Des conséquences du Plan Colombie en Equateur
" Le pays peut être tranquille parce que le narcotrafic et les groupes armés ne franchiront pas la frontière ", tels étaient les paroles rassurantes que tenait l'ambassadeur colombien en Equateur en mars dernier dans une interview à El Comercio. Ecartant ainsi le spectre d'une régionalisation du conflit, le diplomate tenait des propos qui ne se vérifiaient pas sur le terrain.
Fred, 2 juilllet 2001.
Le Plan Colombie et maintenant l'Initiative Andine ont amené la crainte d'un débordement de la guerre civile colombienne vers les pays voisins, et particulièrement vers l'Equateur. Une inquiétude justifiée rien déjà que par la position géographique de ce pays, voisin le plus vulnérable et le plus instable politiquement.
Situé au sud-est du pays, le département colombien du Putumayo est à la fois l'épicentre le plus important de cultures de coca dans le monde et le théâtre le plus violent de la guerre. Porte d'entrée et de sortie sur l'Amazonie, il regorge de ressources naturelles, de pétrole, de biodiversité, objets de toutes les convoitises. Pas étonnant dès lors qu'il ait été choisi comme zone-cible de la première phase du Plan Colombie et que cela engendre de graves conséquences dans la région équatorienne voisine de Sucumbios.
Depuis le début de l'année, les effets du conflit armé voisin et des éradications forcées des champs de coca se font sentir, chaque jour, de manière plus aiguë, dans cette région. Déplacements de populations, accrochages entre groupes armés, menaces paramilitaires, règlements de compte ont fait croître la tension au nord du pays. Depuis le durcissement du conflit, le commerce entre les deux régions s'est fortement affaibli, le tourisme a chuté et plusieurs narco-laboratoires ont été démantelés. L'Assemblée permanente des Droits de l'Homme (Equateur) affirme ainsi que des paramilitaires et des narcotraficants achèteraient des terres pour la culture de coca. Le ministre de l'intérieur équatorien a lui-même assuré que la plantation de coca avaient déjà commencé sur le territoire national.
Pendant que l'armée colombienne et ses assesseurs étasuniens procèdent aux épandages massifs de produits chimiques pour détruire les cultures illicites, les premiers effets sanitaires et écologiques se font sentir dans la région de Sucumbios. Plantes brûlées, animaux morts, eau polluée, vomissements, nausées, brûlures sur la peau, problèmes pulmonaires ont fait leur apparition dans la province.
L'afflux de réfugiés est aussi une source d'inquiétude pour la population et les autorités. La combinaison de la violence et des fumigations forcées pousse plusieurs milliers de Colombiens à fuir leur pays et beaucoup suivront, ce qui représente évidemment un facteur potentiel d'exportation du conflit. Face à cela, une plus grande militarisation des frontières est à craindre surtout si l'on en croit la déclaration, en septembre dernier, de Donnie Marshall, chef de la DEA (agence anti-drogues étasunienne) : " Le dit Plan Colombie amènera la confrontation à ses extrêmes avec pour but d'attaquer les réseaux du narcotrafic et ce processus confondra facilement les narcotraficants avec la guérilla et les paysans ", c'est pourquoi il " demande au reste des gouvernements d'appliquer des " politiques agressives " pour arrêter ce processus ". L'Equateur a déjà lancé son plan de contingence.
La base de Manta
En 1999, les états équatorien et étasuniens signaient une convention octroyant, pour une période de 10 ans renouvelables, l'usage de la base militaire de la côte pacifique de Manta à l'armée nord-américaine.
Au-delà des questions d'inconstitutionnalité, de non-transparence des négociations et de cette atteinte supplémentaire à la souveraineté du pays andin, de nombreux analystes et mouvements sociaux considèrent que cet accord constitue l'abandon de la neutralité équatorienne. Officiellement, cette base n'est destinée qu'à la lutte contre le trafic de drogue et à la récolte d'informations, mais dans l'hypothèse d'une intervention aérienne et maritime étasunienne, elle jouerait un rôle fondamental. Comme l'affirmait, devant le Congrès, le Général Pace, commandant en chef de l'USSOUTHCOM, "Manta … est la clé pour réajuster notre zone de responsabilité (AOR - Area of Our Responsibility - Zone de notre responsabilité), notre architecture (l'appareil militaire) et pour étendre la portée de notre couverture aérienne de DM & T (Detection, Monitoring & Tracking) dans les zones sources (zones de production de drogue)." En replacant l'utilisation de Manta dans le cadre plus général de la nouvelle stratégie étasunienne de " défense de l'hémisphère ", on appréhende mieux son importance, surtout après le refus panaméen de laisser des troupes nord-américaines sur son territoire, à la base Howard.
Avec les forward-operating locations à Curacao, Aruba (Antilles hollandaises), à Manta et à Comolapa (El Salvador) pour officiellement lutter contre la drogue, avec les bases de Liberia (Costa Rica), Vieques (Puerto Rico), Nanai, Loreto et dans el alto Huallaga (Pérou), l'Oncle Sam est en train de bâtir un nouveau projet géostratégique impérial dont le Plan Colombie/ Initiative Andine ou la Zone de Libre-Echange des Amériques (ZLEA) font partie intégrante. Exercices militaires multilatéraux (Nuevos Horizontes, Cabanas, Unitas...), encadrement des armées latino-américaines, formation des officiers, etc. Les Etats-Unis tentent de créer une force multilatérale d'intervention pour, comme dans le passé, " sauvegarder la démocratie " là où elle serait mise en danger. Il s'agit d'un repositionnement pour faire face aux résistances sociales croissantes dans l'hémisphère, pour affronter la formation d'un éventuel bloc vénézuelo-brésilien et se placer en position de force face à une présence européenne croissante. L'Equateur, quasi-colonie étasunienne, surtout depuis la dollarisation, est un pion consentant du nouvel échiquier latino-américain dont le peuple risque de souffrir gravement d'une telle politique militariste qui ne résoudra en rien les catastrophes sociales dont il été victime ces dernières années.