Ce texte comporte quelques impressions personnelles sur la conférence co-organisée par le Conseil des Canadiens, CUPE (syndicat canadien de la fonction publique), Check your head ("organisation de jeunesse") et Public Services International.
Pour avoir accès au contenu voir
- Le programme et des textes de base (dont the Final frontier et l\'Or bleu)
- L\'intégralité des conférences en mp3 ! (merci Indymedia)
- Les manifestes (declaration de Cochabamba, Eaux aguets, Rien n\'est sacré)
Sur le sujet
Impossible de sortir de cette conférence sans se demander comment cela se fait que la question de l\'eau et de sa privatisation ne soit pas un enjeu en France (mais qu\'est-ce qui est un enjeu, à ce jour, à part la "malbouffe" ?). Peut être est-ce le fait que 77% de notre eau soit déjà privatisée, contrairement aux Etats Unis et au Canada où elle est toujours très majoritairement publique. C\'est vrai que nous vivons sur le berceau des deux leaders (VivendiWater et Ondeo, ex Suez-Lyonnaise) et qu\'on est déjà arrivé à nous faire croire à tous que l\'eau est un "service" ou un "besoin".
Reste que la thématique de l\'eau prend aux tripes quiconque s\'y plonge un peu. Avec la terre, l\'air, les relations sociales et leurs manifestations, elle est si fondamentale, si constitutive de notre humnité et de nos vies que l\'on ne peut parler de son avenir sans être profondément touché. Comme le disait Jamie Linton ce qui concerne l\'eau concerne les larmes des enfants, le liquide amniotique, le baptème. Pour les Nations premières (que nous appelerions les "tribus indiennes du Canada") c\'est une force de vie (ils parlent du Créateur) dont le respect nous est imposé.
Elle ouvre un lien très fort avec l\'histoire, la culture, les valeurs (et c\'est vrai qu\'entendre un chef indien là dessus ça remue). Le réseau international est là ; c\'était l\'objet de cette conférence que de le réveler. Le Sommet de la Terre arrive en 2002 à Johannesbourg et il est sûrement temps, ici, que se rencontrent ceux qui luttent pour la remunicipalisation de l\'eau partout en France (et qui n\'ont pas toujours conscience de la menace que constituent des accords comme l\'AGCS , l\'Union européenne ou le partenariat Euromed), les écologistes qui défendent les écosystèmes et la continuité des cours d\'eau et ceux qui contestent la domination industrielle et commerciale.
Sur la conférence
Je voulais rendre compte même brièvement et de façon incomplète de cette conférence parce qu\'elle me paraît exemplaire. Elle est exemplaire par le niveau de ses interventions, par les mélanges qui s\'y sont opérés et , finalement, par l\'esprit dans laquelle elle s\'est déroulée, ces trois aspects étant bien sûr liés et indissociables.
Pour ce qui concerne les interventions, je n\'ai pu assister qu\'à celles du samedi. Je vous rencoie à nouveau vers leurs enregistrement en vous engageant à les écouter et à les relayer. Michal Kravcik, Steven Shrybman (sur les procès faits par les entreprises aux états, au nom des accords de libre échange) étaient très clairs. Sur les barrages Lori Pottinger a fait une présentation assez compléte et édifiante de leur impact et des campagnes en cours. Ces interventions se sont conclues par l\'objectif de soutien aux recommendations de la Commission mondiale sur les barrages (WCD). J\'ai eu de très bons échos de celle des Néo Zélandais du vendredi (notamment une démonstration d\'un piratage de canalisation en direct), de Vandana Shiva et de Maude Barlow. Lorsuqe j\'ai eu à prendre la parole j\'ai essayé de témoigner de la privatisation de l\'eau en France, de la concentration de pouvoirs qu\'elle avait entraîné et par extensions des menaces que faisait peser ce pouvoir sur d\'autres "services" (environnement, éducation, santé, culture...).
Un intervenant Colombien, Kimy Pernia Domico, manquait. Il a été arrété par les para-militaires 15 jours avant la conférence. Une personne partie à sa recherche a été assassinée.
