"Mais Thierry, tout ton raisonnement ne part que du point de vue des travailleurs de la nation dominatrice et pas de ceux de la nation opprimée, les palestiniens." Mais David, si je ne m'occupais pas du point de vue des travailleurs de la nation dominatrice, qui le ferait ici? J'ai l'impression que vous pensez tous qu'il y aurait moyen d'arriver à une solution juste et durable sans, voire contre, les travailleurs israéliens. Dis-moi franchement si tu as déjà sérieusement pensé à intégrer leur point de vue dans ta réflexion. Tu peux les sommer tant que tu veux d'accepter ta Palestine laïque et démocratique, ils t'enverront paître. Mon point de vue sur l'Etat juif diffère radicalement de celui des sionistes. Je ne suis pas un sioniste de gauche, David, comme tu sembles le suggérer par ta référence à Peres (à supposer qu'il soit de gauche, ce dont je doute). Les sionistes partent du préjugé réactionnaire que Juifs et non-Juifs ne peuvent coexister durablement en dehors de la Palestine. Ils y ont créé un état juif en dépit du bon sens vu qu'il n'y avait pas une majorité juive. Il a fallu un nettoyage ethnique et un régime de discrimination contre les Arabes restants pour donner corps à cette chimère. Mais en 50 ans, cette majorité juive s'est consolidée avec l'immigration d'1 million de Juifs venus du monde arabe et de centaines de milliers de Juifs venus d'Europe et de Russie. Aujourd'hui la majorité juive en Israël est un fait comme la majorité anglo-saxonne est un fait au Texas. Si tu fais revenir brusquement au Texas les descendants des Mexicains qui en avaient été chassés, tu créeras un nouveau conflit et un mal plus grand que celui que tu voulais réparer. Vouloir créer un état certes laïque, mais tout de même à majorité arabe, sur un territoire actuellement à majorité juive reviendrait à commettre la même erreur que les sionistes en 1948 qui ont créé un état juif sur un territoire à majorité arabe. Ce serait faire du sionisme à rebours. Ce n'est pas que je sois contre un seul état palestinien laïque où Juifs, musulmans et chrétiens coexisteraient. Mais l'âpreté du conflit israélo-palestinien a rendu cette perspective irréalisable à court et à moyen terme. Les Juifs craignent de se retrouver minoritaires dans un état avec ceux qu'ils ont opprimés pendant si longtemps. La question de savoir si cette crainte est justifiée n'a aucun intérêt. Le fait est qu'ils le craignent. Même des pacifistes israéliens (donc acquis à la cause palestinienne) se demandent ouvertement: "Les Arabes nous pardonneront-ils tout ce que nous leur avons fait?" C'est pourquoi il faut garantir deux états, l'un à majorité juive, l'autre à majorité arabe. Il ne s'agit pas de créer 2 états ethniquements purs. Juifs, chrétiens et musulmans coexisteront dans les 2 états qui seront également laïques. Mais les Juifs auront la garantie dans l'état où ils seront majoritaires de ne pas dépendre de ceux avec qui ils ont été si longtemps en conflit. Le projet du FPLP d'une seule Palestine laïque et démocratique se verra toujours offrir une fin de non-recevoir de la part des Juifs. Abu Khalil, un dirigeant du FPLP, le reconnait implicitement puisqu'il confiait dans une interview à Solidaire à l'approche du 1 mai de l'année passée que "la lutte palestinienne est peut-être à mi-chemin". Le problème, c'est qu'elle dure depuis 50 ans. Si elle n'est qu'à mi-chemin, ça veut dire qu'il y a encore 50 ans à tirer avant d'atteindre la Terre promise. Est-ce cela la perspective qu'on va donner aux jeunes Palestiniens d'aujourd'hui? Encore 50 ans à tirer? Sans compter que dans 50 ans la colonisation juive en Cisjordanie sera sans doute devenue irréversible. Est-ce que mon programme est pour autant en deça des résolutions 190 et 242? Si je ne me trompe, elles prévoient le retour d'Israël dans ses frontières de 1967 et le retour des réfugiés. Je pense effectivement qu'elles ne sont plus applicables telles quelles. Les Palestiniens devraient accepter des limitations au retour des réfugiés. En revanche, les Juifs recevraient un territoire bien en deça des limites de 1967. La Galilée et le Néguev, sous-peuplés, pourraient être rattachés à l'état palestinien et accueillir la quasi-totalité des réfugiés. Toute la technologie israélienne serait mise à contribution pour mettre en valeur ces 2 territoires (surtout le Néguev). Cela n'est possible que sous le régime d'une économie planifiée démocratiquement par la population. Est-ce que tu vois un Peres proposer des chose pareilles, David? Il me surprendrait agréablement... Par contre je ne vois nulle référence au socialisme dans ton programme ou dans celui du FPLP. Pensez-vous vraiment qu'il soit possible de réinstaller des millions de réfugiés en Palestine et des centaines de milliers de colons (dans le cadre de 1 ou de 2 états, peut importe ici) dans le cadre de l'anarchie capitaliste, sans planifier rigoureusement l'économie? Même l'Israël capitaliste relativement développé n'a jamais su intégrer décemment les vagues successives d'immigrés juifs qui se sont succédés. Beaucoup vivent aujourd'hui dans les quartiers dégradés de Tel-Aviv ou d'ailleurs. Quand on ne les envoie pas dans les colonies! Le régime sioniste essaye de surmonter ses contradictions sociales en envoyant ses pauvres dans les implantations où il leur donne des logements meilleur marché qu'en Israël. D'après plusieurs sondages, l'écrasante majorité des colons seraient prêts à partir pourvu qu'on leur fournisse un logement bon marché en Israël. Mais le gouvernement préfère utiliser l'argent disponible pour la guerre. Le lien entre la guerre et le capitalisme est donc évident.