Le Monde 23/2/02

Moscou veut étendre sa guerre "antiterroriste" à la Géorgie

La Russie accuse la Géorgie d'abriter des combattants de l'organisation Al-Qaida de Ben Laden. Tbilissi a démenti et cherche à contrebalancer l'influence russe en obtenant l'appui de Washington, principal donateur d'aide financière à ce pays en état de déliquescence économique.

Djokolo (nord de la géorgie) de notre envoyée spéciale

C'est un territoire grand comme un mouchoir de poche : 3 kilomètres de large, 30 de long dans sa partie habitée, qui sème la zizanie entre la Géorgie et la Russie, en pleine campagne antiterroriste mondiale.Une vallée bordée de collines boisées, dominée au loin par la spectaculaire crête enneigée des montagnes du Caucase. Au-delà, s'étend la Tchétchénie. Ce sont les gorges de Pankissi, qui n'ont rien de très encaissé ni de très redoutable au premier abord. Un terrain étonnamment plat, caillouteux, jalonné de quelques hameaux, où broutent des vaches et où des enfants jouent au football.

Mais l'aspect reculé du lieu, la proximité de la guerre de Tchétchénie, qui se manifeste ici par la présence de quelques milliers de réfugiés, l'accès difficile aux gorges, dont l'entrée est contrôlée depuis trois semaines par des unités armées de la police géorgienne, et la réputation sulfureuse de la vallée comme centre de trafic de drogue et de bandes de kidnappeurs, ont attiré, sur ce bout de territoire du nord de la Géorgie, l'attention de ceux qui, à Moscou et à Washington, parlent de traquer Ben Laden et le terrorisme international. Les gorges de Pankissi sont aussi au cur de la lutte d'influence à laquelle se livrent, en Géorgie, les Etats-Unis et la Russie.

C'est dans cette vallée, a suggéré le chef de la diplomatie russe, Igor Ivanov, lors d'une récente visite à Paris, que pourrait se cacher Ben Laden. Pankissi est "un mini-Afghanistan", estime pour sa part le ministre russe de la défense, Sergueï Ivanov, "on y trouve un grand nombre de combattants [tchétchènes]et de terroristes, et on ne peut pas totalement exclure que Ben Laden soit parmi eux". Jeudi 21 février, le Kremlin dépêchait à Tbilissi le chef de l'ex-KGB (FSB), Nikolaï Patrouchev, pour évoquer avec les autorités géorgiennes, selon Interfax, "la lutte contre le terrorisme international, contre Ben Laden et Al-Qaida, car dans les gorges de Pankissi, il y a des gens liés à Al-Qaida".


REPAIRE DE CRIMINELS

En Géorgie, les autorités démentent avec virulence la présence de Ben Laden, et des blagues circulent sur le sujet : "S'il était ici, on le couperait en petites tranches, parce que la prime pour sa capture représente une part non négligeable du budget national !"Mais le fait qu'il y ait un problème "particulier" dans les gorges de Pankissi est désormais officiellement évoqué. "Les gorges sont devenues un repaire de criminels de différentes origines et nationalités, explique dans son bureau à Tbilissi, le ministre géorgien de la sécurité d'Etat, Valeri Khaburdzania. Certains sont arrivés après l'afflux de 7 000 réfugiés tchétchènes en 1999. D'autres sont des criminels géorgiens, qui ont pu avoir des liens avec nos structures en charge de la sécurité. D'autres encore sont des Arabes arrivés là avec l'apparition du wahhabisme dans la vallée. Ils seraient une vingtaine. Ils sont arrivés à partir de la Tchétchénie, de l'Azerbaïdjan, ou encore par nos aéroports, avec des passeports européens ou américains", poursuit-il. Les autorités géorgiennes affirment avoir expulsé du pays "une quarantaine" de personnes en 2001, parmi lesquelles "des Turcs, des Jordaniens, quatre Britanniques et deux Français d'origine arabe". "Certains tentaient de gagner la Tchétchénie", dit M. Khaburdzania, "nous pensons qu'ils ont pu être attirés par des sites Internet parlant de camps d'entraînement dans les gorges de Pankissi, des sites parlant de djihad et cherchant à attirer des aides financières".

