Comme l’annonçait joyeusement Bernard Cassen au lendemain de Seattle : « Une opinion publique mondiale est en train de naître ». Depuis, les bases de cette opinion se sont solidifiées et l’aveuglement des populations permettant aux propagateurs de la mondialisation néolibérale d’agir en toute légitimité s’est sensiblement atténué. Si les mouvements d’oppositions possèdent des racines idéologiques pour le moins variées, les manifestations internationales qui se sont enchaînées tout au long de la saison 1999-2000 font apparaître une ébauche d’unification des initiatives et attestent l’émergence d’une contestation à large échelle, salutaire à plus d’un titre pour des citoyens désenchantés par le monde politique professionnel. Ainsi, la Réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale se déroulant à Prague fin septembre se présente comme une étape importante dans l’édification d’une alternative concrète au néolibéralisme dont les bourgeons apparaissent à l’automne, au cœur même de la lutte.

a mise en échec du congrès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en novembre 1999, permit à un grand nombre de personnes à travers le monde entier d’apprendre qu’une remise en question globale de l’organisation économique et politique de la planète était en marche. Pourtant, depuis le milieux des années 1990, un petit groupe d’intellectuels et d’économistes s’appliquait à attirer l’attention sur les dangers que comportaient la mondialisation de l’économie capitaliste, principe désormais présenté comme universellement établit. Si le manifeste bouleversant affirmant par ses premiers mots que « Nous vivons au sein d’un leurre magistral » allié aux « Contre-feux » allumés fiévreusement par un sociologue semblant défier l’ensemble de la société donnèrent naissance à un nécessaire « débat » autour de la mondialisation et de ses effets, la très fantasmatique « opinion publique » ne semblait pas touchée par ces propos au point de se muer en mouvement citoyen d’importance. Les révoltes populaires engendrées par les programmes d’ajustement structurel du FMI, notamment en Indonésie, étaient plutôt dirigées vers leur propre gouvernement. L’institution comptait d’ailleurs beaucoup sur ce genre de façade lui permettant de cacher ses agissements aux citoyens et manifestait à cet effet une grande sympathie pour les régimes autoritaires. C’était avant Seattle.

UN MOUVEMENT S’ELARGISSANT

Des manifestations d’une envergure jamais atteinte depuis les années 60 aux Etats-Unis, ne pouvant être ignorées par les médias institutionnels, firent pénétrer des notions de politique subversive dans l’esprit de milliers de citoyens habituellement peu attentifs à ce type d’information. Les associations impliquées dans le mouvement virent grossir leur rang et la question néolibérale occupa l’espace médiatique de manière plus significative. L’actualité qui suivit récusa les arguments de ceux qui voyaient -ou espéraient- ce phénomène tel un feu de paille . A Washington, en mai 2000, le congrès du FMI fut considérablement troublé par des manifestants. L’arsenal répressif déployé à cette occasion par les autorités locales confirma l’inquiétude des sphères néolibérales dirigeantes envers un mouvement pourtant unilatéralement non-violent, inquiétude se changeant parfois en dangereuse paranoïa. Le 10 juin dernier, plus de 1200 manifestants se rassemblèrent à Bruxelles pour faire entendre leur opposition au sommet de l’Union des Confédérations de l’industrie et des Employeurs d’Europe (UNICE). A la fin du même mois, parallèlement au sommet social de l’Organisation des nations unies (ONU), à Genève, se tint une réunion internationale regroupant les responsables des mouvements d’opposition à la mondialisation. Cette initiative permit aux organisations de se donner des objectifs communs et de planifier la continuité de leurs activités. Presque simultanément, le procès des membres de la Confédération paysanne se tenant à Millau, dans le Cantal français, rassembla plus de 70 000 personnes venues de tout le continent pour soutenir activement les accusés. José Bové et ses collaborateurs, comparaissant pour le « démontage » d’un restaurant MacDonald en 1999, symbolisent aujourd’hui pour des milliers de personnes la pérennité d’une lutte active engagée par des particuliers contres des molochs financiers se croyant intangibles.

UNE ETAPE IMPORTANTE

Le prochain rendez-vous mondial des opposants à la mondialisation néolibérale trouve donc naturellement sa place à l’occasion de la 55ème Réunion annuelle du FMI et de la Banque mondiale se déroulant du 19 au 28 septembre 2000, à Prague. En effet, les institutions de Bretton Woods incarnent parfaitement l’objet de la lutte et l’essence même de leur travail est aujourd’hui vigoureusement remise en cause au sein de toutes les communautés. Saignant à blanc les pays du Sud par une dîme dévastatrice et les obligeant, menaces à l’appui, à abandonner leurs acquis sociaux, éducatifs et écologiques au nom d’une dette ne pouvant être honorée qu’au sacrifice des populations, ces institutions dont l’objet initial est de « réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie en favorisant une croissance durable » ont bien du mal à dissimuler les désastres que causent leur politique. En agissant au cœur des pays industrialisés contre les systèmes de protections sociales pour lesquelles des générations de travailleurs se sont battues, l’influence purement néolibérale du FMI et de la Banque mondiale s’affirme manifestement et invite tous les mouvements décidés à s’y opposer à venir faire entendre leur voix à Prague.

A l’instar des précédents événements, la richesse du rendez-vous de Prague naît de la fusion d’initiatives aux idées politiques diverses à travers un combat collectif. Le principal obstacle auquel se heurtent les mouvements d’opposition est la percée intrinsèque des mécanismes de concurrence au cœur des rapports humains, divisant la lutte et offrant des arguments à l’adversaire sur un plateau. Une grande partie du travail des associations militantes consiste donc à privilégier l’action vis a vis du débat qui la précède et à écarter les éléments susceptibles de les fragmenter. Il est évident que face au totalitarisme, il ne peut y avoir de solution prédéfinie et les opinions à ce sujet diffèrent naturellement. La réunion de Prague sera donc une merveilleuse occasion de métisser les idéaux et d’adoucir les antagonismes afin de construire ensemble les bases d’une économie politique internationale plaçant l’homme au centre des ses objectifs.

Durant tout le congrès, de multiples activités se dérouleront parallèlement à celui-ci. Manifestations bien sur, mais aussi des conférences, forums, débats et spectacles qui feront de cet événement une rencontre internationale créative et enrichissante pour tous ceux qui souhaitent s’opposer à la mondialisation néolibérale.

 

 

David Poissonneau