Economie
& justice sociale
Peu
après la fin de la présidence belge de l'Union européenne,
le gouvernement arc-en-ciel annonça ses priorités pour
les derniers mois de la législature. Les espoirs de ceux qui
croyaient encore en la possibilité que l'aile gauche de la majorité
se rachète une conduite en matière sociale avant les élections,
ces espoirs-là furent vite déçus
Le bilan
de l'arc-en-ciel en matière sociale marque en effet une soumission
définitive aux exigences de la " rationalité "
économique dominante. Ce qui se dessine en filigrane, derrière
cette " Note en 21 points ", inspirée des lignes directrices
européennes et du " processus de Lisbonne " qui table
sur l'augmentation du taux d'emploi à tout prix, ce n'est pas
une logique d'acteur public, guidée par l'intérêt
général, mais une logique d'acteur privé, fonctionnant
à court terme et basée sur la rentabilité économique.
Les socialistes et les verts ont voté, en rang par deux derrière
les libéraux, la réforme fiscale inégalitaire,
les aides publiques au patronat, des accords bilatéraux d'investissement
à la pelle
L'aile " gauche " de la majorité
a bien pondu quelques réformettes, mais dont l'indigence même
témoigne, au fond, d'une abdication manifeste face aux exigences
du patronat. Quel bilan tirer d'une telle législature ? On ne
peut que constater que la précarisation sociale s'effectue de
manière relativement symétrique entre celui qui travaille
et celui qui ne travaille pas, contribuant ainsi à ce qu'on peut
appeler " l'insécurité d'existence " de tous.
Coups de sonde.
Le
gouvernement crée le label social :
un transfert de la politique vers le supermarché.
Charles Picqué,
Ministre de l'économie, et membre du Parti Socialiste, se félicita
d'avoir fait voter par le Parlement son projet de loi visant à
promouvoir la production socialement responsable. Il s'agit de donner
aux entreprises respectant quelques conventions fondamentales de l'Organisation
Internationale du Travail la possibilité de se voir délivrer
un " label social ", qu'on trouvera alors sur l'emballage de
leurs produits. A priori, on devrait applaudir : comment ne pas soutenir
l'idée que les entreprises respectent les droits consacrés
par ces 8 conventions ?
Et pourtant
cette mesure brille surtout par ce qu'elle n'impose pas. A l'OIT furent
signées plus d'une centaine de conventions. La plupart sont en
vigueur et juridiquement contraignantes, ce qui signifie qu'elles lient
la Belgique. Et qu'elles devraient déjà être respectées
par les acteurs de la production. Pourquoi alors féliciter, par
l'octroi d'un label, les entreprises qui s'engagent à ne respecter
que quelques-unes des conventions en question ?
Ce qu'on
peut en déduire, c'est que la mesure consacre le règne du
consommateur : c'est lui, désormais, qui décidera, dans
les allées du supermarché, si on fait du social ou si on
n'en fait pas. Il fut un temps où le mouvement ouvrier imposait
ses victoires par une loi d'application générale. Aujourd'hui,
les socialistes lui préfèrent la volonté toute-puissante
du consommateur.
Ce mécanisme
du label social, enfin, n'est même pas un grain de sable dans la
machine à faire du profit. D'une part, les accords de libre-échange
(ABI, AGCS
) passés par le gouvernement belge ne font généralement
même pas mention de ces 8 conventions de base de l'OIT. MR, PS et
Ecolo avaient promis de les évoquer dans quelques cas exceptionnels
(celui des futurs ABI, actuellement en négociation), mais, vérification
faite, cette mention sera purement subsidiaire et non obligatoire. Il
s'agira uniquement de clauses " sociales " ou " environnementales
" qui apparaissent comme autant de pincées de sucre dans un
bol d'arsenic
D'autre part, rien n'empêchera demain les entreprises
de diversifier leur production, en fabriquant des produits " sociaux
" d'un côté, au prix de revient plus élevé,
et des produits non " sociaux " de l'autre, coûtant moins
cher à la fabrication et permettant de récupérer
les coûts des produits " sociaux ". Finalement, tout le
monde est content : l'entreprise ne perd aucun client, elle peut continuer
à piétiner les droits fondamentaux, et tous les consommateurs,
de gauche ou de droite, sont satisfaits ! Vive le socialisme !
Le
gouvernement offre des étrennes aux entreprises privées.
Globalement,
le montant des aides publiques directes et indirectes aux entreprises
privées est presque aussi élevé que les recettes
fiscales que les pouvoirs publics reçoivent de ces entreprises
Les aides consenties aux chefs d'entreprise sous forme de réductions
de cotisations patronales à la sécurité sociale sont
passées de 78,1 milliards FB (1,936 milliard d'euros) en 1999 à
150,6 milliards en 2001 !
