******* Isabelle Stengers :
La décision de poursuivre des membres des Collectifs Contre les Expulsions a une signification très simple : ces collectifs doivent être brisés, discrédités.
Le caractère grotesque des charges réunies contre leurs membres ne doit pas faire rire. C'est précisément le pouvoir de l'Etat qui se manifeste ainsi, sa capacité à détruire ceux qu'il définit comme ses ennemis par n'importe quel moyen. Et le fait que l'Etat puisse définir comme ses ennemis des citoyens qui ont mené des actions non violentes contre une "politique" qu'ils jugeaient inacceptable, criminelle, confère sa signification à ce fait : nous vivons dans la "forteresse-Europe", ce qui signifie "nous sommes en guerre".
C'est une guerre de type nouveau, et sans doute plus impitoyable que les guerres classiques, car elle ne s'accompagne d'aucun espoir de paix. Elle demande la mobilisation et la discipline à l'intérieur, et exige que nous nous défendions par tous les moyens contre la menace extérieure.
Nous devons être sans cesse "meilleurs", plus "flexibles", plus "motivés" pour faire face aux grandes manœuvres économico-financières.
Nous devons apprendre à nous défendre impitoyablement contre les "pauvres", et notamment ceux qui fuient la répression, l'absence d'avenir, ou alors entreprennent tout simplement cette aventure immémoriale, qui a tissé l'histoire de l'humanité et qui fait partie
des Droits de l'Homme : quitter la terre natale, migrer.
Et nous devons accepter que la guerre implique le maintien de l'ordre et la chasse aux traîtres, ceux qui pourraient inspirer des doutes, susciter des scrupules, ouvrir l'imagination à un autre futur.
L'Etat n'a plus en charge l'avenir commun, il est désormais avant tout en position de "contremaître", responsable de la bonne tenue de la population, du maintien de son moral et de sa soumission à l'effort de guerre. C'est pourquoi, il assimile aujourd'hui à des "terroristes" tous ceux qui luttent contre un aspect ou l'autre du "nouvel ordre économique". C'est pourquoi il autorise, ou encourage, des représentants de ce qu'on appelle encore les "forces de l'ordre", à se livrer à des pratiques véritablement inhumaines, prenant la responsabilité de fabriquer de véritables tortionnaires, quitte à ce que, bien formés, ceux-ci puissent être ensuite employés à d'autres fins (ou se découvrent pour eux-mêmes de telles fins).
C'est pourquoi il exige de ce qu'on appelle encore des "assistants sociaux" qu'ils convainquent les victimes de se résigner, d'accepter, de plier.
La question des immigrés n'est pas (seulement) une question d'humanité, de compassion, de solidarité. C'est aussi de l'assassinat de la politique telle que la définit un régime démocratique qu'il s'agit. Il n'y a pas de démocratie au sein de forteresses assiégées aussi bien de l'extérieur qu'à l'intérieur.
Lorsque l'on habitue le peuple belge à ce que des mesures inhumaines ou grotesques soient prises en son nom, ce qui se prépare est la manière dont seront gérées - il ne s'agira plus de politique - les populations à qui on demande dès maintenant de faire confiance dans un monde de plus en plus désespéré et effrayant.
Apprendre à penser, à se situer, à réinventer des manières de lutter ensemble, c'est-à-dire à (re)faire de la politique, est un processus qui exige du temps.
Mais ce processus demande d'abord un "non" aux choix dont l'Etat prétend nous faire les otages. Choix entre le mal "ouvert", typé, reconnaissable, haineux (la montée de l'extrême droite) et ce que Hannah Arendt a appelé "la banalité du mal" : mal quotidien, qui est là chaque fois que nous nous disons "je sais bien mais quand même, cela pourrait être pire, et d'ailleurs, il n'y a rien à faire, il n'y a pas de boulot pour tout le monde, et on ne peut accueillir toute la misère du monde".
Un faux choix car acceptant l'un, nous aurons sans doute aussi l'autre.
