En imposant des sanctions - y compris des sanctions militaires - contre l'Irak, mais non contre Israël, l'ONU ne fait rien d'autre qu'appliquer ses propres lois qui font la distinction entre deux types de résolutions du Conseil de Sécurité. Celles qui relèvent du chapitre 6 concernent le règlement pacifique des conflits. Ces résolutions sont dites "non contraignantes". Inversement, celles passées au chapitre 7 donnent au Conseil de sécurité un très large pouvoir, notamment celui d'engager une action militaire afin de mettre fin à une "menace contre la paix, une violation d'un traité de paix ou encore un acte d'agression". Les résolutions du chapitre 7, qui engagent tous les membres de l'ONU, ont été rares durant la guerre froide. Mais elles ont été utilisées à l'encontre de l'Irak, au lendemain de son invasion du Koweït. Aucune des résolutions afférentes au conflit israélo-arabe n'est de ce type. Immédiatement après qu'il eut envahi le Koweït, en 1990, Saddam Hussein prit conscience qu'il venait de commettre une erreur. Contrairement à ce qu'il espérait, le monde ne l'autoriserait pas, in fine, à conserver la main-mise sur les territoires dont il venait de s'emparer. Les États-Unis étaient sur le pied de guerre. Saddam s'enquit donc d'une solution qui lui permettrait de sauver la face. Une des premières idées qui lui vint à l'esprit fut celle du "parallélisme". Pourquoi ne pas négocier qu'un retrait du Koweït fût la contrepartie d'un retrait, par Israël, des territoires qu'elle occupait depuis 1967. Cette théorie a fait long feu. Mais, aujourd'hui, tandis que le monde discute de l'intérêt d'une autre guerre contre l'Irak, sous le leadership des États-Unis, l'idée nous revient sous une nouvelle forme : Israël a violé un nombre incalculable de résolutions des Nations unies et s'est constitué un véritable arsenal d'armes de destruction de masse, affirment les opposants à cette guerre. Alors, pourquoi seul l'Irak est-il pointé du doigt et menacé de représailles, tandis qu'Israël s'en tire à si bon compte ? Tony Blair reçoit une ovation lorsqu'il dit que les résolutions de l'ONU devraient s'appliquer à la Palestine autant qu'à l'Irak Cette interrogation n'émane plus des seuls Arabes. "Pas de guerre en Irak, Libérez la Palestine" est devenu le slogan des manifestants pacifistes en Europe et aux États-Unis. Dans l'esprit du public, les deux conflits sont intimement liés. Tant et si bien que les hommes politiques occidentaux ne peuvent l'ignorer. La semaine dernière, lorsque Tony Blair, le Premier ministre britannique, a voulu convaincre son parti - le Labour, sceptique quant à la nécessité d'une action contre l'Irak - il a reçu une ovation pour les quelques phrases où il disait que les résolutions des Nations unies devaient s'appliquer à la Palestine autant qu'à l'Irak. Pour tous ceux qui sont choqués par le contraste entre le traitement dont bénéficie Israël et celui infligé à l'Irak, la question se pose en termes de "droits" et de "torts", non point en termes juridiques. Et c'est pourtant bien ici le problème. L'occupation par Israël de Gaza et de la Cisjordanie, a perduré 35 ans, en dépit du désir - parfaitement légitime aux yeux du monde - de sa population, d'avoir son propre État. Et tandis qu'Israël est soutenu à bout de bras, sur le plan économique et politique par l'Amérique, cette dernière est précisément l'initiateur de la croisade contre l'Irak. La simple justice, exigerait, si l'on suit cet argument , un traitement équitable de ces deux conflits, par cette superpuissance. Certes. Mais une autre assertion, bien différente, émerge dans le débat qui dénonce "deux poids, deux mesures". Celle-ci prétend qu'Israël serait en infraction aux résolutions du Conseil de sécurité tout autant que l'Irak, et qu'en conséquence, elle devrait être traitée par l'ONU, avec la même sévérité. Erreur ! Israël et l'Irak ne relèvent pas du même type de résolution du Conseil de Sécurité Les Nations unies font la distinction entre deux types de résolutions du Conseil de Sécurité. Celles qui relèvent du chapitre 6 concernent le règlement pacifique des conflits. Ces résolutions sont dites "non contraignantes". Inversement, celles passées au chapitre 7 donnent au Conseil de sécurité un très large pouvoir, notamment celui d'engager une action militaire afin de mettre fin à une "menace contre la paix, une violation d'un traité de paix ou encore un acte d'agression". Les résolutions du chapitre 7, qui engagent tous les membres de l'ONU, ont été