"Où voyez-vous Al-Qaida ici ?" : les pieds dans la boue, depuis la cour d'un ancien club culturel transformé en centre pour familles de réfugiés tchétchènes, Ramzan balaie la scène d'un large geste du bras, excédé. Dans ce hameau de Djokolo, l'un des derniers villages avant la haute montagne, l'aide humanitaire parvient difficilement depuis qu'une vague d'enlèvements - une vingtaine en deux ans - liés aux groupes criminels de Pankissi a découragé les agences occidentales d'envoyer des représentants dans la vallée. L'ONU procure de la farine aux réfugiés, mais les livraisons sont irrégulières en raison des barrages policiers.

Comme tous les réfugiés, Ramzan et sa mère Khedi, arrivés de Grozny en octobre 1999 "quand les bombardements russes faisaient rage", n'ont qu'une peur : que Moscou s'empare du "prétexte Ben Laden" pour bombarder cette région, comme cela a été le cas à l'automne 2001. Aussi refusent-ils d'être rapatriés vers la Tchétchénie : "Tant qu'il y aura là-bas un seul soldat russe, nous ne rentrerons pas ! Ils veulent nous regrouper pour mieux nous tuer." Les réfugiés sont pris dans la nasse. En cas d'opération policière d'ampleur dans les gorges pour déloger les trafiquants de drogue et les kidnappeurs qui y opèrent, ils risqueraient d'être pris entre deux feux. En cas d'évacuation, ils pourraient se retrouver aux mains des autorités russes.

Dans le hameau de Douïssi, au cur des gorges de Pankissi, se dresse une toute nouvelle mosquée, en briques rouge vif, au toit d'aluminium étincelant sous le pâle soleil. De jeunes hommes, la barbe touffue, en tenue de camouflage militaire, non armés, se tiennent là, incrédules devant une présence étrangère sur ces terres mal famées. Une femme entièrement voilée de noir, avec seulement une mince fente à l'emplacement des yeux, traverse la place sans attirer les regards. Sa tenue n'est pourtant en rien conforme à la coiffe traditionnelle des Tchétchènes : un foulard léger noué sur la nuque. Les gorges de Pankissi sont peuplées de Kistines, des tribus tchétchènes arrivées en Géorgie après la victoire des troupes tsaristes sur Chamil au XIXe siècle. Cette population, comme l'ensemble des musulmans du Caucase, professe traditionnellement un islam modéré, imprégné de soufisme.


CAMPS D'ENTRAINEMENT

"Mais depuis les années 1998, 1999, glisse un membre du conseil des anciens de la vallée, inquiet, des étrangers, des Arabes, sont apparus chez nous. Ils ont enseigné le wahhabisme , ils ont apporté de l'argent, fait construire cette mosquée, par exemple. La crise économique est telle ici, avec tous ces problèmes sociaux, que la jeunesse s'est tournée vers eux. Une douzaine de nos jeunes sont partis étudier l'arabe et le Coran à l'étranger."

Des habitants ont raconté que, parfois, dans les bois dominant la vallée, des tirs de kalachnikovs se font entendre. "Il y a, plus haut dans les pâturages d'été, des cabanes de berger qui peuvent servir à des groupes voulant se cacher. On pense qu'il y a des groupes de tentes aussi, et des centres d'entraînement au tir", dit un officiel occidental à Tbilissi. La vallée de Pankissi servirait de base arrière à plusieurs centaines de combattants tchétchènes. Certains auraient des liens avec l'extrémiste islamiste Khattab, présent en Tchétchénie depuis le milieu des années 1990, après avoir séjourné en Afghanistan et entretenu des liens avec la mouvance Al-Qaida. "S'il y a des gens d'Al-Qaida là-bas, ce ne sont pas des membres importants, explique pour sa part le ministre géorgien de la sécurité d'Etat, Pankissi est bien plus un problème intérieur de maintien de l'ordre qu'une question de sécurité internationale ! Nous parlons d'une présence wahhabite de quelques centaines de personnes, avec parmi elles peut-être une vingtaine de ressortissants arabes, dont on ne sait pas avec certitude s'ils sont liés à Al-Qaida."

Ramzan, le réfugié tchétchène, veut, de son côté, mettre en garde contre les amalgames : "Ce n'est pas parce qu'on porte une barbe qu'on est un bandit."

