M. Geens, qui s’est abstenu de tout commentaire tout en démentant avoir tenu de tels propos qu’il reconnaît néanmoins avoir tenus « off the record » et qu’un journaliste de « Kol Al Arab » aux connaissances rudimentaires de l’anglais aurait mal compris, aurait donc traité le ministre israélien des infrastructures nationales Effie Eytam, leader du parti national-religieux, d’être un fasciste avant d’affirmer que les territoires palestiniens sont le plus grand camp d’internement au monde. S’il est bien entendu impossible d’établir la véracité dans cette nouvelle affaire belgo-israélienne, il n’est pas inutile, en revanche, de se questionner sérieusement sur la tension récurrente et croissante entre les deux pays, mais aussi sur celle qui grandit de façon inquiétante entre les juifs de Belgique et leur pays. Au-delà des incidents regrettables qui ont émaillé le paysage médiatique belge depuis maintenant plusieurs mois, force est de constater qu’il règne en Belgique un malaise évident inauguré par certaines déclarations malheureuses et inopportunes, tout comme par certains reportages et articles de presse, dont certains furent sans aucun doute franchement antisémites (on se souviendra notamment de l’article de Monsieur Simon Pierre Nothomb dans « Le Soir », qui avait comparé Israël à l’Allemagne nazie et les camps de réfugiés palestiniens au Ghetto de Varsovie…) Ce malaise n’est bien entendu pas limité à la seule Belgique, et notre pays n’a certainement pas la palme en matière de dérapages judéophobes. Cependant la question de la résurgence d’un nouvel antisémitisme feutré, qualifié à juste titre de judéophobie, est loin d’être close. Ce qui est frappant dans ce phénomène, ce n’est pas tant les critiques parfois valides exprimées par les uns et les autres sur la politique du gouvernement israélien. Après tout, nous sommes encore libres de penser et de publier notre avis sur la politique de tel ou tel Etat dont les comportements nous choquent. Mais ce qui est pour le moins étonnant, c’est cet acharnement d’une partie l’opinion publique belge, relayée et entretenue par les médias, à condamner tout azimut et parfois de façon disproportionnée, non seulement Israël et ses citoyens, mais également les juifs de la diaspora, souvent confondus avec les Israéliens par ailleurs. L’incident qui met en cause l’ambassadeur de Belgique à Tel-Aviv est révélateur de ce climat délétère qui règne en Belgique, tant par les mots supposés prononcés, que par le « ton » dont se serait autorisé Monsieur Geens pour exprimer son opinion. L’emploi de signifiants particulièrement sensibles, et dénués d’innocence tels que « fasciste » ou « camp d’internement » et les descriptions excessives, erronées et provocantes, telles que « territoires palestiniens sont le plus grand camp d’internement au monde » suffisent à rendre son auteur suspect de sentiments anti-juifs, non seulement auprès des juifs et des Israéliens mais aussi, auprès de toute personne se revendiquant de l’éthique de l’humanisme contemporain des droits de l’homme. On n’en finirait pas d’aligner les arguments démontrant sans ambiguïté que l’utilisation ciblée de certaines expressions utilisées dans les critiques adressées à l’Etat d’Israël sont plus que suspectes pour qui veut bien faire l’effort d’un examen sincère de conscience. Saisissant aussi, le contraste entre les déclarations musclées et péremptoires lancées contre Israël et la légitimation des attentats suicides, présentés comme des actes de résistance, tout comme l’étrange retenue dont font preuve les médias belges à l’égard des mouvements intégristes et extrémistes islamistes, lorsqu’ils se manifestent d’une manière ou d’une autre. Bien entendu, les données démographiques contribuent à expliquer cette étrange attitude : 30.000 juifs belges et plus de 400.000 musulmans belges, mais elles ne suffisent pas à expliquer, en profondeur, ce renversement de l’opinion publique, qui de toute évidence, ne supporte pas que l’Etat d’Israël se défende légitimement. Nous sommes en quelques sortes passés du « comment avez-vous pu vous laisser exterminer » au « comment osez-vous vous défendre en utilisant la force, vous qui avez tant souffert ? . La dialectique de la victime devenue bourreau est en passe de devenir, et c’est en soi un indice sociologique intéressant, une argumentation classique et florissante, que rien ne semble arrêter comme en témoignent les très nombreuses équivalences sémantiques faisant passer Israël et les juifs pour des « nazis » et les Palestiniens pour d’éternelles victimes de la « barbarie de l’Etat hébreu » Il y a dans ce type de propos, tenus sans réserve, en outre, une certaine arrogance à s’autoriser ce qu’il faut bien appeler une ingérence dans les affaires intérieures de l’Etat d’Israël. Car enfin, imagine-t-on, et cela s’est d’ailleurs déjà produit, un ministre ou un ambassadeur israélien se livrer à de telles critiques virulentes sur telle ou telle question belge sensible, comme l’affaire Dutroux, les tueurs du Brabant Wallon, affaires toujours pendantes et inexpliquées, ou encore les minorités ethnico linguistiques, qui doivent recourir à un audit étranger pour faire valoir leurs droits les plus élémentaires ? Ainsi donc, les Palestiniens seraient « internés » dans le plus grand camp d’internement au monde, tandis qu’un ministre serait traité de « fasciste » au nom du fait qu’il est le leader d’une formation religieuse d’extrême droite. Ces raccourcis dévoilent à l’évidence une dérive sémantique très proche des procédés révisionnistes qui habilement réécrivent l’histoire par les mêmes méthodes falsificatrices. A ce compte là, la Belgique pourrait, pourquoi pas, être poursuivie pour crime contre l’humanité pour son passé colonialiste douteux au Congo, ou encore être traitée d’Etat policier et poursuivi pour la mort de Sémira Adamu, cette jeune fille, enfuie du Nigéria, parce que l'on tentait de lui faire épouser de force un sexagénaire dont elle aurait été la quatrième femme et tuée étouffée par un gendarme lors de son expulsion.