Ventes d'armes
POLITIQUE & COMMERCE DES ARMES: LE CAS DE LA FN HERSTAL
Le 31 août 2002, au début de la "crise" des ventes d’armes au Népal, le quotidien néerlandophone De Morgen publiait un dossier spécial, sous la plume de Douglas De Konninck & George Timmermans, sur les ventes d’armes belges et la FN Herstal. Intitulé "La Wallonie, une jeune démocratie", ce dossier révèle des données essentielles pour qui veut comprendre certaines dimensions cachées de l’affaire, analyser les ventes d’armes de la Belgique et cerner les intérêts économiques et politiques sous-jacents. C’est pourquoi nous livrons une traduction (partielle)des informations principales publiées par le célèbre quotidien.

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D’emblée, les deux journalistes posent une question essentielle : "accepte-t-on ou non que la Belgique ait sur son sol l’un des plus grands producteurs d’armes ?" . A cette question, ils répondent par l’affirmative pour la Région wallonne :

"Le gouvernement wallon est, depuis fin 1997, propriétaire à 100% de la FN Herstal. Pour cela, il a payé 62,5 millions d’euros. Son objectif était surtout d’empêcher GIAT, l’ancien propriétaire français de la FN, de vendre l’entreprise au plus offrant aux Etats-Unis, à un repreneur qui n’en aurait gardé que les meilleures parties, avec ce que ce choix suppose de pertes d’emplois ".

La FN Herstal, une " entreprise publique temporaire "

C’est donc, en principe, le contribuable wallon qui est devenu le propriétaire, temporaire, de ce fleuron économique. Pour M. Sauvage, porte-parole du groupe FN Herstal, "la participation du gouvernement wallon en 1997 visait à offrir à l’entreprise la possibilité de s’assainir".

La FN a connu une importante évolution depuis l’époque où elle faisait partie de la Générale et comptait quelque 25.000 personnes à son service. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 2.500, dont un millier à Herstal et 60 à Zutendaal. Le reste du personnel est éparpillé à travers le monde: la filiale FN Manufacturing située en Caroline du Sud et produisant exclusivement pour l’armée étasunienne, Mc Lean située en Virginie, la FN Herstal Fare East et la PTE Australia à Singapour, FN International Holding au Luxembourg. La FN possède aussi au Japon 11% de Miroku, un producteur d’armes de chasse.

Le gouvernement wallon a mis ses actions FN dans sa société participative SOGEPA, la société wallonne de gestion & de participations. La SOGEPA a fonctionné à plusieurs reprises comme un instrument pour aider certaines entreprises wallonnes, avec plus ou moins de succès : le circuit de Francorchamps, les Forges de Clabecq, Cockerill Sambre, Cristal du Val Saint-Lambert, Louis de Poortere, l’aéroport de Charleroi.

En ce qui concerne la FN Herstal, la participation s’est avérée payante. En 2001, le chiffre d’affaires était de 473 millions d’Euros, mais la FN enregistrait une perte d’exploitation de 19 millions d’Euros. Pour l’actuelle année comptable, on prévoit un chiffre d’affaires de 500 millions d’Euros et un bénéfice de 15 à 20 millions d’Euros.

Qui dirige la FN?

C’est donc la SOGEPA qui gère l’entreprise d’armements. Les deux enquêteurs du Morgen y retrouvent des membres de la mouvance d’André Cools : (…) un des administrateurs de la SOGEPA est Lambert Vergus, l’ancien chef de cabinet de Cools, assassiné en 1991, et de Vanderbiest, qui fut suspecté" de la mort de l’ancien leader socialiste wallon.

"Etre chef de cabinet permet d’entrer à la SOGEPA car tout le conseil d’administration est composé d’ex-cabinettards, principalement du Parti socialiste (PS) et du Mouvement réformateur (MR). Avoir un père influent peut aider ! Serge Kubla a remanié les sociétés de participation autour de la SOGEPA fin 2001 en en créant une nouvelle, la FWPMI. Et un des administrateurs de cette nouvelle société s’appelle Laurent Kubla.

Pour l’heure, c’est le manager français Philippe Tenneson qui donne à la FN son image publique. Il est son président et administrateur délégué. Le conseil d’administration de la FN est étonnamment petit. Aux côtés de Tenneson, il n’y a que trois membres, tous les trois logiquement administrateurs à la SOGEPA, tous des éminences grises politiques.

