Encore sous le choc de \" Dancer in the Dark\" de Lars Von Trier, il est trop tôt pour tirer un bilan serein du film. Ce film est un pur chef-d\'œuvre…insupportable. S\'il n\'y avait pas d\'intermèdes musicaux, j’aurais quitté la salle, non parce que le film était mauvais, au contraire, mais parce que le cinéaste nous emmène dans une logique d\'une cruauté absolue. Je vais tenter de lancer quelques grandes lignes de réflexions qui, je l\'espère, susciteront le débat dans ces colonnes 1. Le film divise les critiques en deux camps. Je suis étonné de voir la haine que certains critiques déploient à l\'encontre du film: \" Chantage à l\'émotion\" ( Morice de Télérama), \" Exaspérant\" ( Didier Péron, Libération) Dans le camp des \"pour\", on glorifie ; les éloges les plus vives sont distribuées. C\'est une preuve incontestable que le film vaut le détour: il déroute. (1) Il est très rare de voir dans le milieu des critiques de cinéma de tels écarts. C\'est parce que le film ne donne pas à ces routards de la critique la sauce habituelle, prête à être prémâchée et digérée. Le film utilise un langage cinématographique absolument original. 2. La forme du film. L\'originalité du film repose sur l\'application des thèses cinématographiques de l\'auteur, \" Le dogme\" : utilisation de la caméra à l\'épaule, usage de petites caméras numériques. A ceci s\'ajoute l\'utilisation de la comédie musicale menée de façon de maître par Bjork. Or ici, la comédie musicale a un apport fondamental. Elle est en rupture avec la tradition hollywoodienne du film musical. La chanson, ici, sert à faire le bilan d\'étapes importante du film, à prendre une distance qui nous permet de sortir de l\'émotionnel. Par exemple, lors du meurtre, le cadavre se relève et chante sa version des faits. On est en pleine distanciation, dans le plus pur style de Brecht. 3. Le fond du film. On peut, sans se gêner, dire que ce film est politique. Critique au vitriol de la société américaine des années 50, le film nous fait découvrir l\'univers carcéral américain et nous révulse quand il aborde la question de la peine de mort. Ensuite, l\'héroïne est une ouvrière. On y découvre la dureté de l\'exploitation, les machines qui peuvent écraser une main à tout moment, la course aux rendements, la difficulté du travail de nuit. Bien sûr, ces injustices ne sont pas le cœur du film mais elles nous laissent une trace indélébile qui nous serre le cœur. Mais on y découvre aussi la solidarité. La scène musicale dans l\'usine est, par exemple, un pur chef-d\'œuvre. Libération écrira que le film est \"une bizarre revalorisation du kitsch socialiste.\" Autant de bonnes raisons pour se ruer au cinéma et de regarder Arte, ce lundi, qui consacre une soirée à Lars Von Trier. ( 1) Libération pense que le film \"sert des intérêts idéologiques et esthétiques pour le moins nébuleux.\" Libé, 18/10/2000 --------------- Ce que veut @den, en guise de manifeste. Le \'marron\', cet esclave qui à l\'époque de la servitude, brisait ses chaînes pour fuir l\'ordre établi, et bien, le nègre marron m\'a pris à la gorge. Et ce mot que je cherchais pour dire ma révolte de l\'ordre culturel et de l\'ordre tout court, ce mot qui souligne à merveille ce refus qu\'on voudrait balancer à la gueule de ceux qui nous macdonaldisent, qui disneyisent, qui nous transforment en clochards de la culture, je le trouvais sur cette \"île inquiète\"(1): le marronage ! Aujourd\'hui, en Occident, la chaîne n\'emprisonne plus l\'esclave au pied. Les chaînes de notre servitude sont aussi posées dans notre cerveau. Combien de Français, de Belges abrutis par Jean-Pierre Foucault ? A quoi rêvent encore les hommes écrasés par la Loterie Nationale et les rubriques zodiacales de je ne sais quel canard boiteux ? Pourquoi cet océan de verroteries ??? Le marronage m\'apprend à vouloir casser mes chaînes et à prendre le maquis de la contre-culture. C\'est là qu\'est le vrai but d\'@den car marronage signifie subversion et transgression d\'un ordre contraire. En conséquence, je vous invite à partir dans la montagne bouter l\'incendie de notre inaliénable révolte. Gilles Martin