« So-so-so-solidarité ! » scandait la foule dans la ville basse de Québec, tandis que dans la ville haute, derrière un mur de quelques kilomètres de long, derrière 6500 policiers et autres forces anti-émeute, derrière un nuage de gaz lacrymogène et de gaz au poivre, 34 chefs d\'état décidaient d\'un clause démocratique à l\'accord de libre-échange des Amériques qui sera mis en ouvre à partir de 2005. Evidemment le président Bush en particulier, ne se sentait pas visé par la clause démocratique. mais on sentait bien que l\'absent Castro devait en trembler. Pas de commerce sans démocratie. Ne demandez pas une définition claire de la démocratie. Le président d\'Haïti dont l\' élection a été entachée de problèmes graves faisait partie des signataires. On a noté que le président « mal-élu » avait initié de gros efforts. Quoiqu\'il en soit, Bush, signe, mais doit en référer au Congrès. Et justement la prochaine grosse mobilisation des américains aura lieu en avril autour de la tentative du gouvernement de récupérer le pouvoir commercial, « fast-track », qu\'il n\'est pas certain de réussir à re-gagner. 50000 personnes samedi défilaient donc dans la ville basse de Québec. La manifestation contre la ZLEA a été un très vif succès tant au niveau du nombre de personnes que du message qu\'elle portait. Les médi as ne s\'y sont du reste pas trompés. Les journaux francophones et anglophones donnaient une impression globalement positive de la mobilisation. CNN a du reste interrompu la veille ses émissions régulières pour, durant trois heures, suivre les événements en direct. Dans la foule très compacte et déterminée, on pouvait distinguer syndicats, mouvements de jeunes et autres organisations. La diversité renforçait très nettement la force de l\'ensemble derrière des slogans partagés et surtout derrière une même volonté de stopper le processus de libéralisation sauvage qui est entrain de se mettre en place. La population de la ville, souvent à son balcon, à sa fenêtre ou sur les trottoirs accompagnait les manifestants d\'encouragements. Cette manifestation, samedi, s\'inscrit donc dans l\'histoire des mobilisations de Seattle, Washington, Prague, Nice. Elle en marque une étape importante, d\'abord à cause de la très forte mobilisation de la partie nord du continent, bien que des représentant(e)s des trente quatre pays se trouvaient y participer, francophone (en grande majorité dans cette manifestation) et anglophone. Ensuite car la détermination, l\'impression de toutes et de tous de faire un pas en avant et de participer ce faisant à l\'écriture d\'une histoire globale, la notre, et la cohérence, la très grande clarté de la cible ZLEA mais aussi du processus de libéralisation en lui-même et les similarités qui existent entre la fabrication d\'une zone de libre échange, les plans d\'ajustement structurels du FMI, les politiques économiques de la Banque mondiale, les décisions obscures de l\'OMC, la marchandisation de l\'ensemble des activités humaines sous la pression des multinationales par l\'intermédiaire de « nos » gouvernements, sont deux éléments essentiels qui s\'inscrivent dans la rue elle-même. Personne ne pouvait s\'y tromper, cette foule venait bel et bien sur une revendication globale et unique, forte, partagé ici entre le monde hispanophone, francophone et anglophone. Ceci est sans doute quand on le compare à Seattle, une évolution très positive du mouvement entrain de se faire qui réussit à mobiliser dans un même cortège des syndicats aux mouvements citoyens. Bien entendu les modes d\'action ne sont pas toujours les mêmes. Si tout le monde a participé au cortège de la ville basse, de nombreuses personnes sont montées jusqu\'à la ville haute, près du mur qui est tombé plusieurs fois. Depuis la veille des manifestations, surtout organisées par les étudiant(e)s mais auxquelles se sont mêlés certains syndicats dès vendredi, ont pris comme cible le mur de la honte qui entourait la zone de la ville, tout en haut, là où se réunissait le sommet. Ce mur de grillage et de béton a coûté 100 millions de dollars canadiens aux contribuables. Vendredi il a tenu 10 minutes avant que de grandes parties ne tombent. Une petite foule envahit alors le périmètre interdit. La police manouvre. Les manifestant(e)s amène une énorme catapulte. Nous l\'aidons à se mettre en place dans le périmètre. La police semble hésiter. Le groupe en charge de l\'énorme machine la tend, la prépare. La police semble vouloir avancer mais des barrières anti-foule installées par les manifestants les en empêche. Feu ! Un premier ours en peluche, rose avec de superbes oreilles, vole et atteint les rangs de la police. On rebande le ressort de la catapulte. Un nouvel ours en peluche est envoyé à l\'assaut des casques et des matraques, des boucliers et des masques à gaz, des armures. Durant une quinzaine de minutes sous le feu de la catapulte à ours en peluche, la police est tenue en échec. Inutile de dire qu\'après plusieurs dizaines de grenades au poivre et de lacrymogène, le terrain est reconquit par la police. Mais ce n\'est qu\'une petite victoire, déjà plus loin, le mur tombe à nouveau. Ailleurs d\'autres cortèges l\'atteignent et s\'installent devant cette cicatrice qui partage la ville en deux hermétiquement. Vendredi entre 6 et 8 mille personnes réussissent à assiéger le sommet de leur propre ville envahit par trente quatre personnes protégées par quelques milliers de policiers. Les vents ou les dieux comme on le voudra, sont du reste avec nous, puisque les gaz sont refoulés vers les systèmes d\' aération des grands hôtels et des salles de réunion. On étouffe, on pleure, on a la peau qui brûle. Les pompiers interviennent dans la zone interdite afin de « nettoyer » tout cela et pour tenter de faire disparaître les gaz irritants des tapis rouges et des salles de réunion. Le sommet aura plus d\'une heure de retard. Jusqu\'au lendemain, le plus souvent avec un très grand calme, les manifestant(e)s se regroupent dans toute la ville ou devant le mur. La police intervient maintenant avec violence. L\'ennemi des manifestant(e)s même pour ceux qui choisissent l\'action la plus directe possible est bien le mur et les forces qui le gardent. Malgré les bruits qui ont couru et qui ont forcé les commerçants à installer des planches de bois devant leur vitrine, la ville ne sera pas mise à sac par des hordes sauvages de jeunes déchaînés. Bien au contraire. A l\'issue de 48h d\'intervention policière les habitants se plaignaient plutôt de ne plus pouvoir respirer chez eux, voire de troubles plus gênants. Québec, par sa mobilisation et sa détermination importante, entre donc aujourd\'hui dans une suite d\'évènements pour construire un autre monde possible. Il s\'agit de prolonger encore plus cette marche en avant qui s\'arrêtera en juillet à Gènes. Laurent Jésover. Rédacteur journal@attac.org