À quelques semaines des législatives, Strasbourg, opulente capitale parlementaire de l'Europe et "capitale des voitures brûlées", est-elle gangrenée par les islamistes ? Alors que l'extrême droite y a obtenu plus de 20% à la présidentielle, Mohamed Ennacer Latrèche, président du Parti des Musulmans de France, le PMF, a réussi à mobiliser, le 30 mars dernier, près de 3000 manifestants. À lire les tracts distribués, il s'agissait de protester contre « le génocide des Palestiniens programmé depuis un siècle par les sionistes ». Le soir même commençait à Strasbourg et dans ses environs une série d'agressions antisémites. Mohamed Latrèche a créé le Parti des Musulmans de France à Strasbourg en avril 1997 avec l'approbation du président de la fédération d'Alsace Lorraine des Français musulmans. La même année, le PMF obtenait 0,65% aux élections législatives. M. Latrèche se présentera certainement en juin prochain dans la troisième circonscription à l'effet, surtout, de se mesurer contre une candidate, Catherine Trautmann, qui n'a jamais cessé de dénoncer l'antisémitisme de l'islam radical. L'audience électorale du PMF est des plus marginales, si l'on prend en compte le fait que vivent à Strasbourg et dans l'agglomération près de 40000 musulmans qui pourraient se sentir concernés par une formation politique qui affiche, dans son intitulé, références confessionnelle et culturelle. Première curiosité, les partis confessionnels ne sont pas conformes à la Constitution. Aussi serait-il souhaitable que les autorités concernées s'y intéressent plutôt que de considérer le PMF comme un groupuscule négligeable. M. Latrèche est sans doute le premier à ne pas envisager d'être un jour député. Son ambition est celle d'un activisme radical dont le discours peut, dans les banlieues, susciter le passage à l'acte - sans qu'il puisse être reproché à celui qui l'inspire la moindre violence. M Latrèche se suffit de la violence des mots ; l'incitation à la haine est pratiquement caractérisée lorsqu'il établit dans ses tracts, comme les négationnistes, l'équivalence entre le sionisme et Hitler, quand il évoque le sioniste dans les termes qui étaient employés à l'encontre du juif par l'extrême droite dans les années trente. Bref retour sur les exploits de Mohamed Latrèche À l'automne 2 000, le fondateur du PMF réunissait plus de 2 500 manifestants contre Israël, le petit Satan. Au cours de la manifestation, étaient entendus des slogans antisémites. Immédiatement, le maire de la ville, Catherine Trautmann dénonçait publiquement cette manifestation de haine et suscitait une déclaration commune et solennelle des cultes reconnus et de la grande mosquée, (archevêque, présidents des deux églises protestantes, grand rabbin et recteur de la mosquée). A l'automne 2001, il récidive mais cette fois contre le grand Satan, contre l'intervention américaine en Afghanistan. Avec à peine 200 personnes, c'est un échec. Mais dans son discours appelant à la dispersion, M Latrèche affirme « nous sommes tous des Afghans » à défaut de pouvoir exprimer publiquement un soutien aux Talibans. Que dire encore de cet activiste qui a effectué un très long séjour en Syrie, pays qui ne passe pas précisément pour philo sémite ? Il porte un intérêt tout particulier à des personnes, à des familles très défavorisées qui, au vu des difficultés qu'elles accumulent, se considèrent comme en marge de la société. Il s'intéresse ainsi aux jeunes issus de l'immigration qui sortent de prison. Il y a trois ans, dans un quartier populaire de Strasbourg, Hautepierre, il avait soutenu la radicalité d'une famille et l'affaire s'était terminée avec un blessé sérieux du côté de la police. Le PMF serait bien en peine de démontrer ce qui fait l'ordinaire d'un parti politique. Il s'agit plutôt d'un groupuscule qui ne compte guère plus de quelques dizaines de membres assemblés et subjugués par le chef à la manière d'un caïdat. Alors, pourquoi une telle audience ? Intelligent, séducteur pour ceux qui l'ont approché, M Latrèche sait jouer des médias, sait les instrumentaliser et paraître, par exemple, sur les antennes de FR3 avec le keffieh palestinien comme couvre chef. Au fait du progrès, il travaille avec Internet. Mais tout cela serait insuffisant si le PMF n'était pas à la confluence de plusieurs enjeux. Son groupuscule est issu de ce que l'on peut appeler les milieux franco- algériens : Français musulmans, Français d'origine algérienne, Algériens. À Strasbourg, c'est une sensibilité minoritaire parmi les sensibilités musulmanes. Comme partout en France, c'est un milieu où la pratique cultuelle est faible. Ce qui n'empêche pas de revendiquer l'affirmation d'un islam républicain impérativement dirigé par des Français selon une rhétorique proche de la préférence nationale. Initialement structuré par la Fédération des Français musulmans d'Alsace Lorraine, et par l'implication constante du consulat général d'Algérie, la sensibilité franco-algérienne est traversée par de multiples conflits personnels, associatifs qui illustrent encore, à leur manière, les conséquences et les paradoxes de la guerre d'Algérie. Pourquoi le PMF est opposé à la construction de la grande mosquée de Strasbourg, telle que la voulait Catherine Trautmann Cette guerre de clans se déroule dans un contexte où chacun cultive ses réseaux d'influence, associations d'anciens combattants, islamologues autoproclamés, et prône avec un relatif succès dans certains milieux politiques, religieux, universitaires, la nécessité d'un islam officiel sur le modèle de l'islam des colonies. Sur le modèle, plus précisément, de l'Algérie française qui a toujours eu ses partisans parmi ceux qui, à droite comme à gauche, ont en charge de gérer l'islam en France. Il en résulte une sorte de déshérence, d'absence d'encadrement, de repères et de solidarité qui explique qu'une offre politique radicale puisse trouver un écho et surtout s'exprimer sans rencontrer d'opposition. De cette situation, M. Latrèche en maîtrise tous les ressorts. Il est un de ceux qui animent l'opposition au projet de construction de la grande mosquée tel qu'il a été prévu par l'ancienne municipalité. Le premier motif est, semble-t-il, que ce lieu de culte serait construit et dirigé par des musulmans d'origine marocaine. À Strasbourg, ces derniers (sur la base des indications recueillies par l'Observatoire de l'Intégration comme par le département d'islamologie du CNRS) gèrent près de 90% de la pratique cultuelle d'origine du Maghreb. Cela se fait par l'intermédiaire de la mosquée principale située Impasse du Mai, ou par plusieurs lieux de culte de proximité réunis dans la CAMS - Coordination des Associations musulmanes de Strasbourg. Le procès qui leur est fait est celui de représenter un islam qui ne serait pas français, ce qui est faux, un islam soumis aux influences étrangères . Argument qu'utilisaient les anticléricaux en 1905 à propos du l'église catholique « dépendante » du Vatican. Chez tous ceux qui n'acceptent pas que les musulmans puissent construire des lieux de culte décents, cette contestation confère à M. Latrèche notoriété et respectabilité. .