Guerre en Irak

"C'est pas nous! C'est la faute au traité!" (1)

Des élus défilent en tête des manifs pour la paix, se font arrêter devant l'ambassade des Etats-Unis, se couchent devant des trains de matériel militaire en partance pour l'Irak… Bravo ! Rien à redire… Mais comment les mêmes se sont-ils comportés ces derniers mois, lors des votes au Parlement ?
Surprises…

Quatre fois, MR, Ecolo et PS ont refusé de suspendre la collaboration logistique de la Belgique avec l'armée des Etats-Unis - une collaboration qui se matérialise notamment par des autorisations de passage, accordées pour des troupes et des tonnes de matériel militaire.

Selon les experts en stratégie militaire, ce soutien logistique est capital pour la réussite d'opérations impliquant la projection massive de forces armées dans une région éloignée de leur territoire d'origine. D'ailleurs, à Anvers précisément, le 27 avril 1999, le Lieutenant Général Thompson, du United States Transportation Command, remerciait les Européens pour les efforts logistiques qu'ils avaient déployés au cours de la première offensive contre l'Irak :

"You in Europe supported this massive transportation effort in so many ways : bus companies delivered our troops to airfields ; the ports of Northern Europe were filled with military equipment, supplies and ammunition ; the Rhine river became a water highway for thousands of items of rolling stock ; railroads contributed their capability ; because we had so many of our own trucks either fully utilised or sent to Saudi Arabia, the armies of Holland, France, Belgium and Great-Britain offered their truck units to assist ; border clearance procedures were streamlined to allow our convoys and trains to pass more rapidly ; airports and airlines also contributed." (2)

En janvier dernier, il était assez comique de voir la majorité bomber le torse en disant : "Pas un soldat, pas un navire, pas un avion dans le Golfe !" Mais qui - oui, qui !… - avait demandé cela ? Ce que M. Bush demandait - pas M. Kofi Annan, mais bien M. Bush - c'est de remplacer les troupes US à différents endroits où elles étaient actives pour leur permettre de se concentrer en vue de l'opération - illégale, rappelons-le - contre l'Irak. Il s'agissait aussi de les laisser passer partout où elles le demandaient, en particulier à Anvers.

De nombreux groupes ont mis le doigt, par des dénonciations publiques et des actions directes, sur l'hypocrisie du gouvernement qui, tout en développant une résistance diplomatique à la politique de Washington, laissait transiter sans broncher les troupes et le matériel militaires états-uniens.

La partition du pouvoir et le chant des résistants

Second acte, après le déclenchement de l'offensive. L'essentiel du matériel et des troupes nécessaires ayant pu être acheminé via notamment la Belgique, la majorité Ecolo-PS-MR joua simultanément la partition du pouvoir et le chant des résistants à propos de la suspension des autorisations de transit. Les déclarations se sont accumulées dans la presse, mais toujours sans effet sur les votes au Parlement.

Le dimanche 16 mars, les ministres Michel (Affaires étrangères) et Flahaut (Défense) menaçaient clairement l'administration états-unienne de lui retirer les permis de transit si elle déclenchait la guerre unilatéralement (sans résolution de l'ONU). Trois jours plus tard, patatras ! Le kern - le conseil des ministres restreint - remettait la thèse précédente à l'honneur : la Belgique ne "pouvait" pas refuser ces transports. Une décision politique ? Non, non, qu'allez-vous penser là ! C'est une "obligation internationale" à laquelle la Belgique ne peut déroger. C'est du moins ce que le Premier et ses ministres mis au pas tentaient de faire croire.

Mais il y a tout de même un petit problème dans cette affaire. Doit-on respecter une "obligation internationale" avec un partenaire qui se met clairement en infraction avec la législation internationale ? Prenons un exemple : "Je peux évidemment, à quelque moment que ce soit, m'engager à vous prêter ma voiture et nous pouvons passer contrat à ce sujet-là. Mais dès le moment où vous m'annonceriez que la voiture que je vous prête en vertu de ce contrat, vous allez l'utiliser pour perpétrer un assassinat, serais-je encore tenu par l'engagement que j'ai pris?" (Question posée à Guy Verhofstatdt à la Chambre, le 20 mars 2003).

Pas de réponse du Premier ministre mais son argumentation est résumée ironiquement par le MIR-IRG (Mouvement international de la réconciliation - Internationale des résistants à la guerre) dans une lettre ouverte : " Il lui est venu l'idée surprenante que la meilleure manière de montrer aux Etat-Unis que nous ne sommes pas d'accord avec leur politique irakienne, est d'honorer vis-à-vis d'eux " nos obligations internationales ". Raisonnement pervers s'il en est, comme si la meilleure manière de faire cesser les combats était de livrer des armes… "

Le traité de 1971 : leurre et boniments…

Quelle est cette fameuse obligation à laquelle notre gouvernement ne pouvait déroger, même dans un cas aussi grave de violation du droit international ? Quelle est cette obligation qui aurait primauté de droit sur la Charte des Nations Unies ?