Le vice-président de la FN est Pierre Sonveaux. Dans le précédent gouvernement wallon, il était chef de cabinet de Robert Collignon, ministre-président à l’époque et actuellement président du Parlement wallon.

Le PS a un deuxième administrateur à la FN Herstal. Il s’appelle André Cremer. Considéré comme un "brillant économiste" dans son parti, il fut le prédécesseur de Sonveaux chez Collignon et jouit depuis des années d’une bonne image car c’était un des hommes de confiance da Dieu lui-même, Guy Spitaels. Comme lui, Cremer vient d’Ath et fut longtemps son conseiller personnel.

Le quatrième administrateur s’appelle Jean-Pierre Dubois. Il est vice-président de la SOGEPA pour les libéraux francophones et fut, de juillet 1999 à mai 2000, chef de cabinet adjoint de Kubla. Ce qui étonne chez Dubois, c’est son lieu et sa date de naissance: Jodoigne, la commune du vice-Premier Michel. "Ce sont des amis d’enfance", nous dit un journaliste local, "tout le monde le sait dans la région".

Dubois n’a jamais été très visible politiquement. C’est seulement à la fin des années ‘90 qu’il accède à l’avant-scène. Le PRL exige alors, pour la province du Brabant wallon, des mandats pour les intercommunales et les sociétés de participation. Dubois reçoit la présidence de Nivelinvest, de Nivellease et de Start Up, trois sociétés de participation nivelloises qui font la même chose au point de vue local que la grande sœur SOGEPA, c’est-à-dire distribuer de l’argent public. Mais la carrière de Dubois dans ces trois sociétés n’est pas longue. Il entre en conflit avec l’administrateur-délégué local PS, qui le considère comme un "homme de Louis Michel" indésirable à Nivelles."

Le "Telexgate"

Les deux journalistes du Morgen continuent ensuite leur enquête en nous donnant une astuce pour rendre furibard le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, et ses collaborateurs. Il suffit en fait de dire " télexgate ". C’est qu’un rapport sur les activités douteuses d’un homme d’affaire liégeois en Afrique, un rapport au ministre qui aurait dû demeurer confidentiel, est arrivé comme par téléx entre les mains… du suspect. Une affaire qui, selon Louis Michel, n’existerait que dans la tête de critiques vicieux cherchant le scandale à tout prix.

"La revue Trends publia le 13 décembre 2001 les premières révélations. Tout tourne autour de George Forrest l’homme d’affaires belge actif au Congo. Jusque récemment, il fut à la tête de la société minière Gécamines à Lubumbashi, capitale du Katanga. D’après le consul général belge à Lubumbashi, Forrest est impliqué dans certaines affaires douteuses. Ce n’est pas la première fois que Forrest est critiqué. Il fut accusé par Human Rights Watch de livraison d’armes en Afrique centrale.

Le consul livra un exposé des faits qu’il connaissait dans un rapport strictement confidentiel. Ce rapport a atterri sur le bureau de Forrest le jour-même. A l’heure actuelle, le Parquet bruxellois enquête sur la soit-disant fuite du ministère des Affaires étrangères. Forrest lui-même a porté plainte contre Trends et De Morgen, dont il exige à chaque fois 250.000 Euros de dédommagement. D’après lui, les deux journaux ont insinué que la fuite résultait de ses contacts privilégiés avec le ministre Michel.

Michel a eu une rencontre avec Forrest à Lubumbashi en mars 2000. Les organisations de paix ont protesté en disant que Forrest se trouvait à la tête de la firme New Lachaussée de Herstal. Selon Pax Christi, cette entreprise fournissait à l’Iran et à la Chine des machines à fabriquer des munitions. La même entreprise assistait la FN lors de la construction très controversée de la fabrique de munitions dans le Eldoret kenyan, sur un terrain privé du président Arap Moi. La firme de Forrest fournissait une grande partie des machines. A l’heure actuelle, il y a de plus en plus d’indices, malgré les propos rassurants de la FN, qu’Eldoret est en train de devenir, lentement mais sûrement, le principal fabricant d’armes pour toute l’Afrique. Grâce à la Belgique, dont l'Office du Ducroire avait octroyé au début des années ’90 une licence d’exportation à la FN.

La FN Herstal & GFI, plus qu’une collaboration?!