Natalie Nougayrède

 

Un pays acculé entre le jeu de Moscou et les ambitions de Washington

Tbilissi de notre envoyée spéciale

Dans le cadre de la campagne contre Al-Qaida, les Etats-Unis préparent-ils une opération militaire en Géorgie ? C'est la question qui taraudait les esprits, ces derniers jours, à Tbilissi, où l'on a l'habitude de voir dans les Américains de fidèles soutiens face aux vieux appétits russes de domination sur la région. L'aide américaine à la Géorgie, ex-République soviétique de 5 millions d'habitants, s'élève à environ 100 millions de dollars par an, dont 20 millions affectés à la seule mise en place de gardes-frontières. Un nouveau programme pour les forces armées géorgiennes, baptisé "équiper et entraîner", a été annoncé dans la foulée des événements du 11 septembre.

Depuis deux ans déjà, Washington s'alarmait des développements criminels en Géorgie, pays dont les frontières sont de véritables passoires. La corruption ambiante y est pour beaucoup, la structure clanique de l'économie et de l'élite gouvernante joue aussi, mais surtout, le pays apparaît plus que jamais morcelé en zones qui échappent au pouvoir central (Adjarie, Abkhazie, Ossétie du Sud, gorges de Pankissi).


OLEODUC VIA LA GEORGIE

La Géorgie est aussi confrontée à un grave problème de drogues, avec un chiffre d'affaires évalué, pour le marché intérieur géorgien, à plus de 1 milliard de dollars, soit plus de deux fois le budget de l'Etat, indiquent des autorités citées par l'agence Reuters. Un test surprise, effectué au sein des douanes géorgiennes, a révélé les traces d'un usage de stupéfiants chez 40 des 150 employés testés.

Parallèlement, de nouvelles tensions sont apparues avec Moscou, qui cherche à obtenir le droit de déployer des forces dans les gorges de Pankissi, afin de prendre à revers les combattants tchétchènes réfugiés dans les montagnes. "C'est une vieille stratégie, utilisée au XIXe siècle déjà par les troupes tsaristes pour vaincre les Tchétchènes", dit un habitant des gorges. Les autorités géorgiennes refusent un tel scénario, craignant que cela ne mène à des affrontements interethniques et à un renforcement de la présence militaire russe dans la République au moment où Moscou s'est engagé à évacuer ses quatre bases militaires. Dans cette confrontation, Tbilissi s'appuie sur ses bonnes relations avec les Etats-Unis, qui caressent le projet d'achever un oléoduc entre Bakou (Azerbaïdjan) et Ceyhan (Turquie), via la Géorgie, pour évacuer une partie des hydrocarbures de la Caspienne.

"Le 3 octobre 1999, au début de la guerre, Eltsine téléphonait à Chevardnadze pour lui demander d'autoriser le déploiement de forces russes à la frontière avec la Tchétchénie. Nous avions fait appel à Strobe Talbott [haut responsable de l'administration Clinton] pour bloquer les Russes", raconte un conseiller du président géorgien. Le 18 février 2002, Vladimir Poutine a, selon une source diplomatique, téléphoné à M. Chevardnadze pour lui demander des éclaircissements sur les intentions américaines. Un journal géorgien avait, le 11 février, suscité des spéculations en citant le chargé d'affaires américain à Tbilissi : "Des dizaines de moudjahidins échappés d'Afghanistan ont gagné le Caucase, disait-il, nous savons que certains ont trouvé refuge dans les gorges de Pankissi et qu'ils ont des liens avec Khattab, lui-même lié à Ben Laden." Des officiels américains ont exclu que les Etats-Unis interviennent eux-mêmes dans la zone. "Cette tâche incombe aux Géorgiens. Nous allons les aider à constituer des groupes d'action antiterroristes. Nous voulons aussi tenir les Russes à l'écart des gorges de Pankissi", dit l'un. Mais certains observateurs à Tbilissi se demandent aussi si, en guise de remerciements envers Moscou pour l'installation des bases militaires américaines en Asie centrale, les Etats-Unis ne s'apprêteraient pas à modérer leur action en Géorgie, soucieux avant tout de composer avec la Russie.

