Théodore Herzl, un journaliste autrichien féru de culture germanique, avait l'ambition de résoudre le problème juif. Il avait d'abord prôné l'assimilation collective des israélites au cours de cérémonies en grande pompe dans la cathédrale St-Etienne, à Vienne. Les israélites seraient entrés en cortège dans la cathédrale, y auraient reçu le baptême, et en seraient ressortis catholiques. Plus de Juifs, plus de problème juif. Ses coreligionnaires accueillirent fraîchement cette proposition. Alors qu'il se trouvait en poste à Paris pour "couvrir l'affaire Dreyfus", Herzl eut une illumination: il faut que les Juifs retrouvent une patrie. Son idée était simple, pour ne pas dire simpliste. Dès que les Juifs auront un pays à eux, ils s'y rassembleront et deviendront un peuple comme les autres. Sa brochure, "l'Etat juif", parue en 1896, est l'acte de naissance du sionisme politique. On connaît la suite. Après un démarrage laborieux, l'idée sioniste fit son chemin, et à la veille de la seconde guerre mondiale, la Palestine comptait des centaines de colonies juives soutenues financièrement par la diaspora. Mais la Palestine n'était pas "une terre sans peuple pour un peuple sans terre". On avait oublié les Palestiniens. En 1947, l'ONU décida le partage de la Palestine en un Etat juif et un Etat palestinien. De quel droit? De quel droit des pays comme le Venezuela et le Pérou -- sur lesquels les USA exercèrent les pressions qu'on imagine -- avaient-ils droit au chapitre? Quoi qu'il en soit, lorsque six mois plus tard, l'Etat juif fut proclamé, les pays arabes, qui avaient voté contre le plan de partage de la Palestine, déclarèrent la guerre à Israel. Ils furent battus, et des centaines de milliers de Palestiniens s'enfuirent de chez eux. Les dirigeants sionistes achevèrent de les terrifier en se livrant à des pogroms, et les Palestiniens échouèrent dans des camps de réfugiés, au Liban, en Jordanie et en Syrie. Ils y sont toujours. La création de l'Etat juif tient de la farce et de la tragédie. Commençons par la Déclaration Balfour. Il s'agit d'une lettre de quelques lignes adressée en 1917 par Lord Balfour, alors secrétaire d'Etat aux affaires étrangères du gouvernement britannique, au banquier Rothschild. Dans cette lettre, le ministre fait savoir à son illustre correspondant que le gouvernement anglais considère favorablement l'établissement d'un "foyer national juif" en Palestine, que les Anglais venaient d'occuper. L'expression "foyer national" est déjà bizarre en elle-même. Mais il y a plus. Dans ce document, nous voyons un homme d'Etat anglais s'engager auprès d'un financier à céder à un peuple indéfini un territoire qui n'appartient pas à la Couronne. Si la Palestine avait été une île déserte, possession britannique, c'eût été différent. Poursuivons. De quel droit les Juifs ont-ils investi la Palestine en chassant une partie de ses habitants? Si tous les peuples de la terre se mettaient à revendiquer les territoires que leurs hypothétiques ancêtres occupaient il y a vingt siècles, quel remue-ménage! De toute façon, les Juifs actuels ne sont ni les héritiers, ni même les descendants des Hébreux. Au cours de ses errances, le peuple juif s'est partiellement fondu dans les nations. Au moyen âge, des communautés entières d'israélites se sont converties au christianisme et à l'islam et, inversement, diverses ethnies -- notamment des Turcs, des Arabes, des Noirs et des Slaves -- ont embrassé la foi mosaique. Bref, les Juifs d'aujourd'hui ne descendent pas des Hébreux. Et les droits de propriété qu'ils revendiquent sur la Palestine sont imaginaires. Reste l'argument sentimental selon lequel les Juifs n'ont cessé de répéter que la Palestine était leur pays et qu'ils y reviendraient. Effectivement, pendant des siècles, les adeptes du judaisme dispersés dans des villages des Carpates, les bourgs polonais et les mellahs marocains, dispersés autour de la Méditerranée, dans toute l'Europe et en Amérique, terminaient leurs prières par la formule "L'an prochain à Jérusalem". A première vue, cette phrase traduit une volonté farouche, qui tient de l'idée fixe, de retourner dans la terre promise. En réalité, elle n'avait, et elle n'a qu'une valeur incantatoire. On l'a bien vu dans les années quatre-vingts, lorsque les Juifs d'Union Soviétique, qui faisaient de grands discours sur leur attachement viscéral à Israel, s'empressaient de filer aux USA dès qu'ils avaient obtenu leur visa de sortie. Quant aux Juifs occidentaux, il n'y en a pas un sur mille qui ait émigré en Israel, ce qui ne les empêche pas de continuer à psalmodier "L'an prochain à Jérusalem". Bref, si la Palestine avait été un désert, et si les Juifs du monde entier avaient été s'y établir, le rêve de Herzl fût devenu réalité. Au lieu de cela, la création de l'Etat hébreu a rendu le problème juif inextricable, et elle a provoqué au Moyen Orient un abcès qui ne cesse de s'étendre. Les Israéliens sont devenus les Pieds Noirs du Moyen Orient. Au départ, l'Etat d'Israel était donc conçu comme devant accueillir tous les Juifs de la Diaspora qui, de ce fait, auraient formé un peuple "normal", c'est-à-dire comparable aux autres peuples. Dans les