Continuer à faire une distinction entre la FN et les entreprises de George Forrest n’est pas toujours facile. Albert Diehl, qui était jusqu’en 1996 président de la FN Herstal, est aujourd’hui administrateur-délégué à la SA George Forrest International (GFI), le holding qui chapeaute le groupe tout entier. Diehl est également sous-directeur de la filiale GFI New La Chaussée (…) Après la reprise de la FN par les autorités wallonnes, Diehl est resté jusqu’en septembre 1999 administrateur-délégué de la Société Herstalienne pour la Finance, une filiale de la FN liquidée depuis lors.

"Conflits d’intérêts? Allons, allons…"

Si, bien entendu, le monde politique est très présent dans le conseil d’administration de la FN Herstal, dans le groupe GFI, les choses prennent la même tournure. Depuis le 22 février 2001, l’ancien secrétaire d’Etat au Commerce extérieur Pierre Chevalier (VLD) y est administrateur. "Grâce à mon expertise et à ma compétence", a-t-il réagi lorsque De Morgen lui a posé la question. Chevalier est président de la commission des Relations extérieures de la Chambre où le Telexgate et les activités de Forrest au Congo ont déjà été évoqués. Selon lui, il n’y a cependant pas de conflits d’intérêts. "Si jamais il existait un conflit d’intérêt, je me ferais remplacer", dit-il.

Un président d’une commission de la Chambre n’est pas le responsable immédiat des décisions et il peut effectivement se faire remplacer si nécessaire. Cependant, Chevalier n’est pas la seule grosse pointure de la rue de la Loi à avoir été introduit début 2001 au conseil d’administration de George Forrest International. Cela a également été le cas de Jean-Claude Marcourt, le chef de cabinet de la vice-Première ministre Laurette Onkelinx (PS).

Marcourt, avocat tout comme Chevalier, est depuis plus de 20 ans une personnalité très influente dans les coulisses du PS. "Un homme dont l’influence est absolument indiscutable, c’est un incontournable absolu de l’establishment PS dans le gouvernement", écrivait l’hebdomadaire Knack à son sujet l’année dernière. "Vieux de la vieille de l’appareil PS, Marcourt a déjà travaillé sous Guy Mathot, Jean-Claude Van Cauwenberghe et Willy Claes. En tant que chef de cabinet d’Onkelinx, il fait en sorte que sa ministre ne fasse pas trop de gaffes. Sans un feu vert de Marcourt, en tout cas, elle ne passe jamais à l’action ".

Marcourt a été un instant troublé dans sa quiétude lorsqu’en août 1992, les enquêteurs de la cellule Cools de Liège sont venus le voir pour une perquisition dans le cadre de l’enquête sur l’affaire de corruption Agusta. La justice a découvert qu’au printemps ’89, l’avocat liégeois avait rendu visite au siège principal du constructeur italien d’hélicoptères, à Milan. "J’accompagnais une délégation liégeoise", a déclaré Marcourt à la Justice.

Dans son esprit non plus, il n’est pas question de conflits d’intérêts. Il déclara le 26 juin au Financieel-Economisch Tijd qu’il est administrateur en congé au sein du GIF depuis son arrivée en tant que chef de cabinet chez la vice-Première Onkelinx, qu’il n’a assisté à aucun conseil d’administration chez GFI. C’est pourtant assez étonnant puisque Marcourt est chef de cabinet chez Onkelinx depuis juillet 1999 et qu’il a rejoint le conseil d’administration de GFI le 22 février 2001.

Il semble difficile d’échapper à la conclusion selon laquelle un certain nombre de ministres wallons de premier plan non seulement soutiennent le commerce des armes en région liégeoise, mais y sont eux-mêmes concrètement impliqués par le biais de toutes sortes d’hommes de paille.

Certaines déclarations faites cette semaine (article paru le samedi 31 août 2002) résonnent dès lors d’un tout autre écho. Serge Kubla, la semaine dernière : "Ce n’est pas l’un ou l’autre imbécile d’AGALEV qui va nous expliquer à qui nous pouvons livrer des armes et à qui nous ne pouvons pas". José Happart, dimanche : "Pour nous, les Wallons, il est insupportable d’être constamment attaqués dans nos intérêts économiques par ceux qui nous reprochent à chaque occasion d’être économiquement inférieurs". Louis Michel, mardi : "J’ai été blessé par la suspension de la livraison d’armes P90 au Mexique. Nous avons perdu là un contrat qui était important pour cette société. Ce contrat positionnait ces armes pour le marché nord-américain. Tout cela a été perdu.

C’est surtout l’utilisation du mot "nous" qui frappe dans ces citations."

Traduction : O. Taymans, J. Copieters, F. Lévêque.
Intertitres des traducteurs.


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