UN AUTRE PARLEMENT SERA NÉCESSAIRE


Que nous est-il arrivé ?

Pourquoi une majorité MR (+ Ecolo et le PS), qui s'était présentée comme porteuse d'une amélioration attendue depuis des lunes, s'est-elle fourvoyée aux dépens des plus faibles dans les vieilles recettes, la propagande et le fatalisme ?

Il est trop tôt pour le dire. Ce dont je suis sûr, c'est que le gouvernement dit "arc-en-ciel" a éloigné notre société des objectifs sur lesquels les Ecologistes (et, à maints égards, les Socialistes) ont été délégués au Parlement.

Ayant acquis cette conviction, j'avais le choix.

Ou me taire en achevant ce second et dernier mandat dans un fauteuil, sans accrochages avec mes amis d'alors et en rasant les murs vis-à-vis de nos électeurs.
Ou maintenir le cap : lutter pied à pied pour faire progresser le projet de société sur lequel j'ai été élu, et faire primer le travail de fond et la cohérence sur le corporatisme de parti. Au moment des votes, appuyer ce qui va dans le bon sens, rejeter ce qui va dans le mauvais.

En octobre 2001, après la déclaration de rentrée du Premier ministre, M. Guy Verhofstadt, au Parlement fédéral, j'ai décidé de ne plus soutenir la politique de son gouvernement. Pour me consacrer au soutien exclusif du programme sur lequel nous avons été élus, d'autres parlementaires et moi. C'est la raison pour laquelle Ecolo m'a exclu de son groupe parlementaire, ce qui m'a amené à quitter Ecolo.

Les parlementaires sont élus pour faire progresser notre société vers des objectifs choisis par les citoyens. Un programme électoral ambitieux n'est évidemment pas réalisable sur une législature de 4 ans. La démocratie exige des compromis. Mais elle exige aussi rigueur et lucidité : il y a des compromis qui nous tirent vers le haut, il y en a aussi qui nous tirent vers le bas. Notre démocratie souffre de ces situations où des candidats disent "blanc" avant l'élection, passent un accord de formation du gouvernement "gris", mais finissent par accepter des réformes "noires", une fois scellées les alliances… et verrouillés les débats.

Oui donc aux compromis, même modestes. Mais non aux marchandages aboutissant à des marches arrière. Sur le développement durable et la qualité de la vie, la fiscalité, la réduction des inégalités, les affaires étrangères, la justice, la tolérance vis-à-vis des étrangers, la prévention des drogues, les droits de l'enfant et des plus vulnérables, l'humanisation de notre société, le renouveau politique… les compromis présentés comme équilibrés cachent en réalité plus de reculs que d'avancées.

La responsabilité confiée à chaque élu est trop importante : il ne peut la diluer dans cette discipline stérile que finit toujours par sécréter le pouvoir comme fin en soi, plutôt que comme instrument d'un authentique changement.

Et maintenant ...

Maintenant que se profile un nouveau coup bas électoral de l'extrême droite et qu'on ne va pas manquer d'en accuser tous celles et ceux qui tirent la sonnette d'alarme depuis des années…

Maintenant que la lutte contre les exclusions sociales débouche sur l'exclusion des luttes sociales, et qu'une autre manière de faire de la politique se lit "une autre manière de faire la même politique"…

Maintenant qu'est sur le point de triompher la politique comme garante du développement optimal du marché et de ses "lois"…

… Que faire ?

Réinventer, tant qu'il en est temps encore, la politique comme résistance radicale au tout-à-l'argent.

Cela ne viendra hélas pas des sommets d'institutions démocratiques qu'il faut sauver contre leur propension à épouser le modèle idéologique dominant et à évincer toute velléité alternative. Aujourd'hui et pour un temps, c'est dans la rue que cela se passera. Cette résistance-là s'internationalise par la base avec un mouvement altermondialiste qui combine expertise et travail de terrain pour interpeller les décideurs, un mouvement de travailleurs qui contournent les conservatismes d'appareils pour interconnecter leurs luttes à l'échelle européenne, un mouvement de citoyens en demande d'une justice qui se souvienne mieux du nom prestigieux qu'elle porte et de sa vocation de service public…
" Un autre monde est possible ". Pour le faire émerger, un autre parlement sera nécessaire - comme une démocratie émancipée de mécanismes de représentativité cadenassés.

Vincent DECROLY