Donc, la presse ne s’est pas beaucoup émue de cette histoire. Sur la délégation de PRW, pas un mot à première vue dans Le Soir, et seulement un petit article dans La Libre Belgique, un article qui vaut la peine d’être analysé d’un peu plus près. Dès l’avant-titre, le ton est donné : ‘PRW, d’extrême gauche, accuse les autorités d’atrocités’. L’article est divisé en trois parties. Dans la première, Geneviève Delaunoy rappelle sommairement l’affaire et explique l’histoire des fax échangés entre les ministères des affaires étrangères. Ensuite, la partie la plus longue de l’article situe, de façon très détaillée et fort critique, l’association PRW. On apprend que son président est un ancien mandataire PSC, reconverti selon ses propres dires dans la gauche radicale. On apprend aussi que PRW regroupe notamment des gens d’Ecolo, du PS, et du PTB, tout en étant indépendant de tout parti. Geneviève Delaunoy rassemble ensuite tout son sens critique pour s’étonner du fait que le nom de l’association ressemble de trop près à celui de Human Rights Watch, mondialement connue. Pire, avant ça, PRW s’appelait Prisons Watch International, alors qu’il existait déjà un Observatoire international des prisons. ‘Curieux,’ écrit-elle, ‘cette similitude dans les noms, qui crée la confusion des genres et brouille la lisibilité des actions sur le terrain.’ Autre objet de suspicion : le mandat de la Ligue des droits de l’homme. PRW dit avoir reçu mandat de la LDH, écrit la journaliste. Or, poursuit-elle, renseignements pris, ni le directeur ni le président de la LDH n’ont donné mandat à PRW. Elle explique ensuite que c’est dû au départ dans l’urgence de la commission, et que c’est en fait un seul des 24 administrateurs de la Ligue qui aurait donné son aval, alors que le règlement interne stipule qu’en cas de situation urgente, il faut impérativement que trois responsables décident. ‘Malentendu ou désinformation ?’ se demande-t-elle. Finalement, il ne lui restait plus beaucoup de place pour parler du principal, à savoir les conclusions de la commission d’enquête, qu’elle répercute en trois phrases, pas une de plus. Elle qualifie même ces conclusions de ‘sévères’ ; non pas ‘accablantes’, ou ‘choquantes’, mais ‘sévères’ pour ce pauvre état turc qui a déjà assez de mal comme ça à préserver l’ordre public sur son territoire. D’un côté, on pourrait se réjouir de voir exceptionnellement une journaliste faire preuve de sens critique. Seulement, une fois de plus, on s’aperçoit que ce sens critique s’exerce à sens unique, puisque les crimes turcs sont rappelés de façon tout à fait laconique et ne sont absolument pas mis en perspective, et que l’article sert finalement plus à tirer sur le messager qu’à répercuter son message. ‘On nous dit ceci et cela, mais attention, attention, bon peuple, le messager est de gauche.’ On a également appris récemment que le FMI et la Banque mondiale ont décidé d’octroyer à la Turquie un soutien financier de 11 milliards de dollars, soit environ 500 milliards de FB, afin de conjurer la menace d’une crise financière. En échange, l’état turc doit réformer le secteur bancaire et accélérer les privatisations. Turk Telecom et Turkish Airlines ont déjà été partiellement privatisés, et ce sera bientôt le tour du secteur de l’électricité, tout cela au grand enchantement des investisseurs occidentaux. Une seule absence dans les conditions, le FMI et la BM oublient complètement de parler du poste qui grève le plus sévèrement le budget de la Turquie, j’ai cité la défense nationale. En 1999, plus de 10% du budget turc était alloué à la défense. En l’an 2000, cette dépense représentait 6% du PNB, le pourcentage le plus élevé de tous les pays de l’OTAN. Les mauvais esprits y verront un rapport avec le fait que ce budget sert en grande partie à acheter en masse des équipements militaires fournis par les marchands d’armes occidentaux, Boeing en tête. Ces équipements militaires servent notamment à violer les droits de l’homme au Kurdistan turc, mais bon, il ne faut pas voir le mal partout. Un conseil que suit d’ailleurs la Libre, puisque je n’ai lu aucun article orné d’un avant-titre du genre : ‘Le FMI et la BM, institutions ultra-libérales qui défendent les intérêts économiques occidentaux, octroient des financements massifs à un pays coupable de violations massives des droits de l’homme’. Sens critique d’accord, mais il ne faut tout de même pas exagérer.