Origine et sens de l'article 66§4 du code pénal


QUE DIT-IL?

Article 66 :
"Seront punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit:"
§1 (...)
§2 (...)
§3 (...)
§4 ( L.25 Mars 1891, art.2, M.B.25 mars 1891-)
" Ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou des emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, auront provoqué directement à le commettre, sans préjudice des ]* peines portées par la loi contre les auteurs de provocation à des crimes ou à des délits, même dans le cas où ces provocations n'ont pas étée suivies d'effet.]"
(* L.28 juillet.1934, art. 1er, M.B.2 août 1934).

DE QUAND DATE-T-IL?

L'article 66§4 date du 25 Mars 1891, date qui, prise ainsi paraît insignifiante mais celle-ci est capitale pour comprendre l'enjeu de cette loi car celle-ci correspond à une époque et à des faits bien précis.
 
A QUOI SERT CETTE LOI?


Dès le début des revendications ouvrières et l'essor des premiers syndicats (1860) la bourgeoisie cherche de nouvelles armes pour réprimer les leaders des luttes ouvrières. Le 16 Avril 1886, un projet de loi est déposé devant le parlement (encore élu par suffrage censitaire).
Lors des débats à la chambre des représentants, une grande préoccupation est de comdamner légalement ceux qui se mettent debout face à l'exploitation. Ceux-cis sont dès lors définits comme "ceux qui prêchent l'anarchie" ou "ceux qui entraînent les ouvriers honnêtes sur la mauvaise voie de la grève et de la résistance à l'autorité publique". On peut alors comprendre que l'article 66§4 du code pénal (voté et appliqué le 25 Mars 1891), vise à faire légalement des leaders syndicaux, des criminels et donc à briser les révoltes sociales.    

QUI L'A PROPOSEE?

Le parlement, comme mentionné ci dessus, composé de représentants de la bourgeoisie ne manque pas d'acceuillir avec joie le projet de loi de 1886 afin de remédier à un problème croissant: les luttes sociales menées par les leaders syndicaux. Ce projet de loi est présenté par celui que l'oeuvre cinématographique "Daens" nous a bien fait connaître comme étant la caricature de l'homme politique bourgeois ultra-libéral : le peu fréquentable Woeste (si vous n'avez pas vu le film, cet homme est le stéréotype même de la bourgeoisie dominante). Nous pouvons dès lors voir l'article 66§4 sous son vrai visage : celui d'une arme juridique visant à anéantir les droits syndicaux élémentaires : la liberté d'expression, de réunion et d'opinion syndicale.
 
QU'EST-CE QUI SE PASSE A L'EPOQUE?

La fin du 19ème siècle est marquée par l'avènement du Marxisme, qui rappelont le a comme but premier l'émancipation de la classe ouvrière.
C'est en Février 1848, dans la ville de Bruxelles, que Marx publie pour la première fois le "manifeste du parti communiste", véritable programme de la lutte contre l'exploitation des travailleurs qui se termine par la célèbre phrase : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!". Dix jours après sa publication, Marx est prié de quitter le territoire tandis qu'en France, la révolution parisienne de février 1848 fait vivre pendant deux mois la commune de paris sous le pouvoir du prolétariat. Cet épisode se clotura par une insurection, noyant les ouvriers dans un bain de sang. Mais la révolte continue et ébranle l'Europe. De cette lutte émergea en Belgique, dès 1860, les premieres organisations syndicales. Cependant, la classe ouvrière vit dans la misère la plus totale : un mineur gagne 1,83F par jour, un enfant 0,50F et une femme 0,70F alors que les besoins journaliers pour une famille de 4 personnes s'élèvent à 3,50F minimum. Nous pouvons dès lors comprendre que les théories établies par Marx et Engels offrent à la classe ouvrière un espoir de reconnaissance et d'émancipation. C'est dans cette optique que les années qui suivirent furent le siège de luttes sociales de grande envergure. Il est clair que les gouvernements tentèrent tout pour éradiquer ces mouvements qu'ils n'hésiteront pas de qualifier de "terroristes".
Le 17 Mars 1886, une révolte ouvrière éclate à Liège. Huit jours plus tard, ce sont les mineurs de Charleroi qui se soulèvent suivis par l'industrie verrière. L'armée Belge, sous les ordres du gouvernement fédéral, écrasera brutalement le conflit n'hésitant pas à tirer à balles réelles faisant des dizaines de morts. Partout en Europe, des conflits sociaux semblables éclaterèrent et furent, la plupart du temps écrasés par une répression sanglante, mais malgré cela, rien ne sera plus comme avant, la classe ouvrière poursuit la marche vers son émancipation...

