Dans les cercles du pouvoir et des médias commerciaux, on ne conçoit de révolution que violente, à coup d'émeutes, de bombes et de destructions diverses. Il n'est pas étonnant que les dominants cherchent à amalgamer systématiquement les mots révolution, violence, émeutes et terroristes. Ils veulent à la fois assimiler les révolutionnaires à des assassins et dissuader tout le monde de remettre en cause le système radicalement en laisant croire que la révolution ne peut être que sanglante, destructrice et sans issues.
Cette manipulation est renforcée par le fait que la plupart des gens qui se présentent comme révolutionnaires appellent à l'émeute, à la casse et au pillage ciblé. On peut néanmoins proposer une autre voie.

La révolution est d'abord intérieure, spirituelle même, il s'agit d'une remise en cause, complète et radicale, en nous et autour de nous, de toutes les structures de domination, de violence et de mensonge et d'auto-destruction. Ensuite, on aura deux types d'action révolutionnaire, la critique et la construction.

Il n'est pas nécessaire ni efficace de détruire des propriétés capitalistes pour montrer le néant des prétendues "sociétés" dans lesquelles nous sommes prisonniers. La critique radicale et l'appel à la dissidence peuvent très bien se faire par la parole et l'action non-violente. Le pacifisme n'est par forcément réformiste et consensuel. L'émeutier qui détruit un distributeur de billet n'est pas forcément plus révolutionnaire que celui qui s'assoit devant la banque avec une pancarte. Tout dépend de ce qu'il y a sur la pancarte... et surtout, tout dépend de comment vit la personne au quotidien.

Ensuite, la construction d'un autre monde n'a pas besoin de reconquérir des espaces publics par la force pour s'affirmer. Un monde vraiment humain se construit par la rupture avec le "système" (qui va bien au delà du capitalisme et de ses mutliples conséquences meurtrières) et la mise en place de modes de vie ensemble très différents, en se rendant capable d'aller le plus loin possible dans l'application des idées. Il ne sert à rien d'avoir des grandes idées sur l'égalité et le partage si on n'est pas capable des les vivre concrètement dès maintenant.

Etre non-violent, c'est forcément être dissident et révolutionnaire. Et une révolution ne peut réussir et durer que si elle est non-violente. Ce qui ne veut pas dire que les révolutionnaires non-violents seront épargnés par la répression policière, ni qu'ils doivent se faire réprimer sans protester. Dès qu'on formule une critique radicale et un rejet argumenté de l'ensemble du système, les chiens du pouvoirs se jettent sur vous, que vous brandissiez une banderole ou une masse. Dès que vous êtes révolutionnaire, les réformistes, ceux qui veulent améliorer le goulag par petites touches, les partis et syndicats traditionnels... risquent de vous exclure et de vous pourchasser, ils n'aiment pas que leurs illusions soient brisées.

Il ne faut pas pour autant entrer dans le jeu absurde de la violence. La violence, c'est leur terrain, leur arme, laissons là aux Etats et à leurs milices, on ne peut pas jouer avec eux sans se perdre et se détruire. Même si on n'est pas opposé à la violence par principe, on devrait y renoncer pour avoir plus de chance de mener à bien une vraie révolution.

Il ne s'agit par de renverser des pouvoirs ou de conquérir des droits, mais de supprimer, en nous et autour de nous, les fondements de ces pouvoirs et d'acquérir une liberté intérieure indomptable. L'immense majorité de la population accepte et soutient plus ou moins consciemment la servitude volontaire de ce monde à la Big Brother, et on ne peut pas supprimer le capitalisme et les Etats en s'attaquant aux structures ou à leurs représentants (quel que soit leur rang), mais en se rendant capable de se passer de leur tutelle totalitaire. En construisant collectivement une autre voie, en privant les diverses structures de domination de leurs racines, de leurs soutiens et de leur légitimité, elles disparaîtront d'elles-mêmes. Pour ça, il faudrait bien sûr que les minorités révolutionnaires, celles qui se sont transformées de l'intérieur par une vie ascétique et spirituelle, deviennent des majorités.

Pauline Michel