Dans le film de Martin Scorcèse, "Kundun", hagiographie quelque peu esthétisante, de l´enfance du XIVème Dalai-Lama, la figure du Panchen Lama, pourtant centrale du clergé tibétain (1), n´est pas évoquée. Et pour cause... Lors de l´invasion du Tibet, au début des années 50, puis la reddition des moines-seigneurs et des Khampas, guerilleros tibétains, de la région du Kham, feu le Panchen Lama fut l´artisan (côté tibétain) des accords en 11 points, signé avec les forces d´occupation chinoises, qui stipulaient la fin de la théocratie bouddhiste, la libération des serfs (c´est un aspect peu "étudié" par les défenseurs de la cause tibétaine), et l´hégémonie politique définitive du pouvoir communiste de Pékin sur l´ensemble du plateau tibétain. En fait, c´était une vieille revendication, de la Chine impériale que l´armée populaire de Mao Tsé Toung réalisait. La photo de feu le Panchen Lama ainsi que curieusement celle panoramique du Dalai Lama jeune parmi une brochette de dignitaires communistes, Chou en lai, Mao, trônent toujours au-dessus de chaque autel au Tibet. Quelle a été exactement la marge de manoeuvre de feu Panchen-Lama, dans ses tractations du vaincu au vainqueur, cela reste un mystère. D´autant que jusqu´à sa mort, survenue dans les années 80 (?), son nom était tabou parmi la communauté tibétaine en exil; on chuchottait chez les moines et le bas-peuple de Dharamsala, en Inde, qu´il fut un traitre... Avec sa mort tout changea, et les rimpoche (âmes précieuses) autour de son altesse serénissime et grâcieuse le Dalai-Lama, rivalisèrent en éloge au sujet du Panchen Lama défunt et se mirent à espérer; enfin! On va pouvoir se mettre en quête d´une réincarnation, digne de la majesté du titre. Et sa sainteté envoya secrêtement des émissaires, partout en Tibet occupé, chargés de flairer les traces du Tulku, la réincarnation, selon des méthodes encore plus discrètes. Il faut savoir que la désignation des réincarnations (tulkus), la désignation des successeurs, est la clef de la transmission du pouvoir, dans l´église tibétaine. Toutefois, il serait faux de croire que l´église tibétaine avec ses sectes, Gelupas, Nyamalpa, Drupkas, Sakya et autres (bonnets jaunes, bonnets rouges, chapeaux noirs et bonnets d´âne) sont des institutions monolithiques et sérieuses; nombre de rimpoche peuvent nommer les tulkus (et vous pouvez avoir un, deux, trois, réincarnations d´un même personnage); les églises tibétaines se rèvèlent très fantaisistes, parfois, même dans leurs plus nobles missions. Exemple, il y a quelques années, SAS Dalai Lama, pour remercier un cèlèbre acteur américain (Steven Siegal), qui donna beaucoup de sa personne à la cause, le soumit à des examens et le décrèta Tulku. Soyons sérieux, revenons à la cause... Le Panchen Lama a toujours été dans l´histoire du Tibet une figure tutellaire du clergé, au même rang que le Dalai Lama; mais pour être juste, vu l´immensité du territoire, leurs pouvoirs, aux yeux des tibétains, dont certains baignaient encore dans le chamanisme (religion antérieure au Bouddhisme venu d´Inde) étaient dilués parmi mille et une superstitions. C´était un monde médiéval, féodal, avec son panthéon de dieux, de démons, de fantômes, ses monastères forteresses, Sakya, Rumtek, ses princes, ses bandits, ses courtisans, ses mendiants, ses assassins sanctifiés, Milarépa, ses serfs, sa magie, ses courants spirituels différents et contradictoires; lire les récits de la grande voyageuse Alexandra David-Neel, qui parcourut le royaume des neiges, au siècle dernier, pour en avoir le vertige. Le monde tibétain traditionnel à ce jour baigne encore dans cet atmosphère de superstitions; à bien des égards, sous les dehors de l´ouverture, il est resté figé dans une structure médiévale, où la soumission au maître, l´allégeance au prince local, est sacrée. Si à Dharamsala, le Dalai Lama décide qu´il ne faut pas parler des autres Tulkus, du nouveau Pancha Lama, désigné par le clergé tibétain, pro-chinois, de l´autre Karmapa, déigné par un rimpoche du Sikkhim, personne dans les rues de Macleod Ganj, ne vous en causera. L´esquive, le sourire, certes; la critique, la vérité, jamais! Elle est scandaleuse... La critique est formulée uniquement si elle est adoubée par le maître. Devant une telle domestication, les barbares Chinois sont bien plus libres, et peuvent élaborer des stratégies politiques qui roulent dans la farine le Dalai-Lama, les ouailles et les moines: liberté religieuse, citoyenneté et même droits pour les tibétains (droit du sol), reconstructions des monastères, détruits par la révolution culturelle, encouragement à la mixité, politique familiale assouplie, etc. Du reste, le clown charmant le sait, qui déclara, dans un sourire affable : "je suis peut-être le dernier des Dalai Lamas." (1) Il en est de même dans le "Livre de la vie et de la mort",´de Sogyal Rinpoche, une vulgate de la philosophie tibétaine, à l´adresse des occidentaux; le nom du Panchen Lama n´est même pas mentionné dans l´index. (2) Jusqu´au début 60, la guérilléra khampa fit le coup de feu contre les convois de l´APL; leur base arrière était au royaume du Mustang, Népal; là ils étaient entraînés secrètement par des équipes de la CIA; lire la revue Himal, juin 1999.