Le mélange entre des représentants des Nations-Premières, des Sud Africains, des syndicalistes, des ONG et des "mouvements de jeunesse" (c\'est ainsi que se présente Check Your Head par exemple) a permis d\'insufler à cette conférence une énergie, une chaleur et une exigence dans les interventions et les positions que j\'ai rarement vues. Attachés à livrer les méthodes qu\'ils acquièrent au quotidien dans leurs "workshops", Check your head faisait se lever le public entre deux interventions et demandait aux personnes par cinq de se présenter, proposait des chant , ramenant chaques moments techniques ou théoriques à l\'expression, à l\'action et à l\' échange. Ainsi, l\'ancrage et les rappels de valeurs des peuples premiers, les exigences, la chaleur et l\'énergie de mouvements de jeunes ont radicalement modifié l\'esprit de cette conférence. On sait comme la volonté d\'intégrer d\'autres communautés dans ce genre de lutte participe souvent à un détournement de leur culture et de leurs objectifs propres, notamment lorsqu\'on cherche à les "rallier" à des combats dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Pour autant il est fondamental de laisser un espace disponible par lequel ils puissent montrer la spécificité de leur rapport à l\'eau (par exemple). Lorsqu\'ils s\'en saisissent, comme ce fût le cas à Vancouver, la nature même des débats et de l\'écoute est radicalement transformée. Toucher la nécessité de cette présence fait apparaître plus cruellement notre incapacité, en France à laisser une place libre dans nos projets à des communautés qui vivent "à côté" de nous (et toujours à côté) ou à des groupes qui développent des méthodes différentes d\'organisation et d\'action. De fait, cette conférence m\'a révélé aussi clairement l\'inefficacité et l\'imposture de nos pseudo forums ou "tous ensemble" reste un slogan sans volonté.
Je retiendrais aussi que, chaque journée, les tons des premières interventions orientent de façon décisive la conférence mais que des interludes et des transitions faites par des gens exigents et impliqués permettent de relancer constamment le niveau d\'attention et de participation.
Sur les organisations
Le Conseil des Canadiens est une organisation vieille de 17 ans qui tire exclusivement ses ressources de cotisations d\'adhérents (100 000 à 35 dollars). Aucun financement public, ni des entreprises (combien d\'associations ne touchent d\'argent ni de "fondations " Carrefour ou Vivendi, ni des réserves parlementaires, ni de l\'Union européenne ?). Assez radicale à Québec pour ne pas suivre la marche des syndicats mais soutenir ceux qui se sont attaqués au Mur de la Honte, elle est à l\'origine de cette conférence et de cette ouverture vers les communautés (les mouvements indigènes et "de jeunesse") et des approches diverses (parler de l\'eau en terme,économique, politique, philosophique, historique...). Elle est également à l\'origne du refus de la Communauté d\'agglomération du Grand Vancouver (GVRD) de renoncer à la privatisation de l\'eau, refus motivé explicitement par la crainte des accords de libre-échange (ZLEA et AGCS). Pas mal ! Vivendi était sur les rangs...
Check your head se définit comme un "mouvement de jeunesse" dont l\'objet est essentiellement de faire de l\'éducation à la mondialisation dans les écoles de Vancouver. Par leur activité et leur public, ils ont développé toute une série d\'outils qui dynamisent et réveillent des exposés techniques. Ils s\'ancrent dans ce mouvement nord-américain qui développe des outils de formation (à l\'action directe non violente comme l\'a fait le DAN à Seattle ou Prague). Outils et méthodes qui intègrent la créativité, la participation et l\'appropriation par les participants des thèmes, objectifs et des modes d\'action. Chacune de leurs interludes et de leurs propositions ont relancé la conférence. Leurs propositions (temps de bilan et d\'échange quotidiens assis en cercle dans l\'herbe, initiative d\'un passage à l\'acte par une marche pour la libération de Kimi) ont systématiquement reposé des exigences d\'actions et d\'engagement. Ils sont très demandeurs de contacts en France et persuadés (c\'est une opinion répandue au Canada) que la France et l\'Europe joueront un rôle clé dans leur lutte. Oui, je sais, j\'ai bien essayé de leur expliquer mais bon.
Au sujet de la marche, on peut à nouveau constater que lorsqu\'une action est imporvisée, même lorsqu\'elle intègre des syndicalistes, des chansons et des panneaux sont créés sur lesquels apparaissent des idées et pas des logos d\'organisations.