Or le mouvement de lutte des Uns n'a pas les mêmes objectifs que le mouvement des Unes. Les Gays, en effet, a) appartiennent à la classe des hommes et jouissent des privilèges de cette classe ; b) ont un culte du pénis ; c) privilégient l'hommosocialité ; d) laissent aux femmes et aux lesbiennes un statut inférieur. a) l'appartenance à la classe des hommes confère aux gays l'accès à tous les droits des hommes (salaires plus élevés, élection aux postes de responsabilité politique, universitaire etc.) Tant il est vrai que, privé des droits liés au genre masculin pour son "orientation sexuelle," le gay fait édicter des lois visant à lui rendre ses privilèges. Pour autant, le gay ne veut pas savoir que les " Droits de l'Homme" ne sont pas ceux de la femme ni de la lesbienne. Traité d'efféminé ou de femmelette, il ne se range pas du côté des opprimées premières de la société (à l'exception des rares " effeminist faggots" des années 70 (et ajouterai-je, en relisant ce texte en l'an 2002, de quelques gynandres conscients des effets du sexisme - cfr.mon ouvrage : Contre le sexage, Balland 2000) mais revendique sa mâlitude et entend bien garder sa citoyenneté privilégiée. Ce faisant, il signe sa loyauté à la suprématie masculine ; b) en phallocratie, le pénis est fétichisé, mythifié, montré, exalté (voir le roman de Moravia Io et lui) et ce sont des hommes, Freud et ses épigones, qui ont tranquillement affirmé que la femme était un homme castré (avec les dommages que l'on sait). Le pénis (Lacan enseigne) est détenteur du Tout pouvoir, symbolique, économique, etc. Or rien, dans la culture gay, n'infirme cette prétention, bien au contraire. Ici plus que partout, le pénis est le "vecteur de la toute puissance (il n'est que de voir la gay parade), il est le totem, montré à des millions d'exemplaires avec ou sans condom, et le sort de ce pénis fait l'objet de publicité envahissant les écrans. On n' en a jamais vu autant pour quelque organe lié à la jouissance lesbienne ! La lutte contre le sida (ô combien légitime) a emphatisé l'importance du pénis. Or le sida est une maladie évitable, ce qui n'est pas le cas du cancer du sein dont meurent nos amies. Ce pénis, choyé par les gays, est redouté par maintes femmes et complètement rejeté par les lesbiennes [1], car il a été et continue d'être l'arme la plus redoutable de leur asservissement depuis l'enlèvement des Sabines jusqu'aux guerres "ethniques" où le pénis sert à purifier les ventres de quelque femme "ennemie". Les lesbiennes posent un regard politique sur l'usage du pénis. Jusqu'à ce jour, tel n'a pas été le souci des gays. c) si les gays, en général, ne "baisent pas les femmes", enfreignant ainsi un des commandements du régime hétérosexiste, c'est parce qu'en toute logique ils ne s'approchent sexuellement que des êtres qu'ils estiment égaux à eux-mêmes. A savoir des êtres supérieurs dans la hiérarchie sociale. Il va de soi que les gays, à l'instar des hétéros et plus encore qu'eux, admirent, fréquentent, favorisent, aiment les hommes. (Il est vrai que tout le monde aime les hommes, c'est une prescription qu'il ne fait pas bon transgresser). Depuis la Grèce antique, les "sodomites" n'éprouvent reconnaissance, respect et amour que pour leur caste selon une parfaite cohérence avec le régime dans lequel nous vivons. Or, NE PAS AIMER LES HOMMES comme le font les lesbiennes est perçu comme le crime social par excellence, ne pas les servir, les reproduire, les admirer, les copier, ne pas penser comme eux est dangereux [2]. C'est dire quel abîme sépare les gays, loyaux aux principes de la société viriocratique et artisans souvent heureux de certaine législation, et les lesbiennes, loyales à la classe des opprimées premières et guerrières plus souvent vaincues que vainqueurs (pas de féminin pour ce vocable, comme par hasard) dans leur lutte pour la reconnaissance d'un statut d'individue, voire de citoyenne . (Rions un peu !) d) le mépris des lesbiennes par les gays est le corollaire direct de la symbolique viriocratique. Ce mépris, volontiers assorti de violence pornographique, est si diffus, si absolu, il imprègne si bien toute manifestation de la vie publique et privée, de la culture, qu'il n'est souvent même pas senti par la majorité de celles qui en sont victimes. La haine des femmes, si bien perçue par les féministes historiques, s'étale dans la mode, dans l'enseignement, dans le divertissement. Cette haine s'accompagne d'une dérision qui fait passer pour une" plaisanterie" le plus constant dénigrement et harcèlement dont les femmes font l'objet [3]. Certes, les gays aussi font les frais de plaisanteries salaces (ne sont–ils pas baisés et