Dominique Le Duff Comité Rennais de l'Association France Palestine Solidarité Journées du 15 et du 16 avril 2002, Naplouse Nous ne sommes pas entrés directement à Naplouse. Il a fallu marcher pendant plusieurs heures pour accéder à la ville en évitant les check points de l'armée où nous aurions sans aucun doute été refoulés. En arrivant, nous sommes d'abord allés à l'hôpital. Les personnels médicaux ont pris du temps pour discuter avec nous et nous présenter la situation depuis l'invasion israélienne. En particulier, ils ont fait des statistiques sur les entrées à l'hôpital des patients, et entre une semaine presque normale, il y a trois semaines et la semaine dernière, les chiffres ont été divisés par dix, tu vois, par exemple pour les femmes enceintes, il devait y en avoir 113 qui avaient été admises à l'hôpital, mais qui nécessitaient un accompagnement thérapeutique spécial et seules 13 ont pu atteindre l'hôpital la semaine dernière. Ce qu'il nous a dit, c'est qu'il ne savait pas du tout, pour celles qui nécessitaient des césariennes par exemple, comment ça s'est passé ni pour le gamin, ni pour la mère. Il ne savent pas où elles sont, il ne peuvent pas les identifier ni les joindre. Il dit qu'il y en a probablement qui sont... Interruption de la communication... après quelques minutes nous reprenons la conversation. Le médecin nous a expliqué que par ailleurs, même pour l'approvisionnement en bouffe ils avaient eu des problèmes. C'était temporairement résolu quand on est arrivés, mais avant pour le personnel comme pour les malades, ils avaient craint de manquer de nourriture et d'eau. Ils nous ont expliqué que la situation sanitaire dans les parties isolées de la ville n'étaient pas bonnes et qu'il craignaient des épidémies. On leur a demandé ce que nous pouvions faire pour aider, on avait pensé essayer de rentrer dans la vieille ville avec une ambulance, mais en fait cela ne leur semblait pas intéressant parce qu'ils n'y avait pas pour l'instant de blessés signalés, que des médicaments ça ne servait à rien parce qu'ils ne savaient pas localiser les blessés, quant aux corps qu'il fallait extraire, il aurait fallu des machines, des grues, je ne sais pas quoi, des... pour soulever les pierres. On ne pouvait pas le faire à la main donc ça leur paraissait inutile. Alors on a décidé que du coup on allait visiter le centre-ville et la vieille ville mais sans ambulance. Pendant qu'on était à la réunion, il y a une ambulance qui est arrivée avec le corps de la responsable locale du Croissant Rouge Palestinien qui venait d'être retiré des décombres. Elle avait été tuée dans le centre ville ou dans la vieille ville je ne sais plus. Cela faisait dix jours qu'elle était sous les décombres et pour des raisons d'hygiène, ils ont été obligés de l'enterrer immédiatement dans le jardin de l'hôpital. Bon, moi j'ai vu ce qu'ils allaient faire, j'ai pas voulu assister à tout ça, déjà parce que vis-à-vis de la famille ça me dérangeait et puis en plus, pff !... je ne sais pas si j'aurais tenu... Ils ont fait une cérémonie religieuse expresse avec la famille... et puis... Bon , ils ne les laissent pas enterrer leurs morts... C'est interdit d'enterrer les morts... Du coup, ils ont une quarantaine de morts dans des sacs, tu sais, dans un camion frigorifique. J'ai pas voulu voir ça non plus quoi... Par contre, il y en a parmi nous qui ont vu et qui ont fait des photos de ça... Ils sont revenus super choqués. Il paraît que ça puait... (Déjà nous on sentait l'odeur de mort depuis la salle de réunion... plus tard aussi quand on s'est baladés dans la ville... ) Ils ont ouvert deux sacs dans lesquels il y avait des gamins de six ou sept ans... des corps complètement décomposés. Ensuite on est parti visiter la vieille vile et le centre ville. La plupart des bâtiments sont debout encore, mais il y a des traces de tirs partout, des impacts de tirs au fusil automatique, à la mitrailleuse, à l'obus... Quand tu arrives sur la vieille ville, ça fait comme un haricot, le centre-ville, c'est comme un haricot autour de la vieille ville, et là, tu vois des bâtiments avec des trous d'obus de deux mètres sur deux, bien amochés quoi... C'est un spectacle de désolation. C'est toujours sous couvre-feu. IL n'y a personne dans les rues... Quand il n'y a pas de tanks ou de snipers à l'horizon les gens sortent un peu aux fenêtres pour nous dire bonjour... Donc on arrive à la vieille ville : ce sont de toutes petites ruelles. Ils nous emmènent, il y a des tas d'ordures partout qu'ils essaient de faire brûler pour que ça soit un minimum désinfecté. Ils ont aménagé une mosquée en hôpital d'urgence : on a visité ça, on a vu les volontaires. Ils nous ont