A LA FRONTIERE BELGE, LES SOLDATS ET ARMES US PASSENT, PAS LES PACIFISTES!

Séance plénière, La Chambre, jeudi 27 février 2003.

Extrait du Compte-rendu intégral (PDF)

Vincent Decroly (indépendant): Monsieur le président, le 17 février dernier, des militants pacifistes de l'organisation écologiste Greenpeace, relayant l'opposition au projet de guerre contre l'Irak exprimée par des centaines de milliers de manifestants, le 15 février, à travers l'Europe et même en dehors, ont mené des actions visant à souligner la collaboration de la Belgique avec les préparatifs de guerre, notamment au moyen des autorisations que notre gouvernement continue à délivrer à l'armée américaine, autorisations qui portent essentiellement sur du soutien logistique et un droit de transit pour des soldats et du matériel militaire via le port d'Anvers.

Au vu de ce qui s'est passé lors de cette action non violente et lors d'autres actions comme celle qu'évoque Mme Laenens, une question se pose. Quelle est la raison pour laquelle la Belgique entend suspendre, dans ce genre de situation, l'application des accords de libre circulation européenne prévus par le dispositif Schengen?

De quoi s'agit-il? En principe, l'article 2 de la Convention d'exécution de 1990 de l'accord de Schengen prévoit la suppression générale des contrôles aux frontières intérieures du territoire Schengen avec - il est vrai - une modulation, une réserve.

Que dit l'article 2? Dans des situations où l'ordre public ou la sécurité nationale d'un pays ou des autres pays de l'accord de Schengen serait mis en cause, après consultation des autres pays signataires de l'accord et, de toute façon, pour une période limitée, certaines formes de contrôle aux frontières peuvent être restaurées. Dans l'esprit de Schengen, c'est donc une situation tout à fait exceptionnelle. Or, selon l'organisation "State watch" pas moins de vingt six suspensions ont été enregistrées depuis deux ans, dont seize pour contrer des manifestations lors de sommets internationaux, des manifestations inter-mondialistes ou des manifestations pacifistes.
Dans la plupart de ces cas, des centaines voire des milliers de citoyens sont bloqués aux frontières, ce qui pose évidemment des problèmes de tension mais aussi des problèmes de liberté de circulation et de respect pour ces citoyens-là de leur droit de s'exprimer et de manifester.

Ma question est donc de savoir pourquoi ce type de mesures est pris de plus en plus souvent par notre pays et sur quelle base? Ordre public et sécurité nationale sont deux notions qui me paraissent assez larges. Lorsque des actions clairement non violentes de ce type sont programmées, il me semble dangereux de recourir à la suspension des accords de Schengen.

Laurette Onkelinx, ministre: Monsieur le président, je vais lire les réponses préparées par mon collègue, le ministre de l'Intérieur. Il confirme que 9 ressortissants étrangers se prétendant activistes pour la paix ont reçu, ces dernières semaines, un ordre de quitter le territoire après que la police fédérale eut constaté, d'une part, qu'ils mettaient - semble-t-il - en péril l'ordre public et, d'autre part, qu'ils ne disposaient pas ou plus des documents légalement requis pour leur séjour en Belgique. Le simple fait de manifester sa sympathie pour l'une ou l'autre cause ne dispense pas automatiquement de se conformer aux règles relatives au séjour des étrangers. Cela n'autorise pas non plus à troubler l'ordre public ou à entraver la circulation de convois ferroviaires, que ceux-ci soient de type militaire ou non.

Dans cette affaire, le ministre de l'Intérieur estime que la police fédérale et l'Office des étrangers n'ont fait que leur devoir. Il est parfaitement légitime pour tout citoyen comme pour tout étranger de faire usage de sa liberté d'opinion et d'expression, mais militer pour une cause quelconque et aussi légitime qu'elle puisse paraître n'exonère pas du respect dû à l'ordre public. Militer pour un idéal ou une cause ne vous autorise pas davantage à entraver la circulation, où que ce soit. Si vous êtes étranger, votre activisme aussi noble qu'il puisse sembler ne vous dispense pas de détenir sur vous vos documents de séjour.

Il n'est absolument pas question au jour d'aujourd'hui de rétablir les contrôles à nos frontières intérieures. Les décisions prises l'ont été en conformité avec tous les instruments juridiques que vous avez d'ailleurs cités. Aucun de ces instruments ne dispense en effet les non-nationaux de se munir de leurs documents de voyage lorsqu'ils parcourent le monde. Tous ces instruments précisent par ailleurs que l'exercice des libertés d'expression et d'association ne peut se faire que pacifiquement et dans les limites prescrites par la loi.

(...)

Vincent Decroly (indépendant): Monsieur le président, je suis en désaccord radical et formel avec la réponse du ministre, communiquée par Mme Onkelinx. Selon moi, l'entrave qui aurait pu se produire est due au fait que les militants non violents en question cherchaient à suppléer à la carence manifeste de l'Etat belge.

Si dans une telle affaire, nous nous permettons d'invoquer la menace à l'ordre public, voire à la sûreté nationale, que dire d'un gouvernement ou d'un Etat -en l'occurrence la Belgique- qui persiste à soutenir au niveau logistique depuis plusieurs mois un autre Etat -les Etats-Unis et son armée- qui est en train de programmer le déclenchement d'une offensive, tout en proclamant à la face du monde qu'il serait prêt à le faire même sans mandat du conseil de sécurité des Nations unies, donc en toute illégalité?

Sur le plan de l'ordre public et de la sécurité nationale, il y a deux poids - deux mesures, d'une part, dans l'acharnement contre des militants non violents et, d'autre part, dans la passive collaboration avec un Etat de plus en plus perçu comme l'un des plus dangereux de la planète.