législature… * * La Commission européenne estime qu’1,5 à 2 millions de Belges (adultes et mineurs d’âge) vivent en situation de précarité ou de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 60% du revenu moyen, soit moins de 32.000 FB/mois pour un isolé ou moins de 66.000 FB/mois pour un couple avec deux enfants. C’est au profit de ces personnes en souffrance sociale profonde qu’aurait dû s’amorcer, en priorité et en urgence, une stratégie enfin volontariste de lutte contre l’exclusion sociale et contre l’appauvrissement. Mais celles-là ne bénéficieront pas ou ne bénéficieront qu’à la marge de la réforme fiscale. Alors que l’Etat continue à vivre sur 700 milliards de FB d’arriérés fiscaux. Le cœur de la réforme fiscale aura pour bénéficiaires non pas les plus démunis, mais la classe moyenne. C’est surtout à elle que profiteront le plus des mesures comme le décumul, la neutralisation de la pression fiscale par rapport aux choix de vie, ou encore l’augmentation des frais professionnels forfaitaires. Aux plus pauvres, on consent quelques miettes en 2002, tout en précisant d’emblée qu’elles ne resteront disponibles en 2003 que " si la situation économique le permet " (p. 8 du texte prononcé par Guy VERHOFSTADT) ! Le sort
préparé aux personnes minimexées en est un exemple
frappant : 4% d’augmentation, soit moins de 10.000 FB supplémentaires
par an. Des cacahuètes ! Et aucune liaison de ces allocations
et de leur plafond au bien-être. Ce " bien-être "
résulte de l’indexation (garantie à tous), mais aussi
de hausses salariales acquises hors-indexation (par exemple par convention
collective de travail). Il en découlera inexorablement un décrochage
accru des revenus des allocataires sociaux par rapport à ceux
des actifs. La liaison des plafonds d’allocations sociales au bien-être est refusée également par le gouvernement. Aujourd’hui, on sait que 85 % des allocations sont au niveau plancher. Le principe de l’assurance (en vertu duquel ce à quoi on peut prétendre comme revenu de remplacement est proportionné à ce que l’on a versé comme cotisations, c’est-à-dire au salaire antérieurement perçu) est battui en brèche au profit d’un principe d’assistance. Le gros lot fiscal, ce sont les plus riches qui le décrochent, avec la suppression des deux taux maximaux d’imposition (abolition des taxations à 55 et 52,5% respectivement), qui représente pour ces heureux gagnants un bonus annuel pouvant aisément atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs ! Un autre outil essentiel de lutte contre l’exclusion et d’insertion réside dans les services publics. Des services publics efficaces pourraient en effet garantir à tout citoyen, quelle que soit sa situation économique, l’exercice de ses droits fondamentaux en matière de mobilité et de communication, d’énergie, etc. Aucun coup d’arrêt significatif n’a été donné aux démantèlements en cours des services publics, démantèlement qui s’accentue depuis plusieurs années sous la houlette (toujours) des Socialistes et Sociaux-chrétiens au plan européen et (désormais) des Libéraux au plan national. Leur restructuration sur base de modèles et de cadres supérieurs importés du secteur privé (réforme Copernic) est lancée. Comme un chœur de pleureuses, le Parlement belge se cantonne à l’adoption de " résolutions " (un mode d’expression parlementaire relativement mineur) pâteuses sur le service universel en matière de télécommunications et de postes, ou sur la quatrième conférence ministérielle de l’O.M.C. à Doha (Qatar)… Dans le même temps, les mêmes continuent à voter la confiance après les discours et les actes musclés de M. VERHOFSTADT qui vont exactement en sens inverse. Car le gouvernement a explicitement refusé que la Belgique rallie la cause de nombreux PVD qui, pour protéger leurs propres services publics, demandent le report du nouveau round de négociations commerciales prévu dans trois semaines au Qatar. Dans le domaine de la réduction du temps de travail, pas grand chose en vue : en tout cas pas de réduction collective, ni de réduction contraignante pour les employeurs. Même point d’interrogation quant aux projets un moment évoqués de " semaine des quatre jours ". Par contre, le slogan éculé selon lequel " les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain " a la vie dure. En dépit des multiples démonstrations du caractère fallacieux de ce triptyque, des réductions de cotisations sociales sans condition d’embauche compensatoire ont été accordées l’an passé aux employeurs, pour un montant de 50 milliards. Et pour la première fois, a été rompu le lien jusqu’ici exigé entre la réduction des charges sociales des employeurs et l’obligation d’embaucher en compensation de celle-ci. L’Etat social actif est un instrument de déresponsabilisation de l’Etat et de culpabilisation des personnes exclues. On ne se bat plus pour supprimer la pauvreté, on l’encadre par diverses mesures publiques (réforme du minimex) ou privées (délégation à des associations et au secteur non gouvernemental). Au XXIème siècle, c’est le retour aux classes dangereuses du XIXème : la méfiance vis-à-vis des pauvres est omniprésente, couplée à un paternalisme qui revient au galop. Mais donnons enfin un vrai revenu (c’est-à-dire leur dignité) à ces personnes et, si nous répartissons le temps de