***** Union des progressistes juifs de Belgique :
Il va de soi que l'UPJB était massivement présente lors des diverses manifestations de protestation contre cette expulsion collective sur base ethnique (les Tziganes en octobre 99), comme elle l'a été lors des autres manifestations contre les centres fermés et les expulsions.
Ce n'est que le hasard et l'arbitraire, qui a fait qu'un seul de ses membres se trouve parmi les dix-huit inculpés.
Nous sommes en effet nombreux à avoir commis les mêmes actes que ceux qui leur sont aujourd'hui reprochés par la " justice " et, à ce titre, nous nous sentons tous concernés
et visés.
*********** Nicole Mayer, sociologue, membre du MRAX pour lequel elle exerce le droit de visite dans les centres fermés.
Pourquoi je soutiens les inculpés des Collectifs opposés
aux centres fermés et aux expulsions :
- parce que leur combat est légitime : il est commun à tous ceux qui veulent défendre les droits des étrangers et les libertés du citoyen ;
- parce qu’ils ont voulu alerter l’opinion sur ce qui se passe d’inacceptable derrière les barbelés des centres fermés et dans les locaux de la gendarmerie de l’aéroport ;
- parce que j’ai vu des femmes et des hommes souffrir l’angoisse de l’enfermement après avoir connu des souffrances chez eux et espéré trouver ici ou ailleurs en Europe, une protection et une existence décente ;
- parce c’est souvent après un examen insuffisant et superficiel de leur demande d’asile que des personnes sont détenues puis expulsées, ou bien relâchées sans moyens d’existence ;
- parce que certains m’ont montré les traces visibles des brutalités subies lorsque l’on a tenté de les embarquer de force, et m’ont raconté les menaces et les violences ;
- parce que des départs " volontaires " vers un avenir périlleux sont obtenus par des pressions qui s’apparentent à de la torture morale ;
- parce que ce qui tient lieu actuellement de politique d’asile et d’immigration entraîne nécessairement des injustices et des violations des droits de l’Homme ;
- parce que, par une curieuse inversion des valeurs, on criminalise ceux qui s’opposent à cette politique et non ceux qui en sont les responsables ou les exécutants trop zélés ;
- parce que les tracasseries policières et les poursuites judiciaires à l’encontre des membres des Collectifs révèlent les à-côtés hideux de cette politique ;
- parce qu’il est indécent de vouloir punir le délit d’opinion et le délit de solidarité.
********* Corine Barella, journaliste :
Les droits et libertés démocratiques se défendent quotidiennement.
Le péril est grand, les années nonante ont marqué un tournant sociétal vers un pouvoir autoritaire qui s’est traduit par des atteintes portées aux droits et libertés des citoyens.
Celles et ceux qui défendent leurs droits fondamentaux et les droits fondamentaux d’autrui sont désormais la cible des attaques des exécutants de la politique gouvernementale, les gardiens d’un certain ordre social.
Il n’est pas bon contester les décisions du pouvoir en place, même si celui-ci bafoue allègrement, conventions internationales, droits de l’Homme, et Constitution belge.
Nous sommes là pour exercer cette légitime vigilance à l’égard de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui et pour tenter de mettre un terme à ce que nous considérons comme inhumain, injuste, et inacceptable pour un démocrate.
Nous ne nous laisserons pas museler par la peur des poursuites, simplement parce que nous défendons des valeurs reprises dans une certaine déclaration universelle...
************ Predrag Grcic, LDH-section Bruxelles :
Comme les membres des Collectifs, nous nous opposons aux centres fermés, véritables "arrière-cours de la démocratie", aux expulsions collectives et aux lois qui frappent les sans-papiers, notamment sur le plan social.
A différentes reprises nous avons soutenu les membres des Collectifs dans leurs actions, qui
n'ont jamais été violentes.
Certains de nos membres ont d'ailleurs participé physiquement à plusieurs actions organisées par les Collectifs.
