A David Pestieau: Je crois que tu fais un bilan erroné de la première Intifada. C'était un mouvement de masse dont la répression israélienne n'est jamais venue à bout. En réalité, c'est Arafat qui l'a brisée. La direction palestinienne réfugiée à Tunis craignait ce mouvement qui risquait d'échapper à son contrôle. Arafat a donc signé les accords d'Oslo et a utilisé son immense autorité pour faire cesser le mouvement. Les accords d'Oslo sont significatifs à cet égard: ils accordaient à l'Autorité palestinienne le contrôle de 3% du territoire... et de 90% de la population palestinienne. Arafat craignait davantage son propre peuple qu'Israël. Israël a profité d'Oslo pour multiplier les faits accomplis jusqu'à rendre Oslo caduc. La première Intifada a donc arraché à Israël plus de concessions en 6 ans que 20 ans de lutte armée à partir du Liban ou de la Jordanie. La direction palestinienne a brisé le mouvement, ce qui a permis à Israël de reprendre une à une toutes les concessions arrachées par le mouvement de masse. Il faut en tirer les leçons pour la lutte actuelle. L'Intifada actuelle est une combinaison de manifestations de masse, de lutte armée et de terrorisme. Car pour moi il ne fait pas de doute que les attentats anti-israéliens relèvent du terrorisme. Attardons-nous un peu sur cette notion de terrorisme, car il y a beaucoup de confusion à ce sujet, non seulement dans ton article mais également dans celui de Manro. Comment déterminer si une opération armée relève du terrorisme ou de la résistance légitime? A cette question, toi et Manro apportez des réponses aussi différentes qu'erronées. D'après toi la nature d'une opération armée dépend des motivations subjectives de son auteur: un jeune Palestinien qui se fait sauter dans un bus ne commettrait pas un acte terroriste car son désespoir serait "légitime" ou "compréhensible". Pour Manro, c'est la nature de la cible qui est décisive (soldat ou civil). D'autres encore privilégieront peut-être le lieu de l'action (Israël ou les territoires occupés). Pour moi la question décisive est la suivante: l'opération armée contribue-t-elle, oui ou non, à renforcer le mouvement de masse contre l'occupation tant dans les territoires occupés qu'en Israël même? Si oui, il s'agit d'un acte légitime de résistance ou d'auto-défense. Sinon, il s'agit d'un acte terroriste quel qu'en soit le lieu, la cible ou les motivations subjectives de l'auteur. Cette ligne de conduite ne permet évidemment pas de trouver automatiquement une réponse adéquate à toutes les situations qui se présentent. Je n'ai pas la prétention, comme certains ici, de diriger la lutte armée en Palestine à partir de mon bureau! Certains cas ne souffrent cependant aucune discussion: un attentat dans un lieu public en Israël est toujours un acte terroriste, car il isole les gens de gauche et les militants pour la paix, renforce la détermination des gens de droite, fait basculer les hésitants dans le camp des bellicistes. Un attentat contre un ministre israélien (fût-il d'extrême droite...) ou contre des colons qui font la navette entre leur implantation et leur lieu de travail en Israël me semble produire le même effet. En revanche la résistance armée contre une "descente" de colons armés dans un village palestinien ou contre une incursion de Tsahal me semble toujours justifiée. Et puis il y a tous les cas qui prêtent à discussion: faut-il utiliser les armes contre les soldats qui stationnent aux check-points, contre les implantations sauvages qui essaiment à l'initiative de colons extrémistes, contre les collaborateurs d'Israël,...? Le problème, justement, c'est que cette discussion n'a pas lieu. Le problème, c'est que la lutte armée est confisquée par les différentes milices qui choisissent les cibles, observent ou rompent une trève sans devoir rendre des comptes à qui que ce soit. Mais c'est la population qui subit de plein fouet les représailles de Tsahal. Il est donc vital que la population palestinienne reprenne le contrôle de la lutte armée des mains des milices. Pour ce faire, elle pourrait former des comités d'auto-organisation élus dans les quartiers, les entreprises et les villages. Dans ces comités, toutes les organisations soutenant l'Intifada seraient représentées. Toutes les questions intéressant la survie de la population et le développement de la lutte, y compris les questions de tactiques militaires, y seraient débattues démocratiquement. Toutes les organisations, des islamistes aux socialistes (ou les communistes, c'est comme tu voudras) devront y confronter leurs programmes respectifs et passer le test devant les masses sans possibilité de se débiner. Ces comités éliraient des délégués, révocables à tout moment, dont le salaire ne dépasserait pas le salaire moyen d'un travailleur palestinien, pour autant que cela veuille encore dire quelque chose dans un pays où la majorité de la population active est privée de travail... Ces délégués seraient chargés de coordonner l'action du mouvement de masse dans les différentes villes. Il