enculés, réification "normalement" réservée aux femmes ?) et ils vivent alors, l'espace d'un instant, ce que les femmes endurent toute leur vie. Pour autant, s'allient-ils aux lesbiennes afin de lutter contre l'infériorisation du sexe féminin ? Non, ils surenchérissent dans la virilité, moustaches, cuir, fouet, mise en scène du sado-masochisme ou alors ils recourent aux artifices caricaturaux de la féminité la plus exacerbée, la plus ridicule, montrant ainsi qu'ils maîtrisent les deux pôles de l'aliénation humaine. Et s'en jouent. De la "pénible évolution vers la féminité" (voir Freud) ils ne voient que la "poupée Barbie" et dénoncent sans le vouloir la construction des genres, l'artificialité d'une assignation à vie. Mais le vrai débat politique, la vraie mise en accusation des normes qui définissent les statuts, qui le mène sinon les lesbiennes radicales ? L'objectif des gays est d'obtenir impunément l'accès au corps de leurs semblables dans une société hétérosexiste sans pourtant remettre en cause les fondements de l'hétérosocialité mais en visant plutôt à l'intégration assimilation dans un régime androcratique. Certes, réclamer le droit de baiser et d'être baisé (voire aimer et être aimé) par le seul sujet exalté dans le socius est considéré par les législateurs hétéros du monde entier comme une chute ontologique, un amoindrissement de l'être alors que le gay est le produit le plus cohérent d'un régime planétaire où tout le monde aime les hommes y compris et surtout la classe de sexe des femmes, appropriée dans son ensemble et dressée à servir les intérêts des hommes. L'objectif des lesbiennes est d'échapper à cette contrainte en faisant exister sur la planète ce qui n'a jamais eu son lieu, à savoir l'amour philogyne (le contraire de la misogynie). Cet objectif est considéré comme un privilège indu étant entendu que les femmes appartiennent aux hommes à toutes fins utiles. Les lesbiennes ont donc un objectif politique en contradiction absolue avec les règles des sociétés dans lesquelles elles vivent puisqu'elles préconisent ce qui n'a jamais existé : l'alliance entre Individues et la disparition des classes de sexe garantes de la hiérarchie des pouvoirs. Elles ne demandent pas moins que de retirer aux hommes les registres dont ils disposent depuis toujours , le normatif et le prescriptif. L'association des gays et des lesbiennes ne saurait avoir lieu sans une critique radicale de la phallocratie et des privilèges qu'elle confère aux mâles dans leur ensemble. C'est aux gays que revient le devoir de se désolidariser de leur classe de sexe, de mener une vraie politique contre la viriocratie, à eux de reconnaître que les lesbiennes radicales sont le moteur de cette avancée. Faute de quoi les mouvements lesbigays ne seront que l'un des avatars de la mixité revue et corrigée au bénéfice des seuls hommes. Michèle Causse est écrivain, essayiste, anciennement traductrice (Gertrude Stein, Djuna Barnes, Mary Daly, Dacia Maraini, Marylin Hacker, etc.). Elle a dénoncé le langage comme essentialiste et phalllogocentriste, lui a donné le nom d'androlecte et proposé de lui substituer l'alphalecte qui donne même statut à tous les êtres parlants. Michèle Causse, publié dans "La Grimoire", 1996 [1] A l'heure actuelle , certaines lesbiennes, les queers, sous prétexte de désacraliser le pénis, jouent à le démultiplier et à en faire une prothèse (sic)ludique. Les textes et pratiques des queers, fortement influencés par la culture masculine gay, naviguent dans l'orbe d'un courant sado-maso qui se veut subversif. La mode des drag kings , drag queens et celle, plus douloureuse, des trans, témoignent à la fois de la volonté de transgresser les genres et de l'impossibilité de le faire dans un système phallocratique. [2] D'où l'acceptation volontaire ou forcée des homosexuelles à s'associer aux gays, aux bi, aux trans, diluant ainsi leur connaissance d'elles-mêmes, leurs buts propres, leur culture, pour créer une nouvelle mixité mimétique comme dans les "maisons des homosexualités", lieu illusoire de pacification des conflits, où la présence des hommes offre une crédibilité (sic), une visibilité, des revenus financiers plus importants, etc. [3] A l'exemple de la mode qui, exhibitionniste, propage l'anorexie, des animateurs de télévision homosexuels qui n'hésitent pas à brocarder les femmes et les goudous, des articles de presse qui laissent la signature aux homos, libres de recenser les ouvrages littéraires qui ne les remettent pas en question, des universitaires qui traitent en subalternes les homosexuelles "consentantes" et ignorent ou pillent les apports théoriques des lesbiennes radicales, etc., etc.