expliqué un peu les blessés qu'ils avaient là, etc. parce que cet endroit était complètement coupé des centres de soin de la ville. Dans la vieille ville c'est pareil, il y a des traces de combat partout. On a vu des gamins, c'était très marrant parce qu'ils voyaient qu'on était étrangers, ils venaient vers nous et en gros le seul truc qu'ils savent dire c'est " what's your name ?", et à la fin, il y a tellement de gamins qui te demandent " what's your name ?", qu'à la fin tu ne sais même plus ton nom... On a vu là, une maison qui a été détruite par des bulldozers et il y avait dix personnes à l'intérieur : ils savaient qu'il y avait dix personnes à l'intérieur ! Il y avait dix personnes qui criaient à l'intérieur : " arrêtez, arrêtez ! " Ils l'ont détruite au bulldozer. Il y a huit morts. Seuls les deux grands parents on pu s'en sortir... le grand-père et la grand-mère... Il y avait une femme enceinte de sept mois, trois enfants, le mari et puis je ne sais plus... des frères ou soeurs... Après avoir détruit la maison, les soldats dansaient sur le bulldozer, de joie quoi... On a vu ça. Ils nous ont expliqué comment c'était. Il y a des gens qui sont entrés à l'intérieur des maisons, un caméraman et un photographe mais je ne sais pas si on a encore les films... On ne voulait pas tous entrer en même temps... On a vu aussi, derrière un tas de sacs de sable, des traces de sang, une flaque de sang séché : c'était un infirmier qui allait chercher les blessés, et il y a un sniper qui l'a aligné. Bon, voilà... des ordures partout et des traces de combat partout. Mais finalement c'était relativement " ouvert " quand on est passés. Mais la situation évolue assez vite... Quand on est entrés on n'a pas eu de problèmes. Après on est allés à l'UPMRC dont le responsable est le docteur Ghassan. On a été très bien accueillis... Ils nous ont fait à manger... C'était génial quoi... on a eu à boire, c'était très très sympa... Bon je te raconterai plus tard l'ambiance, c'était... J'ai rencontré une psy qui bosse pour Médecins du Monde avec les blessés à l'hôpital... Il y a des blessés très lourds , qui sont brûlés, qui ne peuvent pas bouger, pas du tout. Ils vivent mais ils peuvent parler je crois que c'est tout ce qu'ils peuvent faire... Et cette psy elle travaille avec une traductrice français/arabe. J'ai discuté une partie de la nuit avec elle et c'était super intéressant. Je raconterai plus tard... Ensuite dans la nuit, j'ai fait un tour en ambulance pour aller chercher des prisonniers que les Israéliens venaient de relâcher. L'un d'entre eux c'était un adjoint du maire de Naplouse. Ce qu'ils font, c'est qu'ils les relâchent à l'autre bout de la ville comme ça ils ont toutes les chances de se faire tirer la nuit en tentant de rentrer chez eux... C'est pour ça qu'on a pris l'ambulance et qu'on est parti à fond, à fond, à fond pour éviter les tirs. L'ambulance est criblée de trous de balles. Tous les jours le mec se fait tirer dessus. Ils s'est aussi fait arrêter plusieurs fois ces quinze derniers jours... Voilà. Ben c'était assez instructif ce petit truc là... Ensuite on a passé la nuit, vers deux heures je suis allé me coucher et à trois heures moins le quart, j'étais réveillé par les bombardements au tank sur le camp d'Askar. Il paraît que les mouvements d'hélicos avaient commencé dès deux heures, et puis après ils ont bombardé toute la nuit et une partie de la matinée : chars, apaches et mitrailleuse lourde toute la matinée... On entendait... c'était à trois kilomètres et ça faisait vraiment beaucoup de bruit ! On entendait les explosions... On voyait les éclairs des explosions dans le ciel, et puis on entendait, quinze ou seize secondes après, les explosions. Voilà pour la nuit... Le matin, on a décidé qu'on essaierait d'entrer dans le camp de Balata où ils n'avaient vu personne depuis treize jours. Où ils savaient qu'il n'y avait pas de nourriture... S'il y avait des personnes malades ils ne pouvaient pas les soigner... etc. Donc on s'est dirigés vers le camp , on a été arrêtés par l'armée, mais il y avait la presse de l'autre côté de l'armée... Et donc ils ont contrôlé nos passeports. Alors problème, on était avec des Palestiniens de l'UPMRC, dont deux filles, et l'une d'entre elles n'avait pas ses papiers... Déjà, le premier problème au contrôle c'est que... il y avait déjà des internationaux qui étaient passés, mais nous on ne voulait pas passer sans elles... sinon ça allait être le bordel... En fait ils ont forcé le passage... Ils sont passés en groupe avec leur gilets marqués du logo UPMRC, tu vois... devant, derrière... Donc ils sont passés en groupe et je crois que grâce à la presse on a tous pu passer... On a dit à