travail, elles trouveront un emploi ! Au lieu de cela, la pression s’accentue sur ceux qui n’ont pas d’emploi, mais aussi sur ceux qui travaillent, soumis à un surcroît de stress et à des exigences de flexibilité de plus en plus grandes. Voir les chiffres publiés par le Soir du 25 octobre : 1 salarié sur 5 travaille le dimanche, 1 sur 3 le samedi, 1 sur 3 le soir, 1 sur 7 la nuit ; plus d’1 sur 4 souffre de stress… Le service public du placement se voit mis progressivement sur pied d’égalité avec les agences privées d’interim, dans un contexte où le travail intérimaire tend à devenir, pour un nombre de travailleurs en pleine explosion, un nouveau sous-statut non plus temporaire, mais à durée indéterminée. Parmi les mesures fiscales du gouvernement, trop nombreuses sont celles qui auront dans les faits une incidence anti-redistributive, c’est-à-dire accroissant les inégalités : le soutien de l’Etat aux régimes de pension extra-légaux, la suppression de la cotisation complémentaire de crise ou la réduction de la fiscalité immobilière (qui bénéficie aux propriétaires de logements) en sont des exemples. La plupart des mesures fiscales et sociales annoncées depuis le début de l’arc-en-ciel sont surtout profitables aux revenus moyens et hauts. Elles ne touchent que " par hasard " (quand elles les touchent) les couches les moins riches de la population (les personnes minimexées, les petits pensionnés et les chômeurs, en particulier les chômeurs âgés de longue durée, qui sont le plus en difficulté pour se réinsérer et m’ont toujours pas le statut VIPO). Tout se passe comme si la réduction de la pression fiscale sur les petits et moyens revenus du travail avait pour fonction de faciliter le maintien du blocage des salaires exigé par la norme de compétitivité. L’objectif du gouvernement n’est pas de redistribuer, il est d’assurer une soupape de sûreté vis-à-vis de celles et ceux que le blocage des salaires pourrait détourner de l’arc-en-ciel. En contre-point, la détaxation des revenus les plus hauts et le " ruling " annoncé (inspiré d’une expérience hollandaise caractérisée par l’opacité et la difficulté de contrôler démocratiquement les transactions passées sous ce régime entre le fisc et de grosses entreprises) profitent aux plus riches. Il manque de l’argent au Trésor public pour des politiques vraiment redistributives ? Mais où sont passés des points du Programme d’ECOLO (et du PS) comme la résorption de l’arriéré fiscal, l’impôt sur les grosses fortunes, le cadastre des patrimoines, la taxation des plus-values boursières, la lutte contre l’abus de secret bancaire (cfr l’Appel des Six Cents, sur lequel se sont engagés tous les parlementaires verts et rouges) ? Où sont, au moins, de petits pas significatifs dans ces bonnes directions-là ? 2. L’appui des Verts, au gouvernement et au Parlement, aux bombardements contre l’Afghanistan Il ne fait aucun doute qu’une solidarité politique sans faille devait s’exprimer au lendemain des attentats du 11 septembre vis-à-vis des USA. Mais le dérapage vers la solidarité avec une opération de représailles militaires indifférenciée s’est opéré très rapidement au sein du gouvernement, les ministres verts mettant leurs partis et groupes parlementaires devant le fait accompli. Sans protestation aucune des partis. Le forcing auquel ils avaient été contraints de céder une nouvelle fois au sein de l’arc-en-ciel a été maquillé par l’énoncé incantatoire de " conditions " dont nul ne pouvait ignorer, après la Guerre du Golfe notamment, qu’elles ne seraient pas, qu’elles ne pourraient techniquement, militairement et politiquement pas être respectées. Car ce sont les mêmes discours, ceux de la Guerre du Golfe, qui fleurissaient déjà au Pentagone et au sein de l’OTAN : la guerre propre, ciblée, chirurgicale, limitée à des objectifs militaires contrôlés par les terroristes, avec en prime le largage d’aide humanitaire aux populations asservies... L’escalade actuelle était malheureusement tout à fait prévisible, de même que l’usage d’armes spéciales – le recours aux armes à fragmentation rappelle le recours à des armes à uranium appauvri en ex-Yougoslavie. Prévisible
aussi, l’effet désastreux sur le monde arabo-musulman, dont une
partie est en train de glisser vers le camp des fondamentalistes, et
la déstabilisation en cours de l’une des poudrières de
la planète – cette région du Pakistan et de l’Inde, où
prolifèrent dissensions ethniques, affrontements religieux et
armes nucléaires. La responsabilité du gouvernement belge, qui préside l’Union européenne, est écrasante sur ces plans. Par des discours totalement inappropriés, des actes de soutien réaffirmés (comme récemment à Gand) aux Etats-Unis, l’arc-en-ciel déçoit. Où est le parler vrai et l’agir vrai du Ministre des Affaires étrangères ? Dans ce contexte, ECOLO et AGALEV font ce que tous les partis traditionnels font : ils jouent sur tous les tableaux dans le plus pur style du double, voire du triple langage selon qu’on se trouve au gouvernement, au parlement, ou devant les militants ou la presse : au gouvernement on dit et on fait " oui (avec un petit "si "), au Parlement on dit et on fait " oui " (avec un grand " mais ") et dans la rue, on dit " non " (on défile avec les pacifistes sous le mot d’ordre " non aux bombardements américains ").
