NOTRE GUERRE CONTRE L'EMPIRE

LES " TUTE BIANCHE " ITALIENNES ET LA CONTESTATION DU G8

PAR ENRICO PEDEMONTE

Entretien avec Luca Casarini, porte parole des " Tute Bianche " italiennes, par Enrico Pedemonte de l'hebdomadaire italien L'Espresso. Paroles d'un représentant de ces " Tute Bianche ", dont le journaliste dit qu'il s'agit d'" un incroyable mouvement qui à la fois fascine et inquiète ", saisies à la fête de Radio Sherwood à Padoue.

Enrico Pedemonte - Le ministre des Affaires étrangères Renato Ruggiero, puis Silvio Berlusconi a son tour, ont déclaré que les objectifs du " peuple de Seattle " et ceux du gouvernement [italien] sont identiques. Que se passe-t-il ?

Luca Casarini - Ils ont peur. Ils comprennent que ce mouvement est destiné à se développer. Le fait qu'à Göteborg, en Suède, il y ait eu 25 000 personnes signifie qu'à Gênes il y en aura 200 000 : rien que nous, nous serons 10 000 prêts à des actions de désobéissance civile. Et ce n'est pas qu'une question de manifs. Il suffit de regarder la multiplication dans les super-marchés des rayons de produits biologiques, ou la crise des entreprises liées aux transgéniques comme Monsanto. Nos manifestations finissent sur les écrans des TV du monde entier : ce sont comme des millions de cartes postales qui arrivent dans les maisons des exploités.

Enrico Pedemonte - A regarder vos dernières apparitions, on a l'impression quer vous disposez d'un service marketing.

Luca Casarini - Non, il n'y a pas dmone marketing. Nous avons des experts en communication. Nous savons ce qu'il faut faire pour que l'on parle de nous. Quand un journaliste du quotidien Il Giornale (quotidien populiste de droite - NdT) me téléphone et me demande, implicitement, de lui livrer un scoop pour la " une ", moi je répond : " à Gênes nous déclarons la guerre aux grands de ce monde ". Et ils le mettent en première page. Ou alors nous sortons cette histoire des " hommes-taupes " qui sont déjà au travail, à Gênes, pour creuser des souterrains. Et eux ils mordent à l'hameçon.

Enrico Pedemonte - Vous avez aussi déclaré que vous jetteriez des sacs de sang contaminé par le Sida ?

Luca Casarini - Non. Ça c'est de l'intox des services secrets. Il suffit de regarder la signature des journalistes qui ont sorti en premier cette affaire : des gens qui sont traditionnellement des honorables correspondants.

Enrico Pedemonte - Quels moyens utiliserez vous à Gênes ?

Luca Casarini - Nous ne pouvons rien révéler. Mais ce seront des armes créatives, conçues pour percer la communication tout autant que le mur qui entoure la " zone rouge ". Ce sera des instruments tellement absurdes qu'ils deviendront amusants.

Enrico Pedemonte - Vous aimez les métaphores : Gênes est une cité médiévale, alors voilà l'Empire assiégé par les gueux.

Luca Casarini - Nous avons mis au point pour Gênes un message très fort, fondé sur la métaphore médiévale : nous nous sommes inspirés du film Braveheart. Nous voulons dire que nous sommes arrivés à un nouveau Moyen-Age, où il y a d'un côté le maximum de la puissance technologique et de l'autre les enfants de six ans qui dans le tiers de cousent des chaussures pour Nike. Les métaphores sont des instruments irrésistibles. La chose la plus incroyable est que nos adversaires tombent dedans. Plus nous parlons de forteresse assiégée, plus ils travestissent leurs policiers en " robocop ".

Enrico Pedemonte - Vous êtes critiqués : on dit que vous utilisez trop le langage " hollywoodien ", donc celui de l'ennemi.

Luca Casarini - Nous utilisons un langage qui porte, celui qui touche les gens. Ce n'est pas pour rien que Hollywod est gagnant. C'est la société de la communication. Nous ne pouvons pas en ignorer les codes.

Vous êtes en conflit avec la frange la plus violente du mouvement. Dans ce cas aussi ce qui vous sépare c'est la stratégie de communication.