rares durant la guerre froide. Mais elles ont été utilisées à l'encontre de l'Irak, au lendemain de son invasion du Koweït. Aucune des résolutions afférentes au conflit israélo-arabe n'est de ce type. Ainsi, en imposant des sanctions –y compris des sanctions militaires- contre l'Irak, mais non contre Israël, l'ONU ne fait rien d'autre qu'appliquer ses propres lois. La spécificité des résolutions du chapitre 7, et le fait qu'aucune n'ait jamais été prise à l'encontre d'Israël, est d'ailleurs reconnue par les diplomates palestiniens. En vérité, c'est même un de leurs griefs principaux ! Un rapport de l'OLP, intitulé "deux poids deux mesures", publié fin septembre, met en exergue le fait qu'au fil des ans l'ONU a soutenu le droit des Palestiniens à un État, condamné la politique israélienne de colonisation, et appelé l'État hébreu à rétrocéder des territoires. Mais qu'"aucune action contraignante (exécutoire) ni aucune autre action visant à forcer l'État hébreu à appliquer les résolutions de l'ONU ou la loi internationale n'a jamais été prise par le Conseil de Sécurité." La résolution 242 de l'ONU n'exige nullement qu'Israël se retire de manière unilatérale des territoires occupés en 1967 Et qu'en serait-il quant à la validité de notre argument, si les principales résolutions du Conseil de sécurité concernant le conflit israélo-arabe relevaient du chapitre 7 ? Un autre problème surgirait : la résolution 242, de 1967, prise après la guerre des Six jours et fréquemment citée par les défenseurs de la thèse "deux poids, deux mesures" ne dit absolument pas ce que la majorité des gens subodorent. Elle n'exige nullement qu'Israël se retire de manière unilatérale des territoires occupés en 1967. Elle ne condamne aucunement la conquête par Israël de ces territoires, pour la bonne et simple raison qu'à cette époque la plupart des pays occidentaux estimaient que cet état de fait était la conséquence d'une guerre préventive parfaitement justifiée. La résolution 242 appelle à un accord négocié, basé sur le principe de l'échange de la paix contre la terre. Et cela, c'est tout à fait autre chose. Dans le cas de l'Irak, le Conseil de Sécurité a ordonné à M. Hussein de mettre en œuvre, de façon unilatérale, un certain nombre d'actions qu'il est parfaitement en mesure de faire. À l'inverse, la résolution 242 ne pourrait en aucun cas être appliquée de manière unilatérale par Israël. Pourquoi donc ? Tout d'abord parce qu'il y est question de frontières. Certains des diplomates qui ont rédigé la résolution 242 ont affirmé, après coup, qu'ils avaient envisagé d'autoriser diverses rectifications des lignes d'armistices (lignes séparant Israël de ses voisins arabes avant la guerre de 1967). Il y a eu des discussions sans fin, durant ces trois dernières décennies à propos de l'absence d'article défini (dans le texte anglais) avant l'expression "territoires occupés lors du récent conflit". Les Arabes maintiennent que la résolution exige un retrait total de chaque centimètre carré conquis. Mais même s'il en était ainsi, cette résolution ne pourrait de toute manière être appliquée sans qu'on soit parvenu, auparavant, à une solution négociée. Un exemple ? La résolution appelle à un règlement "équitable" de la question des réfugiés palestiniens. De quoi retourne-t-il ? Les Palestiniens affirment qu'une résolution de l'Assemblé générale de l'ONU, en 1948 (résolution 194), donne aux Palestiniens le droit de revenir sur les terres qu'ils occupaient antérieurement ou, à défaut, de recevoir une compensation. Israël, quant à elle, affirme n'être nullement responsable de leur fuite et ajoute que cette même résolution stipule que ces réfugiés étaient censés être disposés à "vivre en paix avec leur voisins. Or précisément, les Palestiniens, qui avaient refusé la résolution de l'ONU ordonnant la partition de la Palestine étaient tout sauf prêts à accepter de vivre en paix avec l'État juif qui venait de naître. Plus d'un demi-siècle plus tard, la population de réfugiés est passée de 700 000 personnes à au moins 3,8 millions ce qui rend impossible le retour de tous ces gens, selon Israël. Il serait possible de négocier un compromis sur ce sujet, comme Yasser Arafat et Ehud Barak ont tenté, sans succès, de le faire à Camp David il y a deux ans. Mais le Conseil de Sécurité ne dispose d'aucun plan préétabli pour résoudre cette question. Israël affirme qu'il a déjà rempli, pour bonne part, la résolution 242 et qu'il demeure prêt à l'accomplir en totalité. Il a rétrocédé