Un pamphlet antisémite circule dans les milieux propalestiniens radicaux * LE MONDE | 12.06.02 Sur la couverture , une vieille femme palestinienne exprime sa douleur en levant les bras au ciel. Ce petit opuscule de 64 pages a pour titre Le Manifeste judéo-nazi d'Ariel Sharon. Il prétend dénoncer " les origines du génocide actuel des Palestiniens" et s'en prend violemment au premier ministre israélien, qualifié de " nazi". Le texte se présente comme un long entretien avec le général Sharon, réalisé en 1982 par l'écrivain israélien Amos Oz, repris dans un livre paru en français en 1983, sous le titre Les Voix d'Israël (Calmann-Lévy). On le trouve dans une librairie islamique de la rue Jean-Pierre-Timbaud, à Paris. Il était largement diffusé sur les stands de livres au cours de la rencontre annuelle des musulmans de France au Bourget, début mai. Le contenu en est terrible. Le personnage interrogé par Amos Oz, dans le contexte de l'opération "Paix en Galilée" menée par l'armée israélienne au Liban en 1982, se définit lui-même comme un "judéo-nazi" et se dit prêt à appliquer aux Arabes les mêmes méthodes qu'Hitler a utilisées contre les juifs : " Moi, aujourd'hui encore, je suis prêt pour le peuple juif à me charger d'exécuter le sale travail, de tuer les Arabes selon le besoin, de chasser, brûler, exiler, tout ce qu'il faut pour nous faire détester. Prêt à chauffer le sol sous les pieds des "yids" de la diaspora jusqu'à ce qu'ils soient obligés de se précipiter ici en hurlant. Même s'il me faut pour cela faire sauter quelques synagogues. Cela me serait égal." Pour les éditeurs de cet opuscule, il ne fait aucun doute qu'Ariel Sharon est l'auteur de ce qu'ils considèrent comme " une véritable profession de foi nazie", qui " résume l'idéologie sioniste". Amos Oz n'a jamais révélé l'identité de son interlocuteur, qu'il désigne seulement par la lettre T. Il s'en explique dans Les Voix d'Israël : "Comme T. refuse toujours de "se découvrir", je suis contraint de respecter la promesse que je lui ai faite de conserver son anonymat." Mais l'écrivain israélien, militant de longue date du camp de la paix, interrogé par Le Monde diplomatique, a affirmé de façon formelle que le personnage qui s'était confié à lui - aujourd'hui décédé - n'était pas Ariel Sharon. Un élément du texte vient confirmer cette assertion : dans l'entretien reproduit dans Les Voix d'Israël, T. affirme être prêt à assumer les violences contre les Arabes " avec Sharon, Begin et Rafoul -Eytan-". On voit mal Ariel Sharon se citer lui-même... De manière significative, dans le petit libelle diffusé dans les milieux islamistes, la citation a été tronquée et le nom de Sharon a disparu. PUBLIÉ PAR DES ASSOCIATIONS Depuis longtemps, cette " vraie-fausse interview"circulait sur Internet. Un personnage pour le moins ambigu est à l'origine de sa publication : Mondher Sfar est un universitaire tunisien au passé marxiste, opposant au régime du président Ben Ali, qui vit en France depuis 1974. Au début des années 1990, il a publié trois articles négationnistes dans la Revue d'histoire révisionniste.Il s'y livrait à une dénonciation forcenée du " mythe des chambres à gaz", des "prêtres de l'Holocauste qui ont élevé la mémoire d'Auschwitz au rang d'une religion". Dès cette époque, il s'en prenait aussi au " fascisme juif contemporain". Mondher Sfar dirige aujourd'hui le Collectif de la communauté tunisienne en Europe. Interrogé par Le Monde, il persiste à se dire " convaincu que Sharon est l'auteur du Manifeste". "Et même si ce n'est pas lui, ajoute-t-il aussitôt, l'auteur de ce texte doit être dénoncé comme antisémite !" Les autres associations à l'origine de la publication du Manifeste sont le Parti des musulmans de France, le Parti de la France plurielle, l'Arab Commission of Human Rights et La Pierre et l'olivier. Créé en 1997 par Mohamed-Nasser Latreche, le Parti des musulmans de France est un groupuscule à l'origine de plusieurs manifestations propalestiniennes, dont l'une, à Strasbourg le 7 octobre 2000, s'est accompagnée des cris de " Mort aux juifs !" (Le Monde du 7 novembre 2000). La Pierre et l'olivier est une association propalestinienne radicale présidée par Ginette Skandrani. Cette ancienne militante écologiste, qui a appartenu un temps à la direction nationale des Verts, est très active dans les milieux tiers-mondistes. Selon Jean-Yves Camus, collaborateur de l'hebdomadaire Actualité juive, Mme Skandrani a également noué des contacts avec la droite radicale : en 1999, elle signe, au nom du mouvement de gauche Alternatives 21, un appel hostile aux frappes de l'OTAN contre la Serbie, lancé par les cadres de la Nouvelle droite. La présidente de La Pierre et l'olivier a rédigé récemment pour le site geostrategie.com un article sur la situation à Jénine, titré "Au secours, les nazis sont de retour". Elle y compare le camp de réfugiés à un " camp de concentration" et évoque " la fumée et l'odeur de mort" qui y régneraient... Le Manifeste judéo-nazi s'ajoute à une longue liste de pamphlets contre les juifs, comparable au tristement célèbre Protocole des sages de Sion. Il illustre comment certains milieux propalestiniens radicaux sont passés insensiblement de l'antisionisme à l'antisémitisme. Xavier Ternisien * ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.06.02