Luca Casarini - La violence n'a rien à voir. Nous nous battons pour que la ville ne soit pas touchée. Si tu mets le feu à une maison, le propriétaire te haïra, et demandera à la police d'être encore plus dure. L'enjeu est de gagner le soutien des habitants de Gênes. La discussion violence/non-violence n'a pas de sens. Nous nous pratiquons la désobéissance civile. Nous voulons empêcher le déroulement du G8. Nous voulons pénétrer dans la " zone rouge " qui entoure le sommet. Mais les actions doivent être décidées en fonction de comment elles sont perçues par les gens.

Enrico Pedemonte - Quel sera le slogan principal à Gênes ?

Luca Casarini - Une idée nous avait été involontairement suggérée par Renzo Piano qui voulait construire à Gênes un gigantesque dôme de cristal plein de papillons : la " papillonnière ". S'il avait réalisé son projet le slogan pour notre banderole de tête aurait été : " libérons les papillons ". Quel esprit pervers peut bien inventer un tel symbole ? Cela aurait été un objectif qui valait la peine de prendre des risques. Mais nous avons trop parlé au cours d'une conférence de presse, et la " papillonnière " ne se fera pas.

Enrico Pedemonte - La violence est montée d'un cran à Göteborg. La police a tiré. Mauvais présage.

Luca Casarini - Oui. Quattre cent " Tute Bianche " ont été arrêtés de façon préventive et détenus pendant quattre jours. C'est une vieille technique fasciste que celle de faire le ménage du côté des subversifs avant le passage du Duce. Et ensuite la police a tiré sur ce jeune pendant qu'il s'enfuyait. C'est le début d'une nouvelle offensive essentiellement politique

Enrico Pedemonte - Qu'est-ce que cela signifie ?

Luca Casarini - Le ministre allemand de l'Intérieur, Otto Schilly, a d'abord déclaré qu'il fallait systématiser l'arrestation préventive des individus dangereux. Puis Tony Blair, parlant de nous, a commencé à utiliser le terme " hooligans ". Blair est très habile : il a imposé le New Labour comme nouveau logo. Et ce qu'il tente à notre égard est une opération très sophistiquée. Il veut remplacer le terme " peuple de Seattle ", qui dans l'imaginaire collectif a une connotation positive, par le terme de " hooligan ", profondement négatif. Ensuite Berlusconi est arrivé et il a traduit " hooligans " par " casseurs ".

Enrico Pedemonte - Vous parlez d'images et de coommunication, mais dans vos cortèges la violence n'est pas virtuelle, les coups s'échangent pour de vrai.

Luca Casarini - L'illégalité de masse est fondamentale pour changer les choses, ceci depuis les temps reculés où les gens prennaient d'assaut les dépôts de pain. Berlusconi devrait le savoir, lui qui a pratiqué l'illégalité rémunérée. S'il y a des modifications du code pénal sur l'abus de biens sociaux ce sera le produit d'une pratique diffuse de l'illégalité et du fait que certains l'ont revendiqué politiquement (allusion au projet du gouvernement italien de " dépénaliser " certains délits économiques - NdT). Je crois que lui comprend plus que d'autres ce qui est en train de se passer.

Enrico Pedemonte - Pourquoi ?

Luca Casarini - Parce que Berlusconi connaît bien le monde de la communication : son expérience personnelle est celle des premières élections gagnées grace à un logo et une campagne de marketing. Il se dit le " peuple de Seattle " est en train de faire circuler de par le monde une image de nous qui est celle d'empereurs violents, assiégés par les multitudes qui sont autour du palais. Il a raison. C'est cela notre stratégie pour combattre l'Empire. Ceux qui nous demandent pourquoi à Gênes nous sommes disposés à mener la bataille contre la police devraient aller voir comment on vit dans le Sud du monde, là où il y a la majorité de la population mondiale. Il y a un milliard et demi de personnes qui, d'après la Banque mondiale, vit avec moins d'un dollars par jour.

Enrico Pedemonte - L'interview pour L'Espresso est terminée. Au quotidien Il Giornale, vous auriez racconté des choses différentes ?

Luca Casarini - J'aurais dit : nous sommes en train d'organiser nos armées pour une attaque par la mer. Nous avons une nouvelle formule de néoprène pour les " Tute bianche " de plongée, qui ne peut être repérée par les radars.

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