Le libéralisme mondialisé à marche forcée au Parlement belge

CHASSE PAR LA PORTE EN 1998,

L’A.M.I. SERAIT-IL EN TRAIN DE REVENIR PAR LA FENÊTRE

DEPUIS OCTOBRE 1999 ?

On s’en souvient, 1998 a été marqué par l’abandon, suite aux mobilisations syndicales et associatives puis politiques, du projet d’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) préparé par l’OCDE et éventé par Le Monde diplomatique. De la mi-1997 au 14 octobre 1998 (jour où M. Lionel JOSPIN signait l’arrêt de mort du projet d’accord en annonçant son rejet par la France), plusieurs interpellations et résolutions des Socialistes, des Verts et de la VU ont demandé au gouvernement DEHAENE de rappeler ses négociateurs, voire de sortir de la négociation en cours.

 

Le zèle mondialisateur de " l’arc-en-ciel "

Le projet d’AMI a donc été " suspendu " (on s’attend à une reprise des pourparlers en 2003, cette fois dans le cadre de l’OMC). Mais le danger reste présent : alerté par M. Jean-Claude DEROUBAIX, professeur à l’ULB et à Paris-III, je me suis aperçu qu’au cours des 30 derniers mois, pas moins de 37 " accords bilatéraux d’encouragement et de protection des investissements " (ABI) ont été adoptés (y compris grâce à mon propre manque de vigilance) par l’une au moins des assemblées parlementaires fédérales. Cela témoigne d’un authentique zèle mondialisateur de la majorité " arc-en-ciel ", inédit dans l’histoire récente des relations économiques extérieures de la Belgique.

Enjeu anecdotique ? Pas du tout : depuis 1995, ce sont les investissements des sociétés transnationales qui constituent, plus encore que le commerce international, le moteur de la mondialisation néo-libérale.

Accords bilatéraux ordinaires ? Non, rejetons en ligne directe de feu l’AMI, ces accords présentent avec le projet qui avait suscité l’opposition des parlementaires belges en 1998 bien des traits communs.

 

Les ABI, descendants en liogne directe de feu l’AMI

De quoi s’agissait-il - et s’agit-il, malheureusement, toujours ?

Pour ces ABI d’aujourd’hui comme pour l’AMI d’hier, l’objectif est et reste d’assurer la plus libre circulation des investissements. Il faut faire sauter toute limite à l’action des entreprises privées pour maximiser leurs profits au sein de marchés les plus ouverts possible, où que ce soit dans le monde.

Dans les deux cas, cet objectif prime clairement sur le droit international (un mécanisme de règlement des conflits entre Etats et compagnies privées est prévu hors de toute référence aux traités onusiens de protection des travailleurs ou de l’environnement).

Pour ces ABI comme pour l’AMI, cet objectif passe également avant toute politique de régulation économique nationale. A des entreprises qui estimeraient le rendement de leurs investissements grevé par de telles politiques, les ABI permettent même de faire condamner les Etats " coupables " (par l’organe de règlement des conflits prévu par ces traités) au versement de substantielles " compensations " financières.

Ainsi, la compagnie US Ethyl, a-t-elle pu obtenir du gouvernement canadien des dommages et intérêts pour perte de bénéfices et atteinte à sa réputation suite à l’interdiction, par Ottawa, d’un additif pétrolier toxique qu’elle commercialisait.

Pour ces ABI comme pour l’AMI, l’objectif de libéralisation l’emporte sur toute préoccupation sociale, environnementale (santé, sécurité civile et industrielle…), culturelle, éducative (transferts de technologies…) ou d’intérêt général au sens large.

 

Entreprises privées d’obligations, Etats contraints à accepter les privatisations

Les ABI présentent donc les mêmes traits que feu l’AMI : même sacralisation, au-delà de toute mesure, du droit de propriété, même disproportion entre les obligations que les Etats s’imposent et les libertés qu’ils concèdent aux entreprises privées, même acception très large de la notion " d’investissement " et " d’investisseur " (cfr par exemple les articles 1ers des ABI avec le Salvador, avec le Koweït et avec le Yémen, soumis au vote des députés ce jeudi 28 mars), même mécanisme de règlement des conflits (articles 9), même type de protection accordée à l’investissement (interdiction des mesures " discriminatoires " ou simplement " injustifiées ", indemnités à verser par les Etats aux investisseurs privés en cas de nationalisations, expropriations, réquisitions ou troubles de l’ordre public préjudiciables à l’entreprise)…

Ce qu’on ne trouvait guère dans l’AMI ne se trouve pas non plus dans les ABI : aucune référence autre que symbolique aux acquis de l’OIT ou de l’ONU en matière de droits humains ou de droits de l’enfant, ni aux traités relatifs à l’exploitation des mers ou à la réduction des gaz à effets de serre par exemple, rien dans ces ABI qui soit de nature à rendre enfin contraignants les principes directeurs de l’OCDE régissant l’activité des entreprises transnationales – un objectif dont M. Elio DI RUPO, alors ministre de l’Economie, avait fait un cheval de bataille pour notre pays…

 

Demain, Socialistes et Verts vont-ils voter comme ils parlent ?

Que répondra, ce jeudi à la Chambre, le gouvernement aux questions qui lui ont été posées sur la filiation AMI-ABI ? La majorité dite " arc-en-ciel " parlera-t-elle d’une seule voix ? Surtout, comment voteront les élus, maintenant que l’alerte est donnée ? Comme en 1998, l’année qui les avait vus se mobiliser pour rejeter l’AMI ? Comme, il y a quelques semaines à Porto Alegre, où ils ont décliné leur profession de foi anti-capitaliste sur le thème " Un autre monde est possible " du second Forum social mondial ?

Ce qui est déjà certain, c’est que, si les parlementaires belges les cautionnent et si une dynamique similaire est à l’œuvre dans les autres Etats du monde, ces ABI mis bout à bout auront demain les mêmes effets dévastateurs que ceux qui auraient découlé de l’AMI légitimement refusé il y a quatre ans.

 

Vincent DECROLY,

Député (indépendant)