N. No.

Le Kremlin relance la traque autour du président tchétchène

ALORS QUE VLADIMIR Poutine affirmait, après deux ans et demi de guerre en Tchétchénie, vouloir ouvrir des négociations avec son président Aslan Maskhadov, le président russe, en réalité, donnait l'ordre de relancer la traque autour de ce chef légitimement élu, laïc et modéré, ont révélé ses proches, vendredi 22 février à Paris. "S'ils arrivent à le tuer, nous aurons beaucoup de mal à continuer à nous interdire tout recours au terrorisme, à contenir le désespoir et le besoin de revanche", a déclaré le ministre tchétchène des affaires étrangères Ilyas Akhmadov, un des quatre membres du gouvernement Maskhadov invités au Théâtre national de la Colline. Car il est évident, a-t-il précisé, "que dans nos conditions - celles d'une occupation totale par une armée qui tue, viole et terrorise tous les jours, alors que le monde entier reste indifférent -, nous ne pouvons prétendre tout contrôler ni garantir qu'il ne se trouvera pas de Tchétchènes pour faire n'importe quoi en Russie ; même s'il ne s'en est pas trouvé jusqu'à présent et si personne n'a trouvé de Tchétchènes en Afghanistan, contrairement à ce que tout le monde (la CNN, la BBC et des dirigeants occidentaux) répète depuis des mois".

Reçu début février au département d'Etat américain, Ilyas Akhmadov a assuré que ses interlocuteurs américains ont reconnu n'avoir pas trouvé de Tchétchènes en Afghanistan. "Pas plus que n'en ont trouvé les deux mille journalistes sur place, pour lesquels "trouver un Tchétchène" était pourtant devenu une sorte de jeu excitant", a-t-il ajouté.

Mais le mal a été fait et l'image du "terroriste tchétchène" a été encore un peu plus solidement ancrée dans les esprits, au moment où le débat sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Russie et du Caucase est loin d'être tranché aux Etats-Unis, selon le ministre tchétchène. Il a reconnu que des signes inquiétants sont venus récemment du département d'Etat, "toujours plus enclin à faire confiance au Kremlin que les militaires". Le chargé d'affaires américain à Tbilissi a ainsi évoqué, la semaine dernière, la présence de "terroristes venus d'Afghanistan" parmi les réfugiés tchétchènes en Géorgie.

Pourtant, quelques semaines plus tôt, la situation était différente. "Dans le sillage du 11 septembre, la propagande russe a été si grossière que les dirigeants américains ont été obligés de réagir : j'ai compté onze déclarations en six semaines, au plus haut niveau, y compris du président Bush, expliquant qu'il ne fallait pas confondre Tchétchènes et terroristes, et que ce conflit avait besoin d'une solution politique", a rappelé Mayerbek Vatchagaev, le porte-parole du président tchétchène. Ce serait donc, selon lui, pour avoir l'air d'écouter les conseils pressants de ses nouveaux "alliés" américains que M. Poutine aurait lancé, le 24 septembre, ce qui fut considéré comme un appel à négocier.

Une rencontre entre représentants des présidents russe et tchétchène a d'ailleurs bien eu lieu le 18 novembre. Mais elle n'a eu ni résultat ni suite. "Il était en effet illusoire d'espérer autre chose, alors qu'au même moment les forces russes lançaient deux offensives contre le président Maskhadov : localisé, bombardé puis encerclé par des centaines de parachutistes, il n'en réchappa que par miracle et au prix de combats qui firent en tout une dizaine de morts parmi sa garde", a assuré M. Vatchagaev. Le ministre des affaires étrangères a été plus loin : "Les Russes ont sans doute reçu d'un de leurs nouveaux alliés du matériel permettant de mieux écouter les téléphones satellites et de synchroniser leur action", a déclaré M. Akhmadov. "Depuis près de trois mois, nous ne communiquons plus que par messagers, porteurs de cassettes audio", a-t-il précisé.

Avant de remercier ses hôtes français - responsables d'institutions culturelles publiques, comédiens, intellectuels et journalistes - pour l'attention portée à un président élu avec le soutien de l'OSCE et qui signa au Kremlin en 1997 un "traité de paix éternelle" avant d'être abandonné par l'Occident et d'être désormais menacé d'être "liquidé", comme l'ont été, selon des estimations avancées par M. Akhmadov, près de 20 % de la population tchétchène en sept ans.

Sophie Shihab

 

140 000 plaintes de soldats russes contre leurs supérieurs en 2001

Les ONG dénoncent depuis des années les sévices et les vexations dont sont victimes les jeunes appelés de la part de leurs officiers supérieurs dans les unités de l'armée russe.

