Economie & justice sociale SABENA:"LA FAUTE AUX SUISSES, LA FAUTE A L'EUROPE " Le Premier ministre est le plus haut responsable du gouvernement. A ce titre, c'était l'actionnaire majoritaire en chef de la Sabena. Pourtant, pour Monsieur Verhofstadt, le crash de la Sabena, c'est la faute aux Suisses, malhonnêtes, et aux directives européennes de libéralisation du transport aérien qui n'ont pas permis à l'Etat belge d'investir encore dans la Sabena C'est en tout cas ce qui ressort des réponses données le 8 novembre 2002 par M. Verhofstadt aux députés de la commission d'enquête qui, en phase de finalisation du rapport de leurs travaux, l'ont évidemment interrogé sur sa version des faits et la part de responsabilité qu'il était prêt à endosser. Sans surprise, le Premier ministre renoua avec l'air connu de "la responsabilité collective", y englobant, bon prince, celle "du monde politique". Ainsi, précisa-t-il qu'à l'époque où il siégeait dans l'opposition avec ses amis libéraux, "ils n'avaient peut-être pas été assez critiques" - pas assez durs, sans doute - dans l'exigence que l'Etat se désengage au plus vite d'une entreprise considérée comme un vestige de l'Etat - Providence.
Fuite en avant Le paradoxe, c'est que tout le discours du Premier ministre a confirmé que la gestion du dossier par le gouvernement a elle-même consisté à rendre la compagnie de plus en plus dépendante de son actionnaire minoritaire ! Une fuite en avant vers plus de dépendance et, même après la découverte de la mauvaise santé financière de Swissair, un acharnement aveugle pour obtenir que la compagnie helvète en déroute assume ses engagements vis-à-vis de la Sabena M. Verhofstadt, qui avait des amis au cur du Conseil d'Administration, n'a-t-il pas perçu plus tôt ce que la plupart des employés, ouvriers, pilotes, hôtesses et stewards de la compagnie observaient depuis des mois, à savoir que la loyauté des Suisses vis-à-vis de la Sabena n'était que du vent ? Il affirma que non, mais c'est bien difficile à croire. Dès le 19 février 2001 (8 mois avant la faillite), une note du chef de cabinet de Johan Vande Lanotte, M. Janie Haek - par ailleurs administrateur de la Sabena -, indique en des termes effrayants de lucidité, que "la lune de miel est terminée et que les Suisses songent à un divorce". A cette époque, la recherche d'un partenaire complémentaire se serait peut-être avérée moins difficile que dans l'après-11 septembre, mais M. Verhofstadt déclare la main sur le cur qu'il n'a pas eu connaissance de cette prédiction de M. Haek Au printemps 2001, le cabinet d'avocats Meyers, conseil du gouvernement sur le dossier Sabena, envoie une note circonstanciée au Premier expliquant que les résultats de Swissair se dégradent et que la société a commencé à se dégager d'autres alliances aéronautiques. Que le gouvernement français exerce des pressions plus intenses sur les Suisses pour en obtenir rapidement des dédommagements. Que la Sabena risque de passer après, et d'en faire les frais. Nouveau signal d'alarme, donc. Cependant, le gouvernement arc-en-ciel maintient la stratégie de dépendance vis-à-vis de l'actionnaire minoritaire, dont il souhaite voir la participation au capital monter à 85 %. Inébranlable credo En dépit de tous ces indicateurs, le gouvernement s'enfonce dans le projet d'arrimer définitivement la Sabena à Swissair. L'essentiel
est probablement dans la foi libérale du Premier ministre : "Ma
conviction personnelle, c'est que pour le siècle à venir,
l'aéronautique civile fonctionnera mieux dans un cadre privé
que dans un cadre public". C'est cet inébranlable credo
libéral qui alimente son enthousiasme un peu béat pour
la SN Brussels Airlines. Est-il si sûr que les vertus du privé
la conduiront beaucoup plus loin que Delsey Airlines hier et la Sabena
avant-hier ? La faute à l'Europe ? Mais les Suisses ne sont pas les seuls responsables : devant la Commission d'enquête, le Premier ministre libéral s'en prendra aussi à la réglementation européenne, qui limite, depuis 1991, l'intervention publique dans le financement de compagnies aériennes à 40 % du capital, le privé assurant le reste. Mais c'est le néo-libéralisme dont M. Verhofstadt fut l'un des porte-drapeaux au cours des années 80 qui est à la base de cette évolution ! En outre, l'Europe n'est pas un corps étranger aux gouvernements qui la composent, et Monsieur Verhofstadt en a même assumé la présidence six mois durant, de juillet 2001 à janvier 2002 A cette époque, impulser à l'échelon européen un examen de conscience sur les licenciements massifs qui se succédaient dans l'aéronautique aurait peut-être pu prévenir la catastrophe. Et le gouvernement belge était en position optimale pour prendre une telle initiative. Le rapport de la commission d'enquête à la poubelle Alors que tant de Sabéniens n'ont toujours pas reçu leur prime de fermeture, alors que le Plan social a été interprété à la baisse par Mme Onkelinx (certaines indemnités promises ne seront jamais payées), alors que, selon le Bureau du Plan, 13.000 victimes directes ou indirectes du crash n'auront toujours pas retrouvé un emploi en 2005, la majorité arc-en-ciel s'est chamaillée pour faire gommer tout nom du chapitre "responsabilités" du rapport de la commission. Et cette même majorité a censuré, sur ordre du gouvernement, le peu qui reste de ce chapitre, en n'approuvant par son vote que les seules " recommandations ", c'est-à-dire 6 pages vagues (voire dangereuses). La majorité arc-en-ciel a jeté les 324 pages restantes (contenant les constats et les responsabilité) du rapport à la poubelle, en même temps que les travailleurs de la Sabena. |