QUEL EST LE PAYSAGE POLITIQUE DU 19ème SIECLE?


A cette époque, le parlement est uniquement composé des représentants de la bourgeoisie. En effet, seul ceux qui paient des impôts élevés (le cens), ont le droit de vote. Cette majorité composée de libéraux, de chrétiens et de conservateurs, bref, de pions du monde patronnal, se donnent comme objectif l'expansion maximale de l'industrie avec comme politique sociale l'exploitation des masses laborieuses. Cette situation politique se reflette largement dans les conditions de travail de l'époque, où femmes et enfants sont exploités à 100 à l'heure. Un bel exemple cinématographique de cette période est notamment le film "Daens". Dans ce film, l'on peut voir aussi que l'avènement du marxisme donne naissance à une multitude de nouveaux partis qui tentent de récupérer le mouvement ouvrier. Bien entendu, ces nouveaux groupes politiques ont enlevé au marxisme tout ses aspects qui dérangent le monde patronnal tel la formule de "dictature du prolétariat". Avec le suffrage universel, le monde politique belge se verra
largement transformé étant donné qu'un nouvel électorat se présente : les masses laborieuse. Cependant, la classe bourgeoise dirigeante assure sa place en instaurant au sein du gouvernement des systèmes de contrôle tel le sénat de l'époque, dont le rôle était de freiner et dans certains cas de
bloquer le parlement afin d'empêcher l'avènement du communisme. Dès lors la phrase de Marx prend tout son sens: "le spectre du communisme hante l'Europe".
En effet, depuis l'essor du prolétariat, celui-ci se voit peu à peu augmenté de statut. Depuis lors, tout les groupements politiques bourgeois ont tentés de récupérer le mouvement ouvrier, car compter sans celui-ci aurait signé leur propre arrêt de mort. Voilà comment sont nés des partis tel le P.OB (actuel PS), dont un des premiers objectifs était d'écarter les mouvements marxistes. Ont peut voir aujourd'hui le résultat de leurs discours de "gauche" : ce sont eux, qui aujourd'hui légitiment la restructuration de l'enseignement, la fermeture des usines et qui poursuivent les leaders
syndicaux en justice.

ET AUJOURD'HUI?


Plus de 100 ans plus tard, le procureur de Nivelles ressort de l'ombre cette loi afin de poursuivre devant les tribunaux la délégation syndicale des Forges de Clabecq pour 43 chefs d'inculpation. L'indignation syndicale est grande, sommes nous encore dans l'état d'esprit du 19ème Siècle? Au niveau du gouvernement, il semble que rien n'a changé. Oui le monde patronnal réagit avec la même ardeur qu'a l'époque des grandes révoltes sociales. Oui l'article 66§4 nous vient tout droit de l'époque où les ouvriers n'avaient pas le droit de vote. Non, le fait que nous vivons dans une société "démocratique" ne change rien au fait que les délégués des Forges sont poursuivit sur base de discours qu'ils ont tenus. Oui, Roberto D'Orazio, Silvio Marra ainsi que 11 délégués des Forges de Clabecq sont aujourd'hui inculpés pour avoir dit non à la fatalité que le monde patronnal voulait leur imposer. Non, aucun membre du conseil d'administration des Forges de Clabecq n'a eu de poursuites pour avoir jeté 2000 familles dans
la misère. Oui, le combat qu'on mené les délégués pour un syndicalisme engagé leur vaut aujourd'hui le surnom de terroristes et la loi leur réserve la
place dans l'article des criminels et des délinquants. Est-ce un crime de refuser d'être au chomâge et de vivre dans la misère, est-ce un crime de se battre contre l'exclusion et pour l'emploi, et surtout est-ce un crime d'être debout??? A ces questions, la législation belge répond oui, oui et oui. 

A cela, ceux de Clabecq répondent, comme le disait la chanson :
"Ceux de Clabecq apprenent aux ouvriers
la fierté de dire NON aux lois du marché,
à l'europe du pogne,
à l'europe des nantis,
mais à l'Europe des hommes, ceux de Clabecq disent OUI."