Criminalisation des luttes Penser et résister La Constitution repose sur deux choses : les institutions démocratiques et les libertés fondamentales. Les secondes sont les finalités des premières : à quoi servent les élections si les libertés publiques s'amenuisent ? En ce moment, la plupart des mouvements de résistance sociale se heurtent à de nouvelles formes insidieuses de répression. Qu'il s'agisse des actions des travailleurs des Forges de Clabecq, de la grève des chauffeurs des TEC en Wallonie, des mouvements de défense des sans-papiers, ou des manifestations contre la mondialisation lors des sommets de Seattle, de Gênes et de Laeken, la criminalisation des conflits sociaux tente de délégitimer la contestation. Cette répression tente de s'imposer par différentes voies : médiatiques, policières, syndicales, politiques et, de plus en plus souvent, judiciaires. Tout se passe comme si l'Etat, impuissant face aux pressions venant du monde économique et incapable de satisfaire les revendications sociales, concentrait son énergie à mettre la précarité sous surveillance. C'est la gestion pénale de l'injustice sociale. C'est ainsi qu'on voit un pouvoir qui se disait neuf adopter le projet d'une police unique et expulser des tsiganes comme au Moyen âge. Petit à petit s'installe l'Etat policier et proactif. Pourtant, contre le " prozactif " (" dormez tranquilles, bonnes gens, on veille sur vous ") et le " paranoïactif " (" tenez-vous tranquilles, bonnes gens, on vous surveille "), de plus en plus de citoyens font le choix de la vigilance constante. Qui sont-ils ? Ce sont, parmi bien d'autres, les treize délégués syndicaux des Forges de Clabecq qui ont non seulement été poursuivis et condamnés au pénal, mais aussi exclus officiellement de leur syndicat. Ce sont aussi les grévistes des TEC wallons qui ont été menacés d'astreintes, insultés sur le plateau de l'émission Controverse de RTL, et finalement punis par la suppression de leurs crédits d'heures - ce qui signifie pas de congé avant un bout de temps. Mais ce sont également les militants du Collectif sans ticket, qui interpellent depuis plusieurs années les hommes politiques sur la problématique de l'inégalité face au droit au transport, et qui ont tous été poursuivis et condamnés à des peines d'amende par le tribunal de police. Enfin, comment ne pas parler des 18 personnes du Collectif contre les expulsions qui ont déjà comparu devant la 44ème chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles : leur procès est reporté au 17 octobre. 9 autres prévenus comparaîtront devant la 8ème chambre du tribunal correctionnel de Liège le 14 mai. Pendant ce temps la politique d'expulsion et d'enfermement du gouvernement arc-en-ciel frappe tant les adultes que les mineurs et des milliers de clandestins. Selon Isabelle Stengers, professeur de philosophie des sciences à l'Université Libre de Bruxelles, l'avenir, au niveau mondial, dépendra essentiellement " des capacités de lucidité, d'inventivité, de coopération intelligente dans la population. Or c'est exactement ce qu'on demande aux citoyens de ne pas cultiver ! On leur demande de fermer les yeux, de se boucher les oreilles, et d'admettre que "malheureusement tout cela est nécessaire, qu'expulser les sans-papier, accepter les OGM, c'est inévitable, il n'y a rien à faire". En réalité, on signale aux gens qu'on n'attend rien d'eux, que ce qu'ils pensent est sans conséquence : ne vous mêlez pas de cela ! ". La désobéissance civile tire la loi " vers le haut " : elle rappelle à la loi sa promesse fondatrice, la recherche du bien commun. C'est ce principe que les plus progressistes des révolutionnaires français avaient inscrit à l'article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793. Cet article disait : " Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ". Cette question a évidemment alimenté de nombreux débats au cours des dernières années. En octobre 2001 se tenait à la Maison des parlementaires le séminaire Libertés publiques, désobéissances publiques et système pénal, dont nous vous livrons quelques extraits |