années cinquante, les intellectuels évoquaient la "fin" du peuple juif, et l'image d'un éternel errant déposant enfin sa besace au seuil de sa maison retrouvée. Il n'en a rien été, et les israélites, qu'ils le veuillent ou non, se trouvent maintenant dans la situation d'Israéliens vivant à l'étranger! Logiquement, ils devraient choisir. S'assimiler ou émigrer. Ils ne font ni l'un ni l'autre et cette double allégeance est potentiellement explosive. Certes le lobby est tellement puissant que l'on voit mal des antagonismes surgir entre une communauté juive et un gouvernement occidental. Mais la roue de l'histoire tourne... On parle beaucoup d'intégration aujourd'hui... Comment faire pour que des Arabes de la seconde génération, nés en Europe et naturalisés, deviennent des Français, des Belges, des Anglais? Quant aux Juifs, on fait semblant de croire qu'ils sont des citoyens comme tous les autres citoyens. Pure hypocrisie! Certes, ils s'habillent comme tout le monde, sauf une infime minorité, et ne se distinguent pas physiquement de leurs compatriotes. Mais ils revendiquent plus que jamais leur appartenance à un peuple juif, et à une communauté transnationale organisée. Ironie de l'histoire ! Les Juifs se disent que si cela tournait mal pour eux, ils auraient la possibilité de se réfugier en Israel. Mais ce pays est trop petit pour accueillir les treize millions de Juifs de la diaspora, ce qui réduit à néant le rêve d'un asile pour les Juifs. Au lieu de contribuer à la solution de la question juive, Israel a compromis la situation des Juifs même si, pour le moment, ils ne s'en doutent pas. Le conflit israélo-arabe est sans issue et ne peut que s'aggraver. Depuis 1945, le monde a connu toutes sortes de guerres locales qui ont fini par s'arranger. Mais le conflit entre l'Etat juif et ses voisins n'a aucune chance de trouver une solution. Ce n'est pas un conflit comme les autres. D'abord, il plonge ses racines dans une histoire vieille de deux mille ans, touchant aux fondements des civilisations arabe et chrétienne. Ensuite, ce n'est pas une guerre coloniale parce qu'Israel n'est pas uniquement un Etat colonialiste. Certes les Palestiniens qui y résident encore sont des citoyens de seconde zone, et la constitution de l'Etat hébreu implique un apartheid de fait. Toutefois, le sionisme ne prévoyait pas de faire suer le burnous. Les Israéliens exploitent la main d'oeuvre indigène dans la bonne tradition coloniale, mais ils préféreraient s'en débarrasser. Le rêve des Israéliens serait de voir les Palestiniens s'évaporer. Lorsqu'ils ont pris livraison de la Palestine les Juifs furent bien embarrassés devant les Palestiniens, comme des gens qui, venant d'acheter une maison, ne savent pas quoi faire des meubles abandonnés par l'ancien propriétaire. Israel est un Etat artificiel, qui ne cesse depuis sa fondation, entourée d'un immense battage publicitaire (raciste et scandaleux : "Le désert refleurira") de bénéficier d'un pactole financier extraordinaire: les réparations allemandes, l'aide occidentale, et le soutien de la diaspora. Le flux annuel de ces subventions, divisé par le nombre d'Israéliens, donne un chiffre trois ou quatre fois supérieur au revenu par tête des Africains. Dans ces conditions, parler d'un miracle à propos de la "résurrection" d'Israel dénote une grande complaisance. Un mot encore. Depuis 1967, Israel occupe la Cisjordanie, le plateau du Golan, la bande de Gaza, qui vient d'être concédé à Yasser Arafat, et Jérusalem. Rarement occupation militaire aura été plus féroce. Des milliers d'hectares de terre ont été confisqués aux Palestiniens. L'Etat d'Israel, qui est décidément au-dessus des lois, implante méthodiquement des colonies de peuplement dans les territoires occupés, en expulsant les Palestiniens. Des centaines de maisons de résistants ont été dynamitées ou rasées au bulldozer; des milliers de Palestiniens -- y compris des enfants -- sont infirmes à vie, blessés par balle, ou après avoir eu les bras cassés par la soldatesque; Des escadrons de la mort, composés de Juifs orientaux, sèment la terreur dans les camps de réfugiés. Et nous avons tous vu à la télé ces colons juifs ivres de haine, le fusil-mitrailleur au poing, pourchassant de dangereux terroristes de douze ans qui leur lançaient des pierres. D'un coté, à Gaza et ailleurs, des Palestiniens clochardisés, soumis à des couvre-feux continuels, végétant dans des bidonvilles infects; de l'autre, des Juifs arrogants vivant confortablement dans des villages construits grâce à la manne américaine. L'Etat juif a détourné des avions civils, assassiné des Palestiniens jusqu'en Norvège, enlevé des chefs religieux au Liban et enfermé des dizaines de milliers de Palestiniens dans des camps de concentration. La torture est pratique courante dans les prisons. Tout cela n'empêche pas nos médiats d'être à la dévotion de l'Etat sioniste -- le "seul Etat démocratique de la région"! -- et de qualifier de "terroristes" les résistants palestiniens. Lorsqu'un soldat de "Tsahal" tombe sous les coups de la résistance, il est "assassiné". Les "survivants d'Auschwitz" ont beau jeu. Pourquoi se gêneraient-ils? Le monde leur appartient.