des territoires à l'Égypte et à la Jordanie en échange de la paix. Il y a deux ans, Ehud Barak, alors Premier ministre, avait offert de rendre l'essentiel des Hauteurs du Golan en contre-partie d'une paix avec la Syrie. Par ailleurs, tous les accords passés entre Israël et les Palestiniens dans le cadre du processus de paix d'Oslo, l'ont été sur la base de la résolution 242. Israël s'est retiré des principaux centres peuplés par les Palestiniens (même s'il les a réinvestis depuis l'Intifada), en attendant que soit négocié un accord final. Et, bien que l'on puisse avoir de sérieuses raisons de douter de sa sincérité, le nouveau Premier ministre israélien, Ariel Sharon, affirme qu'il partage la vision de paix de George W.Bush, telle que ce dernier l'a exprimée en juin : Israël se retirant des Territoires, et une Palestine libre voyant le jour dans les frontières de 1967. (ndlr : en fait, dans son discours, G.W. Bush a parlé de l'application des résolutions 242 et 338. La 242, en anglais, ne parle pas de retrait de tous les territoires mais de territoires) On a coutume de dire que l'occupation conduite par Israël serait "illégale". C'est discutable. En mars, pour la toute première fois, Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, a qualifié d'illégale l'occupation israélienne. Mais ce n'est sans doute pas un hasard s'il s'est bien gardé de réitérer cette assertion. Si l'on en croit Sir Adam Roberts, professeur en relations internationales à l'Université d'Oxford, c'était une "grave erreur" que de qualifier l'occupation en elle-même d'illégale, plutôt que la manière dont Israël, en tant que puissance occupante, se comporte. Dans un courrier ultérieur au « New York Times », le porte-parole de M. Annan l'a d'ailleurs reconnu. Le Secrétaire général, a-t-il précisé, n'entendait pas faire référence à la légalité de l'occupation des territoires durant la guerre de 1967, mais seulement aux manquements à ses obligations en tant que puissance occupante. C'est d'ailleurs là qu'Israël s'est mis carrément en opposition avec le Conseil de sécurité. Depuis 1967, l'ONU a rejeté toutes les tentatives israéliennes de modifier le statut juridique et démographique des territoires conquis, qu'il s'agisse d'annexer Jérusalem, d'appliquer la loi israélienne sur les hauteurs du Golan ou d'implanter des colonies en Cisjordanie ou à Gaza. Comment Israël pourrait-il concilier sa politique déterminée de colonisation et l'affirmation selon laquelle il accepte la résolution 242 et, par conséquent, le principe de l'échange de la terre contre la paix ? C'est impossible. Le fait est qu'Israël, au nom de l'Histoire ancienne et plus récente (jusqu'au XIXème siècle, Jérusalem était majoritairement juive) a décidé, après avoir conquis la moitié jordanienne de la ville en 1967, que Jérusalem serait sa "capital éternelle et unifiée". Les gouvernements travaillistes de cette époque ont aussi commencé à parsemer la vallée du Jourdain et les Hauteurs du Golan d'implantations juives, afin de défendre, disaient-ils, les nouvelles frontières contre un monde arabe toujours hostile. A partir de 1977, les gouvernements de Menahem Begin et Yitzhak Shamir, dominés par le Likoud, ont poursuivi de manière ouverte la colonisation, pour des raisons religieuses autant que politiques, en vue d'intégrer les territoires occupés dans le Grand Israël. Et ce, au mépris de l'ONU, et en opposition à la logique qui sous-tend la résolution 242. Pour le coup, Israël ne peut que plaider coupable en espérant qu'ainsi sa sanction sera allégée. Ce sont les Arabes qui ont rejeté la résolution 242 en 1967 Qu'elle soit légale, ou non, l'occupation n'a que trop duré. Mais la faute n'en incombe pas seulement à Israël. Ce sont les Arabes qui ont rejeté la résolution 242 en 1967. Ils ne reconnaissaient à l'évidence Israël, ni dans ses nouvelles frontières, ni dans ses frontières d'avant-guerre. En fait, ils ne reconnaissaient pas à Israël le droit à l'existence. Et ce rejet a duré pendant encore 12 ans, jusqu'à ce que l'Égypte – seule - signe la paix avec l'État hébreu. Les Palestiniens, qui faisaient encore le serment de libérer toute la Palestine et de détruire l'Etat juif, ont dû attendre plus longtemps. Ce n'est qu'à la fin des années 80, soit 40 ans après la naissance d'Israël et 20 ans après la guerre de 1967, que l'OLP de M. Arafat a montré quelque intérêt pour une solution prévoyant deux États. Conformément aux règles qui s'appliquent à l'occupation en temps de guerre, Israël