Economie & justice sociale

L'intervention interdite par Ecolo

Le 9 octobre 2001, le Premier ministre fait sa rentrée au Parlement. Il lit les priorités de son gouvernement pour la seconde moitié de la législature (2002-2003). Il faut remonter aux années "Martens-Gol" (début des années 80) pour retrouver une déclaration gouvernementale aussi idéologiquement libérale. En coulisses, les Verts sont écœurés. Mais il vont "renouveler leur confiance". Pour Decroly, ça n'est plus possible : comme indiqué à son groupe parlementaire, il ne votera plus la confiance et expliquera pourquoi à la tribune. Ses collègues et l'appareil du parti le lui interdisent. Il passe outre. L'offense à Verhofstadt sera sanctionnée par Ecolo quelques jours plus tard : c'est l'exclusion du groupe parlementaire (on lui coupe les vivres). Mais retour à l'objet du délit, l'intervention du député à la tribune de la Chambre, le 11 octobre. Extraits sur l'économie, les finances et la non-politique sociale.

"Ce qui frappe : une déclaration très orthodoxe, "conforme au marché"… et aux dogmes des théories économiques libérales.
Alors que les modèles souvent cités en référence mettent eux-mêmes de l'eau dans leur vin.
Le gouvernement US lui-même, après les attentats du 11 septembre, décide d'un programme de relance et de reconstruction en injectant 110 milliards US$ de fonds publics dans certaines entreprises (notamment aéronautiques) et dans des actions sociales. Quant au déficit zéro, merci pour la réaffirmation du dogme… mais ce que l'administration Bush vient de décider s'effectuera dans un contexte de dette publique gigantesque aux USA.

L'accélération des réformes, la lutte contre l'immobilisme ? Je suis preneur :

Où en est la lutte contre la criminalité économique et financière, l'un des seuls secteurs de l'action publique judiciaire qui, s'il était doté de moyens humains suffisants, rapporterait davantage d'argent au Trésor qu'il ne lui en coûterait. Quels résultats depuis deux ans ? Quelles avancées nouvelles en 2002 après les attentats ? Va-t-on enfin réduire les possibilités d'abus du secret bancaire dans la lutte contre le blanchiment ?
Qu'en est-il de l'action de votre gouvernement en matière d'arriéré fiscal ? 405 milliards de FB au 31/12/99 en impôt sur les revenus et 326 milliards de FB au 31/12/99 en TVA…
La simplification administrative comporte un important volet rendant automatique le bénéfice de certaines exonérations de charges pour les entreprises. Même pour celles qui sont à l'origine de ce trou fiscal ?

Plus de 700 milliards de FB d'arriéré fiscal… Et vous refusez 20 milliards de FB aux Mutuelles en soins de santé ! Et vous n'accordez, pour la xième fois, que les mêmes miettes aux organisations syndicales qui demandent l'augmentation des allocations sociales, les 83 000 personnes minimexées toucheront chacune 800 FB en plus en 2002 (et aussi en 2003, "si l'évolution économique le permet" comme précisé rigoureusement en page 8 de votre document). Ca fait à peine 10 000 FB/an en plus pour les plus démunis ; contre plusieurs dizaines de milliers de FB en plus pour les plus hauts revenus, dont la taxation est allégée ! Quant à la liaison des allocations au bien-être nada, Monsieur le Premier Ministre, ni pour 2002, ni même pour après !

Avouez que, comparé à la hausse de 120 % de la dotation du Prince Laurent (qui passe de 5 à 11 millions), il y a deux poids, deux mesures comme le dit le Sénateur Dubié.

Vous voulez des réformes ? Mais je suis partant.

A quand un début d'alignement sur les pays voisins dans le domaine de la taxation des plus-values boursières ? Même si vous limitiez cette taxation à un taux modeste, cela rapporterait quelque 495 milliards de FB.

Au lieu de cela, votre ligne de force en la matière, c'est " la lutte pour attirer les investisseurs américains en créant un cadre fiscal qui leur convienne ". Vous citez les Pays-Bas comme modèle.

Mais on fait cela depuis 20 ans, Monsieur le Premier Ministre ! Les gouvernements Martens, notamment Martens-Gol au début des années 80, ne juraient que par cela. Ce n'est pas de l'immobilisme, c'est de la reproduction, ce n'est pas de la réforme, c'est de la copie !

Avec quel résultat ? Un dumping fiscal à outrance depuis 20 ans, une compétition intra-européenne insensée (où la Belgique, avec les centres de coordination, occupe effectivement, je vous le concède, une place sur le podium).
D'ailleurs, quid de ces centres de coordination ? Vous parlez de neutraliser la baisse de l'impôt des sociétés par le biais de la simplification administrative (je ne vois pas le rapport) et par la suppression de certaines déductibilités. Dois-je comprendre, puisque les Centres de coordination ne fonctionnent pas sur base de mécanismes de déductibilité, mais sur base d'une définition moins exigeante de l'assiette imposable, qu'ils demeureraient intouchés en 2002 ? L'Echo du 15 mars 2001 publiait pourtant les résultats d'une étude chiffrant à 21 milliards de FB les recettes qu'une taxation à 30 % des centres de coordination libérerait.

Dois-je comprendre qu'avec le recours à des dispositifs de " ruling " que vous annoncez, lorsque la Commission européenne vous aura enfin contraint à supprimer les centres de coordination, vous aurez déjà mis au point un système de contournement des exigences européennes ?

Le ruling, cette méthode fondée sur des contrats entre certains particuliers à très gros revenus et le fisc, est déjà en soi contestable. Même au sein de l'administration fiscale, on se plaint du caractère totalement opaque de ces transactions actuellement. Quels seront les modes de contrôle administratif et politique des nouveaux systèmes de ruling préconisés ?

La sécurité sociale ? J'ai perdu toute confiance en vous sur ce point capital.

Il y a quelques heures seulement, vous rêviez encore d'aller y puiser de quoi financer les 20 (ou 25 ?) milliards nécessaires au Fonds argenté.

Et la Table ronde mise sur pied pour réfléchir à notre Sécu est moribonde, dévitalisée puisque les décisions sur l'affectation des fonds sont prises.

Social toujours : ce Parlement est un lieu de consensus sur deux sujets importants du point de vue des droits des plus faibles que sont les femmes et les enfants. Ce consensus, sur la création d'un statut pour les gardiennes encadrées et d'un fonds de créances alimentaires, votre gouvernement n'y apporte aucune contribution : pas un mot dans votre déclaration ! Là-dessus, le législatif a pourtant valeureusement fait une part de son boulot, sous la houlette de plusieurs dames de cette assemblée et de Mme Coenen…

(…)

Voilà pourquoi, Monsieur le Ministre, je souhaite formellement vous signaler aujourd'hui que je quitte votre majorité. Le projet que vous venez de réaffirmer sans ménagements est aux antipodes de celui pour lequel j'ai été élu. C'est en le combattant au Parlement et en dehors que je serai désormais le plus utile à celles et ceux qui ont voté pour le programme d'Ecolo le 13 juin 1999 - comme à ceux qui n'ont pas le droit de vote ."