Selon un responsable du parquet militaire russe, "les tribunaux militaires ont reçu quelque 140 000 plaintes de soldats qui estiment que leurs supérieurs ont violé leurs droits d'une manière ou d'une autre" en 2001.  
Interviewé par l'agence Interfax sous le couvert de l'anonymat, l'officier a estimé que "le non-respect des droits des militaires engagés dans des opérations dans des conditions extrêmes, y compris ceux engagés dans l'opération antiterroriste en Tchétchénie, est particulièrement alarmant".

Les organisations de défense des droits de l'homme, notamment le Comité des mères de soldats, dénoncent depuis des années les sévices et les vexations dont sont en particulier victimes les jeunes appelés de la part de leurs aînés et de leurs supérieurs dans les unités de l'armée russe. Viols, tabassage, malnutrition, meurtre déguisé en suicide sont autant de combats pour ces mères souvent endeuillées, qui se mobilisent depuis 1989. Selon les ONG, ces pratiques sont à l'origine de nombreuses désertions, de suicides et de cas de rébellion.

L'agence russe militaire d'informations (AVN) avait rapporté qu'en 2000, plus de 270 soldats russes s'étaient donné la mort et que plusieurs dizaines d'autres avaient tenté de mettre fin à leur vie. Les désertions et les règlements de comptes sont monnaie courante dans l'armée russe. Le bas niveau des soldes, la réforme des forces armées, et l'avenir incertain des retraites ont été avancés comme les facteurs à l'origine de ces suicides. Quant au passage à une armée de métier, initialement annoncé par l'ancien président Boris Eltsine pour l'an 2000, il a été maintenu, mais reporté, de même que la réforme militaire, à l'horizon 2010 par Vladimir Poutine.

La sanglante cavale de deux appelés déserteurs d'une vingtaine d'années qui a fait onze morts au Tatarstan (Russie centrale), dans la nuit du 3 au 4 février, illustre le malaise d'une armée et la violence latente qui s'est installée dans la société russe. Emportant avec eux deux fusils-mitrailleurs kalachnikovs et neuf chargeurs de munitions, les deux jeunes gens ont semé la terreur sur leur passage, tuant, selon les sources, neuf ou dix personnes, dont cinq policiers qui tentaient de les arrêter. La semaine précédente, deux appelés servant dans les gardes-frontières de Tchoukotka (extrême nord-est) avaient déserté après avoir abattu au fusil-mitrailleur le commandement de leur unité, soit trois officiers et un sergent.

La présidente du Comité des mères de soldats, Valentina Melnikova, a vu dans ce carnage "la responsabilité d'un Etat qui amène de force des jeunes gens dans des garnisons, puis les rend fous au point qu'ils commettent ce genre de choses et après les fait abattre par des policiers". Le Comité des mères de soldats milite pour l'apparition d'un service alternatif, mais a récemment dénoncé l'opposition à ce projet du ministère de la défense, qui tente d'imposer au gouvernement un texte extrêmement restrictif.

A l'origine du carnage au Tatarstan, les militaires eux-mêmes n'ont pas exclu l'hypothèse d'"irrégularités" au sein de la 31e division de parachutistes, théoriquement une unité d'élite qui a notamment participé à la guerre en Tchétchénie. Selon l'armée, les deux déserteurs n'avaient pas pris part aux combats dans ce conflit. Le commandant en chef des forces aéroportées, le général Gueorgui Chpak, a formé une commission d'enquête qui a entrepris d'étudier le "climat moral et psychologique" dans l'unité d'Oulianovsk.

Les enquêteurs ont également établi que l'un des déserteurs, le sergent Chagueev, avait été condamné par la justice à deux reprises, en particulier pour vol. Son incorporation dans une unité d'élite est à ce titre "inexplicable", a estimé un responsable policier sur la chaîne ORT. Lors de la dernière conscription, de hauts responsables militaires s'étaient plaints qu'outre des défaillances physiques, psychiques et du problème croissant de la drogue, les recrues ne constituaient souvent pas "la crème de la nation". Selon eux, la hausse de la criminalité et de la violence en Russie depuis dix ans, où environ un million de personnes peuplent le système pénitentiaire et où près de 30 000 meurtres sont commis chaque année, influent notamment sur l'état de l'armée.

Avec AFP