Et pendant que les verts, les socialistes et les libéraux ouvrent
les caisses de l'Etat au patronat, les fermetures d'entreprise et les
licenciements collectifs se multiplient. La gauche, c'est par où
?=
Plus
de travail avec moins de travailleurs.
Le "
crédit-temps ", est, lui, une l'initiative de la ministre
Laurette Onkelinx, compétente en matière d'emploi et également
membre du Parti Socialiste. Il prétend aménager la possibilité
- temporaire - de travailler moins pour des catégories déterminées
de personnes, sans souffrir d'une trop grande perte de salaire. Pendant
ce temps-là, la politique de redistribution du travail et de réduction
du temps de travail reste au point mort, sauf dans les services publics.
En l'absence de l'obligation de remplacer les travailleurs temporairement
absents, la charge de travail pour ceux qui restent à leur poste
ne fait qu'augmenter, tandis que l'effet sur le taux de chômage,
lui, reste nul. On est bien loin de la réduction collective du
temps de travail. Mais figure-t-elle encore dans les programmes ?=
Le
gouvernement est irrité par les incivilités des pauvres
Le 3 avril
dernier, la majorité a adopté le projet de loi de "
lutte contre les incivilités et les violences urbaines ",
concocté par le trio Duquesne-Verwilghen-Picqué. L'objet
de cette nouvelle loi est de permettre aux autorités communales
d'infliger des amendes aux auteurs d'" incivilités "
telles que les " souillures, tags et crachats ", les "
odeurs, (les) bruits ", les " comportement agressifs ",
les " vols à l'étalage "
Le projet de loi part du constat que la " sanction pour comportement
incivique existe peu " parce que les parquets, souvent, s'abstiennent
de poursuivre. Il considère ensuite que cette absence de sanction
génère 1° " un sentiment d'impunité dans
le chef de l'auteur, qui peut conduire à la récidive et
l'escalade ", 2° " un sentiment d'abandon pour la victime
" et 3° " un sentiment d'impuissance chez les policiers
". L'impuissance des policiers, c'est toujours quelque chose que
tous les gouvernements trouvent scandaleux. Emus sans doute par la souffrance
psychologiques des braves pandores de nos villes, les pères du
projet de loi donnent aux policiers communaux et à leurs auxiliaires
le droit de punir directement l'auteur des faits litigieux, sans jugement,
sans procédure judiciaire, sans garanties procédurales,
et, bien sûr, sans droits de la défense. Les entreprises
de gardiennage sont même associées à cette répression
arbitraire, puisque, sans aller jusqu'à pouvoir verbaliser elles-mêmes,
elles " pourront faire rapport à l'autorité verbalisante
"
Ces amendes sont dites " administratives ", par opposition à
des amendes " pénales ", qui supposent, elles, l'intervention
de l'autorité judiciaire et les garanties d'impartialité
qui s'y attachent. C'est au nom de l'efficacité et de la rapidité
de la sanction que la majorité a adopté pareil dispositif.
mais attendri par celles des patrons.
Pratiquement
en même temps fut entreprise une autre réforme : celle de
la loi Renault. Cette dernière, datant de 1998, impose à
l'employeur de respecter des procédures d'information et de consultation
des travailleurs lorsqu'il entend licencier collectivement ou fermer l'entreprise.
Jusqu'à présent, la sanction liée au non-respect
par l'employeur de ses obligations était une amende administrative,
dont on vient de voir qu'elle est infligée directement par l'administration,
sans aucune procédure judiciaire. Et bien, désormais, la
sanction est " judiciarisée ", c'est-à-dire qu'il
appartient au juge de sanctionner les infractions commises par l'employeur.
Ce n'est donc qu'après une longue procédure judiciaire que
l'employeur, qui aura fait appel aux meilleurs avocats, sera éventuellement
sanctionné, le temps jouant évidemment contre les travailleurs.
Les arguments d'efficacité et de rapidité, mobilisés
pour justifier la sanction administrative des crachats et des odeurs,
s'effacent ici devant des considérations plus nobles : il s'agit
de préserver les droits de la défense de l'employeur et
de garantir l'impartialité de la procédure, et donc de remplacer
le mécanisme de la sanction administrative par une procédure
pénale classique. Entre le tagueur du métro et le patron
qui vire 500 personnes pour le profit des actionnaires, l'arc-en-ciel
a choisi son camp. Autant le savoir.
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