Traduction d¹un autre texte
de Giap, bulletin de Wu Ming
Fragments d¹une narration chorale
« Mon
ami Mingo et moi étions en tête du cortège de la désobéissance civile, vendredi
20 juillet 2001. Mon ami Mingo et moi, de concert avec d¹autres camarades, nous
poussions les boucliers collectifs, montés sur roues, qui devaient servir à
protéger la tête du cortège de la charge des forces de l¹ordre. Mon ami Mingo
et moi nous transpirions et nous peinions le long des très longues rues, le
Corso Europa, qui devient la via Tolemaide, sous le soleil et sous les
cuirasses de plastique et de mousse plastique. Nous n¹avions pas d¹objets
contondants, encore moins l¹intention de faire du mal à qui que ce soit.
Avec tous les tute
bianche, nous avions souscrit à la " Déclaration de paix à la ville de
Gênes ", où nous avions fait savoir à tous que nous n¹endommagerions
pas la ville ni n¹attaquerions les personnes (agents de la sécurité publique
compris). Devant nous, au-delà des boucliers de plexiglas, il y avait le groupe
de contact, composé de parlementaires, d¹avocats, porte-parole des centres sociaux
et don Vitaliano della Sala. Nous avancions pacifiquement, sans rien abîmer,
avec l¹intention d¹arriver le plus près possiblede la zone rouge, de résister
le plus possible à la charge des forces de l¹ordre et puis de nous retirer en
bon ordre (autant que possible).
Mais quand nous étions encore à au moins un
demi-kilomètre à la limite de la zone rouge, arrivés à un croisement, le groupe
de contact a été subi un lancer de lacrymogènes depuis une rue latérale, d¹où
un peloton de carabiniers avait pris position dans l¹attente de notre passage.
Il n¹y a pas eu d¹ultimatum, d¹invitation à s¹arrêter. Après les premières lacrymogènes,
les carabiniers ont surgi devant le cortège et ont chargé.
Mon ami
Mingo et moi nous n¹avons pas eu le temps de nous rendre compte de rien : une
seconde avant, nous poussions les boucliers, une seconde après nous nous sommes
retrouvés à pousser sur ces mêmes boucliers pour nous protéger des coups de
pied, des coups de matraque et des lacrymogènes tirées à hauteur d¹homme.
Nous
avons tenu. Mais de dessous les boucliers, les carabiniers nous ont fait rouler
entre les pieds des lacrymogènes à gaz urticant, contre lesquels les masques
antigaz que nous nous portions n¹ont pas pu grand chose. J¹ignore ce qu¹était
cette substance verte. Elle brûlait la peau et les muqueuses, mais surtout,
elle coupait littéralement le souffle, nous empêchant de respirer. Moi, j¹ai dû
lâcher prise et courir en arrière, enveloppé d¹un épais brouillard, en proie
aux vomissements et aux convulsions.
Mon ami
Mingo n¹a pas eu autant de " chance ". Le bouclier sur son flanc est
tombé et la tête du cortège s¹est ouverte : les carabiniers ont fondu sur lui,
le frappant à coups de matraques, lui brisant la cloison nasale et l¹entraînant
avec eux. Dans la camionnette, ils l¹ont frappé chacun son tour, en le menaçant
de mort et en définissant ce sympathique turn-over comme leur " petit jeu
". Ils n¹ont même pas pris la peine de relever son identité et de
l¹arrêter : après l¹avoir convenablement tabassé, ils l¹ont abandonné aux
urgences. Plus tard, tandis que le cortège reculait et revenait sur ses pas,
vers le stade Carlini d¹où il était parti, les carabiniers ont continué à
attaquer les derniers rangs avec des lacrymogènes urticants, avec les
autopompes et les blindés, au risque d¹écraser quelqu¹un. Des milliers de
personnes qui se retiraient pacifiquement ont été attaquées sur un kilomètre et
demi, jusqu¹à quelques centaines de mètres du stade, tandis que les gens se
piétinaient entre eux, en proie à la panique. Par chance, nous avons disposé
les boucliers collectifs sur le dernier rang et nous avons réussi à protéger la
retraite sans que la terreur ne disperse le cortège en mille ruisseaux. Ce fut
grâce à nous, si ce cortège ne s¹est pas transformé en sauve-qui-peut général
indistinct et fou, au risque que tout finisse en riot et en guerilla urbaine.
Mais qui
sommes-nous, mon ami Mingo et moi ? Qui sommes-nous, nous deux dangereux "
factieux " et " criminels " qui méritaient l¹attaque féroce, sur
le front et dans le dos, l¹intoxication et les coups de la part des gardiens de
l¹ordre ?
Je suis fils d¹un ouvrier et d¹une enseignante. J¹ai vingt-huit ans. Je suis licencié en philosophie. Sans antécédents judiciaires. Mon métier est d¹écrire, je suis romancier. Plus d¹autres petits boulots alimentaires. Je vis dans un très modeste appartement à Bologne. Mon ami Mingo a mon âge, il est DJ dans quelques boîtes bolonaises et dans une radio indépendante de la même ville. Il est assez connu et apprécié de tous pour son humour. Qui croyaient-ils attaquer, les jeunes en uniformes qui ont été lancés contre nous ? Qu¹est-ce qu¹on leur avait raconté sur notre compte pour déchaîner tant de férocité ? Et surtout : qu¹avons-nous fait de mal pour mériter tout cela, à part vouloir manifester contre l¹injustice planétaire infligée par les pays riches aux pays pauvres ? »