Nous considérons que toutes ces actions, qui donnent lieu aujourd'hui à l'ouverture de procédures judiciaires, participent d'un légitime devoir de résistance et que celles et ceux qui y ont participé doivent en être félicités.
Les procès de celles et ceux qui considèrent que la dignité humaine vaut également pour les étrangers, les candidats à l'asile, les réfugiés, seront politiques.
Ces procès seront ceux des personnes qui ont choisi la résistance civile et le délit de solidarité plutôt que la résignation devant l'arbitraire de l'Etat.
Nous choisissons la solidarité, sans la moindre hésitation.
**********Pascale Fonteneau, auteur :
Hors la loi pour avoir secoué les barbelés de la honte.
Hors la loi pour avoir manifesté sa solidarité à ceux qui étaient venus, sous
notre ciel gris, chercher un peu de chaleur, d'espoir et d'avenir.
Hors la loi pour avoir contesté pacifiquement une politique d'enfermement.
Je veux être aux côtés des femmes et des hommes inculpés aujourd'hui pour avoir
défendu des valeurs auxquelles je tiens furieusement.
C'est donc à mon tour d'être solidaire.
************ Les femmes en noir :
Face à un Etat qui durcit sa position sur les questions d’immigration et qui a fait de la solidarité un délit, nous revendiquons le
droit et le devoir de désobéissance civile.
Nous rappelons aux ministres, qu’élu-e-s par le peuple, ils/elles sont censé-e-s proposer des améliorations de la condition de chacun-e et non faire donner les gendarmes à la moindre réaction de bon sens face aux nombreuses injustices.
Symbole morbide des sans-papiers et sans-droits de notre société, Semira Adamu a trouvé la mort sous la pression physique des gendarmes obéissant à leur ministre. Ces gendarmes se trouvent bien seuls au moment de répondre de leurs actes. Quelle égalité devant
la justice de notre pays !
Semira était venue en Belgique pour tenter de trouver refuge dans une démocratie pourtant au fait des droits des femmes. Ainsi le meurtre de Semira, bien que largement médiatisé, a été présenté à la population comme un drame individuel concernant une femme en particulier. Après ce meurtre et sa médiatisation, nous avons pris conscience qu’il fallait s’organiser en tant que femme pour faire entendre la voix des femmes et faire reconnaître la dimension collective de la violence faite aux femmes dans les pays qu’elles fuient et le caractère politique de cette violence.
Nous avons constaté que la convention de Genève dans sa définition du " réfugié " ne prend pas en considération l’appartenance sexuelle comme pouvant être cause de persécution donnant droit à l’asile.
Nous, Femmes en noir contre les expulsions et les centres fermés sommes solidaires des personnes migrantes et de leur juste aspiration à une vie meilleure. Si le degré de démocratie d’une société se mesure à la place qu’elle fait aux personnes étrangères, ce qui se passe en Belgique est édifiant :
parquées dans des zones de non-droit, victimes de tracasseries administratives sans fin, expulsées avec une violence inouïe (liens de plastique compromettant la circulation sanguine, maintien entravée des heures durant, injections forcées de calmant, ...)
La même logique sécuritaire (contre qui ?!) est à l’origine de la criminalisation des réactions justifiées de la société civile.
Tous les collectifs, issus de cette société civile, s’organisent sur une base politique et c’est ce qu’on leur refuse.
La criminalisation du mouvement social se fait sur des accusations grossies et grossières où, par exemple, une facture de pressing suffit à mettre un homme en prison pour fait de vandalisme !
Les Femmes en noir sont solidaires dans l’action et la répression ce qui signifie que nous étions présentes lors des manifestations qui font l’objet des inculpations.
Nous réclamons la fermeture des centres fermés et l’arrêt des expulsions.
Nous réclamons une réelle liberté de circulation des personnes et pas seulement des biens.
Nous réclamons une réelle liberté d’expression et d’opinion.