Vous êtes député socialiste européen et vous faites partie, au sein du Parlement européen, de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense. Vous participez donc à nombre de débats parlementaires, lesquels réunissent toutes les familles politiques. Quelle est l'attitude des différents groupes par rapport au conflit moyen-oriental ? C'est clair : tous les pays de l'Union européenne, toutes les tendances politiques à commencer par la gauche sont unanimes dans la réprobation de l'État d'Israël. Les Quinze sont au même diapason, à l'exception peut être de l'Allemagne. Et encore ! Certes, au niveau gouvernemental, elle se comporte bien, mais le groupe parlementaire allemand est totalement décomplexé par rapport au passé ; il se montre même particulièrement virulent à l'égard d'Israël. Nombre de gens en France pensent que cette hostilité est le monopole du Quai d'Orsay. Malheureusement, je crains que le phénomène ne devienne mondial. Nous sommes entrés dans ce que j'appelle la « durbanisation des esprits ». Comment, selon vous, s'explique cette situation ? Par essence, l'État juif insupporte aujourd'hui comme la présence juive insupportait naguère en Europe. Le phénomène est évidemment lié à l'antisémitisme et à ce que les juifs ont de singulier : d'une part, le rapport qu'ils entretiennent à la loi qui leur est propre n'est pas compris ; d'autre part, ils sont les témoins d'une mémoire commune, enfouie et, par essence, non assumée. Depuis Durban, un phénomène est apparu, lâche et pervers, qui consiste à faire d'Israël le bouc émissaire du mal développement. Ce que nous venons de vivre à Karachi, comme ce que nous avons vécu le 11 septembre, était à mes yeux déjà contenu dans Durban. Durban préfigure un phénomène durable, profond, donc tragique. Il faudra se battre beaucoup pour qu'Israël ne fasse pas les frais des colères du sud conjuguées aux lâchetés du nord. Hannah Arendt a été la première à dénoncer ce qu'elle a appelé « la banalité du mal ». Ne sommes-nous pas exactement dans cette logique-là ? Il me semble bien que oui. Nous venons de vivre dans le monde deux années de coups et blessures contre des personnes parce qu'elles sont juives. Deux années écoulées dans le silence avant qu'une molle prise de conscience médiatique et politique semble enfin s'opérer. On voit à quel point le mal est profond. Et surtout combien tout témoigne d'un antisémitisme de droite et, plus encore, de la naissance d'un antisémitisme de gauche comme d'un antisémitisme musulman. Les propos tenus par José Bové me semblent pour le moins tout autant répréhensibles que certains propos de Le Pen. Cet antisémitisme de gauche, déguisé en antisionisme, sévit aujourd'hui en France dans tous les partis de gauche,à commencer par les Verts. Malheureusement, le PS n'en est pas exclu. Mais personne ne semble prêt à le dénoncer… Nous sommes dans une situation inédite et paradoxale, puisque l'on peut constater que la France est, à l'heure actuelle, et antiraciste et antisémite. Cependant, il faut préciser, pour être tout à fait juste, que la dimension du phénomène est avant tout internationale. D'autres pays ont moins d'anticorps que la France. Je pense particulièrement à la Belgique où l'antisémitisme s'étale dans les colonnes des journaux, je pense au Danemark, à l'Espagne encore où les choses vont très mal également. Il y a quelques semaines, le Parlement européen votait un projet de résolution sanctionnant Israël. Résolution très grave puisqu'elle demandait la rupture de l'accord d'association Europe-Israël. Cette démarche-là s'inscrit-elle, selon vous, dans le processus que vous venez de décrire ? Tout d'abord, il faut que vous sachiez à quel point la situation serait grave pour Israël si cette résolution était adoptée puisque l'Europe est le premier partenaire économique d'Israël. À ce sujet, il s'est engagé au cours de la session parlementaire un combat acharné. Pour ma part, je l'ai mené avec les armes que j'avais. Comme la délégation socialiste française était partagée, j'ai demandé que nos positions soient tranchées par un vote. En un premier temps, une majorité s'est dégagée contre la résolution. Le lendemain matin, changement de cap, la résolution a finalement été adoptée par 269 voix contre 208 et 22 abstentions. La délégation française, alors que rien n'était prévu après le premier vote, avait jugé bon de se réunir de nouveau et avait pris une position contraire. Michel Rocard a même expliqué pourquoi il avait finalement voté cette sanction. Mais je ne voudrais pas lui imputer la responsabilité de ce retournement du PS – il y a tout de même eu 269 votes en faveur de la sanction. C'est d'autant plus inquiétant car elle a été votée, à les écouter, par une majorité « d'authentiques amis d'Israël ». Ces « amis d'Israël » ne se sont pas élevés non plus contre les attentats antisémites qui, depuis de nombreux mois, se sont multipliés en France et en Belgique. Ces attentats ne sont pas perçus, même par les plus hauts responsables, comme des faits politiques graves - mais plutôt comme des manifestations d'houliganisme communautaire. La gravité réelle et symbolique de ces attentats n'a donc été relevée nulle part et l'on peut constater à quel point ils émeuvent moins que les souffrances des Palestiniens. Cela se passe pourtant sur le sol européen, cela concerne pourtant l'Europe. Là-dessus, les socialistes européens devraient être en pointe, les Quinze devraient prendre des résolutions. Mais tout le monde se tait. Le PS français d'aujourd'hui n'est plus celui de Jaurès, de Blum et de Mendès France. Au niveau européen, la situation est pire encore. Nous vivons dans des démocraties où les images pèsent plus que la mise en perspective des choses. L'image d'un Goliath israélien contre un David palestinien est plus forte que toutes les explications. N'a-t-on pas trouvé à Jénine et à Ramallah des éléments édifiants sur la culpabilité de l'Autorité palestinienne ? Je suis effaré de voir comment Arafat est béatifié alors que toutes les traces de sa culpabilité apparaissent au grand jour – je pense en particulier aux documents comptables signés de sa main qui montrent son implication directe dans les attentats-suicides. Chris Patten, Commissaire européen aux Affaires extérieures, déclarait encore récemment, alors qu'il est précisément, en possession de ces documents, que si la preuve de leur véracité est avérée, alors… Autrement dit, il réclame la preuve, de la preuve…des choses. C'est un cercle infernal. Avec beaucoup d'arrogance, Patten manie la langue de bois. Il a vraiment beaucoup de mal à se départir de sa perruque de gouverneur de Hong-Kong et c'est avec morgue qu'il aborde la question du Moyen-Orient. Ne répond-il pas, par exemple, que l'Europe n'y est pour rien dans l'éducation des enfants palestiniens car « si l'Europe finance les salaires des enseignants et les bibliothèques palestiniennes, elle ne finance pas l'impression des manuels scolaires » antisémites ? Chaque citoyen européen peut logiquement s'alarmer de cette Europe oublieuse de l'essentiel pour son avenir. Si l'Europe ne reste qu'une zone de libre échange, où les citoyens sont d'abord soumis à une monnaie unique et où les valeurs communes sont niées, alors oui, il y a vraiment de quoi s'alarmer. Cette Europe-là ne sera qu'un château de sable, loin, bien loin de celle de Victor Hugo et de celle des Lumières. En marge des questions moyen-orientales, j'ai tenté de lancer l'initiative « Stefan Zweig » afin que soit dispensé dans les quinze pays de l'UE un même enseignement sur la Shoah. Que quelques pages communes figurent dans chaque manuel d'histoire. Malheureusement, on m'a accusé de vouloir homogénéiser l'histoire comme on a homogénéisé le cacao. Il y a beaucoup à faire pour convaincre !