n'aurait pas dû, pendant 20 ans, jouer ainsi avec le statut de ces territoires. Mais à la vérité, ce n'est guère étonnant, vu le rejet continu et la situation de siège dans laquelle Israël a été maintenu. Quand les Palestiniens ont fait le deuil de leur rêve d'éradiquer l'État hébreu, Israël a répondu présent. En 1993, il a signé un accord avec l'OLP, aux termes duquel les deux parties se sont engagées à respecter la résolution 242, laissant de côté les problèmes litigieux (Jérusalem les implantations, les réfugiés) pour des négociations ultérieures. Il y a deux ans, ces négociations ont échoué, conduisant à la nouvelle Intifada et à l'élection de l'intraitable M. Sharon. Les Israéliens affirment que leur accord pour négocier les sujets épineux directement avec les Palestiniens rend caduques les résolutions de l'ONU sur les colonies et tout le reste. Un point de vue que le Conseil de sécurité pourrait faire sien, si toutefois les négociations reprenaient. Entre-temps, les avis du Conseil sur Jérusalem et sur les implantations sont toujours valides. Ces deux dernières années, l'Intifada a suscité une nouvelle série de résolutions. Certaines ont porté le blâme sur Israël pour l'utilisation "excessive" de la force, d'autres formulent des exigences plus spécifiques. La résolution 1435, par exemple, demande à Israël de se retirer des ville palestiniennes qu'elle vient de réinvestir, et de revenir aux positions de septembre 2002, c'est-à-dire d'avant l'explosion de violence. Israël est passé outre. Mais comme toutes les résolutions récentes, cette dernière est à double tranchant. Elle pose des exigences pour les Palestiniens que ceux-ci ont tout aussi bien ignorées. En l'occurrence, l'Autorité palestinienne est sommée de cesser toute violence et toute incitation à la violence, et de juger les personnes impliquées dans des actes terroristes. Dans le long et insoluble conflit qui agite la Palestine, chaque protagoniste se considère comme victime. Les Palestiniens disent que leurs droits nationaux ont été usurpés par l'envahisseur. Les Israéliens affirment que les Palestiniens n'ont en fait jamais accepté le droit des juifs à l'autodétermination. L'approche onusienne a consisté à reconnaître la complexité de chacune de ces demandes, à établir des principes de base larges et à activer une paix négociée. Le cas de l'Irak pourrait difficilement être plus différent. Ce pays est entré en conflit avec l'ONU elle-même, il a refusé de se plier aux directives claires –qui ressortissent du chapitre 7- au nom desquelles il doit abandonner ses armes de destruction massive. Voyant qu'Israël n'avait jamais signé de TNP (traité de non prolifération nucléaire), contrairement à l'Irak, l'AIEA a demandé à Israël de soumettre ses installations nucléaires à ses inspections, comme le TNP le stipule Mais alors, qu'en est-il de l'armement nucléaire d'Israël ? Le fait que son statut de puissance nucléaire soit officieux, le met-il sur un pied d'égalité avec l'Irak, qui a tenté d'en devenir une ? Non. En 1981, la résolution 487 a blâmé Israël pour avoir détruit le réacteur irakien Osirak, qui, selon l'État hébreu, était utilisé en vue de produire des armes nucléaires, bien qu'il eût reçu un blanc seing des inspecteurs de l'Agence internationale d'Énergie atomique. Voyant qu'Israël n'avait jamais signé de TNP (traité de non prolifération nucléaire), contrairement à l'Irak, l'AIEA a demandé à Israël de soumettre ses installations nucléaires à ses inspections, comme le TNP le stipule. Être une puissance nucléaire n'est pas, en soi, une violation du droit international Deux décennies ont passé et Israël n'a toujours pas signé le TNP. Cela met en rage les partisans du traité qui se sont efforcés de le rendre "universel". Mais, comme tout traité, les gouvernements demeurent libres de signer ou non. Ce qu'ils n'ont en revanche pas le droit de faire, c'est de signer, de recevoir, grâce à cette adhésion, de l'aide pour développer une industrie nucléaire civile, et de détourner cette technologie pour tenter de construire secrètement une bombe. Or, c'est cela, il faut malheureusement le reconnaître, que l'Irak a tenté de faire et qu'il pourrait continuer à faire. On estime qu'Israël possède un important arsenal nucléaire, sur lequel il a toujours fait silence et que ses voisins considèrent comme une provocation. Mais cela ne justifie pas l'accusation "deux poids, deux mesures : être une puissance nucléaire n'est pas, en soi, une violation du droit international.