"Tchernobyl: autopsie d'un nuage"
Cent-vingt cinq personnes souffrant de cancers ou d'affections
de la thyroïde ont déposé plainte à
Paris, dans le cadre d'une enquête ouverte sur les éventuelles
conséquences sanitaires en France de la catastrophe nucléaire
de Tchernobyl, le 26 avril 1986. Chantal L'Hoir, présidente
de l'Association française des malades de la thyroïde
(AFMT), s'est plainte devant la presse de l'inaction de l'actuel ministre délégué
à la Santé, Bernard Kouchner, sur le sujet.
"Je suis très en colère car on nous avait promis
une enquête épidémiologique et, depuis le
dépôt des premières plaintes en mars dernier,
nous n'avons pas reçu la moindre lettre", a-t-elle
déclaré.
Les plaignants entendent dénoncer l'absence de mesures
de prévention de la part des autorités françaises
en 1986, et visent plus particulièrement Matignon, les
ministères de l'Intérieur, de la Santé et
de la Recherche.
Parmi les plaignants figurent deux médecins. Me Christian
Curtil a expliqué qu'ils consommaient tous "beaucoup
de produits frais" au moment de la catastrophe. Or les produits
frais fixent la radioactivité.
Eliane Bruneel, 71 ans, qui réside à Alfortville
(Val-de-Marne). En 1986, elle se trouvait en cure au bord de l'étang
de Thau (Hérault), lorsque s'est produite l'explosion d'un
des réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Elle a continué, durant sa cure, à acheter ses produits
au marché. ''A la fin, j'ai ressenti une grande fatigue
et des palpitations''. Trois ans après, elle subi une ablation
de la thyroïde.
''Les niveaux de contamination annoncés par l'Etat sont
mensonger'', s'insurge André Paris, un géologue
qui a concouru à l'Atlas de la contamination après
Tchernobyl que va publier la Commission de recherche et d'information
indépendante sur la radioactivité (CRII-RAD), également plaignante.
Selon
les études menées par la CRII-RAD, les niveaux
de contamination revendiqués officiellement par la France
n'auraient aucune réalité scientifique. Ainsi en
Corse, les données officielles donnent des taux de contamination
par le césium 137 très inférieur à
ceux relevés par la CRII-RAD par prélèvement
de carottes de sol.
De son côté, Michel Fernex, un médecin à
la retraite qui apporte ses connaissances scientifiques à
l'AFMT, souligne que ''les malformations congénitales ont
augmenté en Bavière après le survol du nuage
radioactif'' et assure, fort de sa caution scientifique, que ''les
liens entre les cancers de la thyroïde et les retombées
du nuage de Tchernobyl sont avérées''.
En juillet dernier, le parquet de Paris a ouvert une information
judiciaire pour ''violences volontaires'' et ''atteintes involontaires
à l'intégrité physique''. En revanche, il
n'a pas retenu les qualifications criminelles que sont l'''empoisonnement''
ou l'''administration de substances nuisibles''.
Dans le cadre de cette enquête, le juge d'instruction Marie-Odile
Bertella-Geffroy a procédé des perquisitions dans
plusieurs ministères et des organismes liés au nucléaire.
De nombreux documents ont été saisis par les policiers
qui ont perquisitionné dans huit endroits différents,
à Paris et dans la banlieu parisienne. Les enquêteurs
veulent notamment savoir ce qui a fait l'objet d'une information
officielle. Les policiers ont nottament perquisitionné
aux sièges de l'Office contre les Rayonnements Ionisants
(OPRI), qui a confirmé la perquissition, et à l'Institut
de protection et de Sureté Nucléaire (IPSN). Des
directions des ministères de l'économie, de la santé,
de l'agriculture et de l'environnement, ont également été
perquissitionnées. Il s'agit notamment de la Direction
de la sûrté des Installations Nucléaires (DSIN),
de la direction générale de la Santé (DGS)
et de la direction générale de la concurrence, de
la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
pour récupérer des archives liées à
cette affaire. A la direction de la concurrence, les enquêteurs
s'intéressaient plus particulièrement aux importations
de denrées pendant la période de passage du nuage
de Tchernobyl, notamment en provenance des pays de l'Est.
La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, spécialisée dans les affaires sanitaires, en charge de cette affaire, a par ailleurs demandé à l'Elysée ainsi qu'à Matignon l'autorisation de consulter les archives relatives à cette période.
Les ministres de l'époque semblent pourtant bien à
l'abri de poursuites puisqu'en juin 2000 la Cour de justice de
la République, seule compétente, a repoussé
une plainte contre Charles Pasqua, Alain Carignon et Michèle
Barzach, en estimant qu'il n'existait "aucun lien de causalité
scientifiquement démontré" entre la catastrophe
et les maladies.
------> Tchernobyl : Effets sur la santé en France
------> Le bilan est minimisé non seulement en Biélorussie et Ukraine, mais aussi par les organisations internationales