La première bombe des CCC explose le 2 octobre 1984 dans une entreprise américaine, Litton, à Evere. La nuit suivante, des bombes incendiaires explosent chez MAN, à Grand-Bigard. Quatre nuits plus tard, c'est au tour d'Honeywell à Evere. Ce n'est que le 16 décembre 1985 que la police judiciaire et la Sûreté d'Etat arrêtent enfin quatre membres des CCC. Parmi ceux-ci, Pierre Carette. La campagne d'attentats aura donc duré quatorze mois avant que les quatre membres des CCC soient arrêtés. C'est incroyablement long! Surtout quand on sait que le groupe qui a donné naissance aux CCC est pisté depuis des années. Ce groupe a pris forme en tant que comité de solidarité avec le groupe terroriste RAF, en Allemagne. Le 12 avril 1978, six ans avant l'apparition des CCC, le ministre de l'Intérieur, Rik Boel, déclarait: «En Belgique aussi, il existe un noyau de terroristes de la RAF. Tous ses membres sont connus. Les services belges de sécurité les tiennent à l'il.»1 Entre 1979 et 1982, Carette entretient une correspondance nourrie avec Frédéric Oriach, chef de l'organisation terroriste NAPAP, à l'époque emprisonné en France. Les services de police français et belgesépluchent ce courrier et savent donc qu'Oriach et Carette en sont venus à la conclusion qu'une campagne violente est nécessaire. Après la libération d'Oriach, en 1982, Carette et le premier cité sortent deux numéros de la nouvelle revue Subversion, laquelle annonce le début de la nouvelle lutte armée. En juin 1984, Carette se réfugie dans la clandestinité. Les services de police savent parfaitement qui il est, quels sont ses contacts et les personnes sur qui il peut compter pour des adresses clandestines et autres formes de soutien logistique. Dans ces conditions, quinze mois pour le retrouver, c'est effectivement un peu longuet... Manipulations Il y a plus encore. Lors de la plupart des attentats des CCC, c'est de la dynamite qui est utilisée. Et c'est également de la dynamite qui a été dérobée, en juin 1984, dans une carrière près d'Ecaussinnes. La dynamite se trouvait dans un bunker doté d'une muraille de béton de trois mètres de haut et surmonté de barbelés. Au milieu du bunker se trouvait le dépôt d'explosifs, protégé par du béton et un blindage en acier de 8 mm d'épaisseur. Pour arriver au dépôt, les voleurs ont dû franchir successivement trois portes, deux portes grillagées ainsi qu'une porte blindée en acier. Ils ont utilisé des foreuses, des lampes à souder et des scies électriques. Ensuite, ils ont emporté 32 caisses de 25 kg de dynamite. La police dit qu'il s'agit là d'un commando professionnel de 3 à 5 personnes, faisant preuve de beaucoup de jugeote et de sang-froid. Aucun des membres des CCC arrêtés par la suite n'avait eu, dans sa vie professionnelle, la moindre expérience qui lui aurait permis de commettre un tel vol. Question: les a-t-on aidés? La même question se pose pour les attentats du 12 décembre 1984. Ce jour-là, en 45 minutes, les CCC commettent cinq attentats: à Ittre, Glons, Estival, Gastuche et Gages. Les attentats visent des pipelines de l'Otan. Les CCC utilisent six bombes. Tout le monde reste bouche bée face à tant d'efficacité et de professionnalisme. Beaucoup se posent désormais la question: se pourrait-il que les CCC soient manipulés en vue d'atteindre un certain but politique? A l'époque, Manu Ruys est rédacteur en chef du Standaard. On pourrait difficilement lui reprocher d'être le défenseur d'une théorie du complot. N'empêche que, le 13 décembre 1984, il écrit: «Les actions des CCC ont lieu à un moment où la Belgique ne se comporte pas comme le plus soumis des alliés de l'Otan (à l'époque, il y a des manifestations massives contre l'installation des missiles nucléaires américains, ndlr). Le terrorisme des CCC affaiblit la pensée pacifiste et renforce l'influence des faucons de la guerre. La question centrale est donc de savoir qui trouve son intérêt dans ces attentats.» Comme dans le bouquin Les CCC démarrent leur campagne au moment où les Tueurs du Brabant poussent à son paroxysme la guerre psychologique contre la population. Les Tueurs sont occupés à mener une campagne de terreur qui fait penser aux assassinats aveugles des partis d'extrême droite en Italie et en Amérique Centrale et du Sud. Presque en même temps que l'arrestation des membres des CCC et la fin de leur campagne «communiste» d'attentats, on assiste à la fin de la terreur des Tueurs du Brabant. La chronologie s'adapte parfaitement à la méthode de travail utilisée dans la stratégie de la tension. L'objectif de cette stratégie est de créer la tension et l'inquiétude parmi la population pour préparer un climat propice à une législation plus répressive et un appareil de répression plus important avec des compétences élargies. La description de cette stratégie se trouve dans une note du général américain Westmoreland. Celui-ci écrit en 1970 déjà que les campagnes de terreur ont leur utilité pour pousser la population à prendre une certaine direction politique. Ce général remarque alors finement qu'il vaut mieux alterner une campagne de terreur de «gauche» avec une campagne de «droite». 2 On atteint ainsi la plus grande efficacité possible, écrit-il. Efficace, le binôme Tueur du Brabant ú CCC l'a été à n'en pas douter: après leurs actions, l'arsenal des lois répressives s'est considérablement étoffé et les services de police ont reçu plus d'effectifs et de moyens. Pour des formes de lutte adaptées Les CCC prétendaient servir la révolution, être communistes et mener l'action au nom de la classe ouvrière et du peuple. Mais ce n'est pas parce qu'on est anti-américain, qu'on tient un discours de «gauche» et qu'on lance des bombes qu'on est révolutionnaire. C'est une absurdité, que de vouloir déclarer la révolution. L'abc du marxisme nous enseigne que la révolution, c'est le peuple qui la fait. Seul le peuple est en mesure de renverser le capitalisme et de créer une autre société. Aucune forme de lutte n'est à rejeter. Mais les communistes généralisent et organisent la lutte que les travailleurs développent spontanément. Ils amènent aussi cette lutte à un niveau plus élevé. Toute forme de lutte est légitime si elle est menée en accord avec les circonstances concrètes. Dans les années 80 et de nos jours, la lutte légale et syndicale constitue la forme la plus importante de lutte. Demain, si les Américains envahissent l'Irak, la guerre de résistance, là-bas, sera la forme de lutte qui convient. Dans les années 80 comme aujourd'hui, mener une action «révolutionnaire» sans le peuple et contre la volonté du peuple est contre-révolutionnaire, puisqu'elle détourne le peuple des véritables révolutionnaires qui, patiemment et systématiquement, organisent la classe ouvrière et le peuple. Mais il n'est pas interdit de penser que c'était précisément le but que poursuivaient ceux qui ont manipulé les CCC 1. Cité dans Jos Vander Velpen, Les CCC, l'Etat et le terrorisme, EPO, Berchem, 1987, p.12 · 2. W.C.Westmoreland, Stability operations intelligence field, 18 mars 1970.