y a quelques jours, les habitants de Naplouse ont réussi une action massive de désobéissance civile: ils ont boycotté le couvre-feu imposé par l'armée. Certes, Tsahal a rapidement repris le contrôle de la ville à la faveur d'une soi-disant opération anti-terroriste. Mais Tsahal aurait été dépassé par la situation si cette action de désobéissance civile avait eu lieu simultanément dans toutes les villes palestiniennes. Les attentats-suicides prouvent que le bouclage des villes palestiniennes n'est pas étanche. Les réseaux logistiques qui servent actuellement à infiltrer des kamikazes en Israël pourraient être reconvertis pour infiltrer des délégués de ville en ville pour coordonner le mouvement de masse. Les délégués seraient aussi chargés de prendre contact avec des partenaires au sein de la population israélienne. A ce propos, je dois absolument te citer: "Thierry parle de solidarité entre travailleurs palestiniens et israéliens. PAS DE PROBLEME (mis en majuscules par moi) mais il n'y a pas d'unité complète possible tant qu'Israël dominera la Palestine (...)". En écrivant "pas de problème", tu sembles considérer que la solidarité entre travailleurs israéliens et palestiniens serait acquise ou sur le point de l'être. En réalité, c'est un très gros problème étant donné le mur de haine qui les sépare et dont tu ne sembles pas mesurer la hauteur. C'est non seulement "UN" gros problème, mais c'est même "LE" problème crucial. Les Palestiniens ne pourront jamais conquérir leur indépendance nationale sans l'appui massif des travailleurs israéliens. Inversément, les travailleurs israéliens ne pourront jamais conquérir leur émancipation sociale et renverser le capitalisme s'ils ne sont pas capables de lutter pour l'indépendance palestinienne. La solidarité entre travailleurs israéliens et palestiniens n'est donc pas un slogan de circonstance qui "sonne bien" dans les meetings. Il s'agit d'une exigence vitale qui exige de la gauche qu'elle sache élaborer un programme susceptible de gagner la confiance des 2 communautés. Or tu écris plus loin: "Et ce mouvement (contre la guerre, ndlr)pourra vraiment s'unir à la résistance palestinienne quand il aura pris conscience de la nature impérialiste de l'Etat d'Israël même". Tu mets la charrue devant les boeufs, David. Les travailleurs israéliens ne vont pas D'ABORD perdre tous leurs préjugés sionistes et ENSUITE s'unir aux Palestiniens. C'est un processus dialectique et non pas mécanique. Le mouvement des Refuzniks illustre bien ce processus. En surfant sur un forum d'Israéliens francophones, je suis tombé par hasard sur le témoignage du soldat Tal qui explique comment il est devenu un refuznik à la suite d'une série d'incidents qu'il serait trop long de raconter ici. Or Tal est un sioniste convaincu. Il est même membre des Nahal, un bataillon d'élite qui a combattu le Hezbollah au Liban. S'il refuse de servir désormais dans les territoires occupés, il se dit prêt "à bombarder Beyrouth" si Israël est attaqué. Des soldats Tal, il y en a potentiellement des milliers au sein de Tsahal. Le problème c'est que tant qu'ils sont persuadés de combattre pour la sécurité d'Israël, ils continueront à faire le coup de feu contre les Palestiniens. Pour gagner la confiance des travailleurs Israéliens, il faut leur garantir le droit de vivre dans un état à majorité juive, ce qui implique des restrictions au retour intégral des réfugiés. Il faut garantir aux 200.000 colons juifs qu'on leur donnera un logement équivalent en Israël à ce qu'ils avaient dans leur implantation. Il faut garantir aux travailleurs israéliens qu'ils ne devront pas payer de leur poche l'indemnisation des réfugiés palestiniens empêchés de rentrer. Les capitalistes israéliens devront payer le programme de construction de logements et les indemnisations. Ce qui implique la nationalisation de l'économie sous contrôle ouvrier et donc la transformation socialiste de la société. Ce que tu dis sur le Liban ne me contre-dit pas. Sharon n'a en effet pas eu besoin des attentats-suicides pour envahir le Liban. Par contre, je peux t'assurer que si le Hezbollah avait commis des attentas-suicides en Israël à partir du Sud-Liban, l'armée israélienne y serait toujours aujourd'hui. Tsahal n'a pas évacué le Sud-Liban parce qu'il était vaincu militairement par le Hezbollah, mais bien parce que l'opinion publique israélienne ne supportait plus les pertes israéliennes - pourtant bien moins nombreuses que celles des Libanais - au Sud-Liban. L'attitude de l'opinion publique aurait été tout différente en cas d'attentats-suicides. Le facteur militaire joue bien sûr un rôle, mais c'est le facteur politique qui est décisif. Maintenant pour ce qui est de la fameuse "liste noire", je suis contre bien sûr, vu que l'UE entretient des relations suivies avec un état dont le gouvernement se permet de décider en petit comité quel leader palestinien doit mourir dans la semaine. Et qu'il n'hésite pas à revendiquer cette "élimination" comme le ferait l'ETA. Il y a donc deux poids, deux mesures.