Il s'agit en fait d'un traité bilatéral conclu en 1971 entre la Belgique et les Etats-Unis. Ce traité secret a finalement été publié sur le site de Greenpeace et son contenu analysé par des juristes du Centre de Droit International de l'ULB. Comme ces derniers le démontrent dans leur Note sur le traité secret conclu entre la Belgique et les Etats-Unis en 1971, l'accord ne pouvait nullement justifier le transit de troupes et matériel militaire et ne peut en aucun cas prévaloir sur le Charte des Nations Unies.

Texto

Guy Verhofstadt, ce jeune utopiste ...

Plus que jamais, nous devons continuer à travailler pour qu'ailleurs dans le monde, l'adhésion à notre modèle de société ouverte, moderne et tolérante l'emporte sur l'adulation portée aux fanatiques, aux extrémistes et aux dictateurs. (…) Nous devrons (…) veiller à ce que le reste du monde puisse bénéficier des bienfaits de la démocratie, de la justice et de la prospérité.
Déclaration de rentrée parlementaire à la tribune de la Chambre, le 9 octobre 2001 (dans le contexte de l'après-11 septembre et de l'attaque de l'Afghanistan par les Etats-Unis).

La double vie de Louis Michel :

L'Europe est la victime des pacifistes. Nous n'avons pas fourni assez d'efforts pour maintenir nos capacités militaires. Nous n'avons pas eu le courage d'en expliquer la nécessité à notre opinion publique. Nous avons abandonné nos efforts de défense aux Etats-Unis. Ils ont donc pu décider tout seuls pendant de nombreuses années.
A l'issue du Sommet européen du 17 février 2003, cité par De Morgen, 19 février 2003

Je partage vos appréhensions quant aux perspectives d'attaque de l'Irak par les Etats-Unis. (…) La carte des zones de tension et de conflit actuelles sur notre planète est effectivement assez superposable à celle des zones d'approvisionnement énergétique des pays occidentaux. Je ne suis pas loin de penser, comme vous, que la politique irakienne des Etats-Unis se détermine en fonction d'un agenda caché. Mais si l'administration américaine devait déclencher la guerre contre l'Irak, je ne peux affirmer comme vous me le demandez que notre pays refuserait d'y être associé directement ou indirectement, politiquement ou opérationnellement.
En réponse à l'interpellation de Vincent Decroly le 12 novembre 2001 en Commission des Relations extérieures de la Chambre.

En fait, le discours sur cette "obligation internationale" de la Belgique n'est qu'un leurre, un exemple de plus de cette propagande produite durant quatre ans par la majorité arc-en-ciel. Il "vise manifestement à éviter le débat politique en invoquant une argumentation juridique artificielle" (3). La permission octroyée à l'armée états-unienne est clairement un choix politique que la majorité ne semble pas vouloir assumer, préférant cacher derrière ce traité sa collaboration à la préparation et à la perpétration d'un crime aux yeux du droit international. Personne n'est alors censé en assumer la responsabilité directe. Et tant pis pour la cohérence avec les discours anti-guerre.

Notes:

(1) Cfr Vincent DECROLY & Erik RYDBERG, Principes élémentaires de la propagande arc-en-ciel, Principe septième, "S'il y a faute, c'est la faute à l'autre " - Lorsqu'il s'agit de sortir d'une difficulté sans paraître concerné, il faut toujours penser au bouc émissaire ", EPO (2003).

(2) "Vous, les Européens, vous avez soutenu cet effort massif de transport de bien des façons : les compagnies d'autobus ont amené nos troupes vers les aéroports ; les ports d'Europe septentrionale ont été remplis d'équipement, de provisions militaires et de munitions ; le Rhin est devenu une autoroute fluviale pour l'acheminement de milliers de véhicules ; les chemins de fer ont contribué à l'effort selon leurs possibilités ; puisque nous avions tant d'engins déjà engagés ou envoyés en Arabie Saoudite, les armées des Pays-bas, de France, de Belgique et de Grande-Bretagne ont mis leurs unités de transport à notre disposition ; les procédures de contrôle à vos frontières ont été améliorées pour permettre à nos convois et trains de passer plus rapidement ; vos aéroports et lignes aériennes ont également été utiles."

(3) Note sur le traité secret conclu entre la Belgique et les Etats-Unis en 1971, Centre de Droit International de l'ULB.