Les deux champs politiques que je viens d’illustrer – la problématique de l’accroissement des inégalités et celle du soutien des Verts et du gouvernement à la guerre contre l’Afghanistan – illustrent à quel point les travers si souvent diagnostiqués hier par les Verts vis-à-vis de leurs alliés d’aujourd’hui au gouvernement sont en train de déteindre sur eux. Avec une rapidité déconcertante. La mesure d’exclusion du groupe parlementaire dont je suis frappé est elle-même la traduction d’une inversion complète des termes de l’éthique politique à laquelle j’ai toujours cru et que je continuerai, pour ma part, à appliquer :
Le pouvoir est en train de devenir pour les Verts une fin en soi et non plus l’instrument d’un authentique changement. La culture politique des Verts sous-estime complètement l’utilité de l’opposition parlementaire comme méthode qu’il faut parfois avoir le courage de reprendre (en dépit, par exemple, de l’efficacité récente du PSC lors des négociations de la Saint-Polycarpe, depuis l’opposition et malgré son délabrement actuel). Elle survalorise par contre les avantages de positions ministérielles dont on ne peut que constater désormais qu’elles entretiennent et accompagnent la tendance lourde néo-libérale bien plus qu’elles ne l’inversent. L’évolution interne d’ECOLO comme appareil et comme mouvement politiques est hélas superposable à cette inversion des valeurs. Un parti qui prône la revalorisation de l’action parlementaire cautionne depuis deux ans le principe du contrôle du Parlement par (et non sur) l’Exécutif, en contradiction formelle avec les règles constitutionnelles. Un parti qui prône l’ouverture, la tolérance et l’insertion tout en soutenant ici ou là des actions de désobéissance civile (Collectif sans tickets, Collectif contre les expulsions …) résout un conflit avec l’un de ses parlementaires en le castrant de toute faculté d’intervention politique (plus de droit de vote en commission, par exemple), sans assumer dans aucune instance le risque que constitue la confrontation de son Programme aux failles de son action gouvernementale. L’incohérence devient la règle, tout comme la justification par l’absurde (" Sans nous, ce serait pire ", " Ce sont les Socialistes, insuffisamment solidaires, qui portent la responsabilité des échecs du gouvernement… ") Le groupe parlementaire est " écoeuré " par la déclaration du Premier Ministre, mais il vote finalement " pour ". Le Secrétariat fédéral devrait conduire l’arbitrage du "probl ème " que constituerait ma contribution aux débats du 11 octobre et mon vote négatif, mais il se mêle immédiatement au conflit sur des bases autoritaristes. Le Conseil de fédération diffère encore une fois le débat de fond et encommissionne. La communication l’emporte une nouvelle fois sur la vérité et la clarté. Comme souvent ces derniers mois, tout est affirmé dans le même message, et son contraire : " des écoutes téléphoniques proactives… respectueuse des droits des personnes de ne pas être soupçonnées indûment ", " des bombardements… sans dégâts collatéraux " … et, depuis le 18 octobre, " un député exclu du groupe parlementaire … mais toujours membre du parti " ! Tout est investi dans des procédures, rien dans la vérité du débat et la clarté des enjeux : si je suis " encommissioné ", c’est parce que l’évaluation des participations gouvernementales a elle aussi été parcellisée, cloisonnée, saucissonée : on dépolitise un enjeu en l’abandonnant à des experts dans le contexte d’une procédure lourde et anti-participative, dont l’aboutissement est toujours reporté à plus tard (lorsque l’enjeu proprement politique et démocratique aura disparu, évidemment). ECOLO rappelle la valeur du " collectif " au moment de m’exclure du groupe parlementaire, mais a démissionné depuis plusieurs mois sur l’enjeu essentiel de la défense des intérêts collectifs supérieurs et du bien commun contre les logiques marchandes qui déterminent la plupart des choix stratégiques de l’équipe Verhofstadt. Conclusions
Si nous sommes, comme cela s’est beaucoup dit à Ecolo ces derniers temps, " d’accord sur le fond ", nous pourrons peut-être un jour nous rejoindre… à condition que le retour d’Ecolo à ses valeurs et à ses méthodes fondatrices ne soit pas, par exemple à la veille d’une campagne électorale, un commode ravalement de façade.
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