Sommet de Laeken : Gênes ou Bonn?

Deux évènements ont marqué cette seconde quinzaine de juillet : le sommet de Gênes et celui de Bonn. Malgré les dramatiques événements qui ont marqué le premier, l’histoire ne retiendra que le second. Pourquoi ? En quoi ces évènements sont comparables ? En quoi cette confrontation est-elle porteuse de sens ? Pourquoi ces deux sommets nous semblent-ils tellement révélateurs des manières de penser la participation de la société civile au débat politique en ce début de millénaire ?

D’un côté, le sommet de Gênes réunissant le club des 8 pays les plus industrialisés échoue lamentablement. Il laissera la triste vision de nantis assiégés tentant maladroitement de défendre leurs acquis. Cette impression est renforcée par les violences policières, aussi injustifiables que dramatiques. Le secteur associatif est parqué en périphérie, muselé et… tabassé.

Les violences qui ont eu cours à Gênes sont aussi l’expression de la violence sociale d’un modèle de développement. Loin de remettre en question cette violence-là, le Premier Ministre belge se permet de donner – de Gênes – des leçons au secteur associatif présent pacifiquement, en l’exhortant à « se démarquer publiquement des casseurs ». Cette attitude fait l’impasse sur les responsabilité des forces de l’ordre italiennes, soutenues par un gouvernement de droite extrême. En outre, elle fait écho aux déclarations du Ministre des affaires étrangères Louis Michel qui vilipende maladroitement le monde des ONG en les taxant d’irresponsables, d’inefficaces et de non-représentatives. 

De l’autre côté, dans la foulée du sommet de Rio en 92, le sommet de Bonn réunit 180 pays dans le cadre de l’ONU en vue de lutter contre les changements climatiques. Présidant l’Union Européenne, la Belgique y défend des positions en pointe. Le fait politique majeur, dont on n’a pas encore pris la pleine mesure, consiste dans le fait que 179 pays sont aujourd’hui capables d’aborder ensemble des questions planétaires extrêmement complexes. Ce qui va à contre-courant de la pensée néo-libérale qui a dominé jusqu’à présent au niveau international. Cette avancée n’a été possible que grâce au dialogue permanent avec la société civile. A Bonn, les associations participent aux discussions en cours et leur apport est reconnu. Il est même salué par la Commissaire européenne à l’environnement M. Wallström dans son discours de clôture. A Gênes, aucune concertation n’a eu lieu avec les ONG. Elles n’ont même jamais été reçues par le gouvernement italien afin de préparer au mieux les manifestations prévues…

Les résultats de Bonn constituent des avancées considérables : tout d’abord, un processus collectif de diminution des rejets des gaz à effet de serre commence. Ensuite, l’environnement est mis à égalité de valeur avec le commerce, puisque dès aujourd’hui, les infractions au libre-échange ne sont plus les seules à pouvoir être condamnées par la communauté planétaire. Certes, on ne peut qualifier ces progressions de victoire totale par rapport aux objectifs européens en la matière - et à plus forte raison par rapport aux objectifs d’ECOLO et d’AGALEV. Mais s’agissant de négociations internationales et des difficultés inhérentes à ce cadre, on ne peut que s’en réjouir.

La Belgique et l’Europe, avec l’appui de nombreux ministres verts, est parvenue à faire entendre sa voix et à faire trembler le leadership américain. Les huées des 750 délégués à l’adresse de la représentante américaine résonneront encore longtemps à Bonn.

Entre la réunion privée d'un club des puissances mondiales et une conférence multilatérale à vocation universelle ; entre une réunion de chefs d'État sans autre objectif que la défense d'intérêts communs et une assemblée avec des objectifs précis fondés sur la responsabilité collective, la coopération et le dialogue avec la société civile, il y a plus d'une différence. En particulier, Gênes et Bonn représentent deux types d’approches de la société civile. L’un dialogue à coup de matraque, l’autre invite et salue l’apport technique et la vigilance critique de la part des organisations non gouvernementales. Il nous semble essentiel de maintenir et encourager ce dialogue avec la société civile, partenaire essentiel pour une mondialisation solidaire.

Bonn représente le modèle de gouvernance mondiale que nous appelons de nos vœux : plus démocratique, il est aussi plus efficace dans ses conséquences positives à long terme. Gênes est ce qu’il faut à tout prix éviter, y compris à Laeken.

Le conflit actuel porte donc sur la conception de la démocratie : considérer la société civile comme illégitime et renforcer les dispositifs policiers et sécuritaires ou lui faire confiance et s’appuyer sur sa mobilisation, sans pour autant mettre en question la représentativité du pouvoir politique. Le véritable renouveau politique passe par cette dernière approche.

Marie Nagy, chef de groupe Ecolo au Sénat

Claudine Drion, députée Ecolo

Leen Laenens, députée Agalev 

Christophe Derenne, coordinateur des Alliances pour un développement durable