la presse qu'ils avaient bombardé le camp d'Askar toute la nuit, et on leur a proposé de venir avec nous... Mais ils ne sont pas venus. Finalement on est rentré dans le camp très facilement... Il y a peut-être eu des tirs, je sais pas quoi, mais bon en l'air... Je ne sais pas bien d'où ça venait. Donc on est rentré dans le camp et alors là c'est... Pfff... Tu imagines, les ordures de quinze jours dans les rues, ça pue... Ils n'ont pas de bouffe, ils n'ont pas d'eau, enfin si ils ont de l'eau... mais ce que disait le médecin... (on est allé directement au centre de l'UNRWA) Les gens ils étaient super contents de voir quelqu'un... de voir que quelqu'un avait pu passer... et donc on a déposé des médicaments et des boissons énergétiques là-bas. On a eu un petit briefing par le médecin du centre qui disait qu'il y avait de gros risques d'épidémies : déjà ça pue les miasmes partout dans le camp, tu as des tas d'ordures... Il y a des endroits c'est vraiment insupportable, l'odeur... Alors que tu es déjà bien habitué à marcher dans les ordures partout, tu as des endroits, c'est insupportable... On a fait demi-tour. Il y a des gens qui étaient très très choqués dans le groupe. Il y a une fille qui a fondu en larmes... et alors c'était très marrant parce que tu vois, les Palestiniens qui n'ont rien à bouffer, les gamins se font tirer dessus quand ils essaient d'aller chercher à bouffer ou du gaz pour faire cuire les trucs, ils sont venus tout de suite vers elle en lui disant " est-ce que ça va ? "... C'était très émouvant... Mais moralement c'était dur quoi... Tu leur disais " soyez courageux, soyez courageux " mais eux, ils te souhaitaient bonne chance quoi... Bon on a fait un tour dans le camp, et là ça a un peu merdé parce que le médecin palestinien de l'UPMRC qui était avec nous, il a voulu qu'on garde quelques boîtes de boisson énergétique à la vanille pour distribuer à des gens dont il disait qu'il savait qu'ils en avaient besoin, etc. Donc on s'est retrouvés dans la rue avec ces boîtes de vanille qu'on distribuait de temps en temps dans des maisons... Tu avais tous les gamins qui nous sautaient dessus, c'était un peu le bordel, ça faisait un peu le bon blanc qui apporte le secours, enfin j'sais pas comment dire... Des personnes dans le camp il y en a des milliers, et nous, on avait seulement ce qu'on avait pu emporter avec nous... pas grand chose quoi... quelques centaines de boîtes... Complètement dérisoire... A part ça, c'est complètement fou. Ici aussi il y a des impacts de balles partout. C'est la terreur. Le pire c'est la terreur... Le pire dans toute la ville de Naplouse... Ce qu'ils ne supportent pas c'est la terreur. C'est vraiment la stratégie des Israéliens... Je te détaillerai ça plus tard... J'ai discuté avec un mec qui me racontait comment ça se passait, c'était terrible. Les gamins, c'était très étrange parce qu'ils ont comme une carapace... Ils ont l'air joyeux si tu veux... Déjà ils nous voyaient, ils voulaient nous raconter leurs histoires, alors ils rigolaient, ils rigolaient, ils disaient " c'est Sharon qui a fait ça... " tu vois, en arabe... On a essayé de communiquer mais c'est pas facile parce qu'ils ne connaissent que trois mots d'anglais... Il y a un mec qui parle arabe dans le groupe, mais il était occupé avec des gens... Ils nous disaient " ça c'est les abachi, les tanks tout ça... " Après j'ai discuté avec la psychologue qui me disait que ouais, par dessous, les gamins ils sont traumatisés... Donc dans le camp, il y a plein de gens qui sont sortis des maisons pour nous voir... On avait des drapeaux blancs et tout, bien sûr, et puis on a essayé de marcher vers le camp d'Askar qui se trouve à trois kilomètres... Là, c'était super bizarre, parce que tu avais comme un mur infranchissable. Il y a une rue dans le camp qui prolonge la route qui mène d'un camp à l'autre, et dans cette rue là, quand on est partis, il y avait des centaines de personnes qui nous regardaient partir, et eux, tu avais, comme une frontière, une barrière invisible qui les retenait et ils ne sortaient pas de la rue... parce que si ils sortaient de la rue ils risquaient de se faire tirer dessus. Il y a quelques gamins qui ont voulu nous accompagner, et moi ça m'a fait vraiment stresser, parce que les gamins ils prennent des risques... des ados de seize, dix-sept ans... Il a fallu que j'intervienne pour aller voir les mecs de l'UPMRC pour leur dire... tous les gamins les gens du camp, vous ne les laissez pas venir avec nous ! Et on a eu vachement raison parce que cent mètres plus loin, cent mètres après avoir réussi à les faire retourner au camp, deux tanks nous on barré la route, et ils n'ont pas discuté les mecs... D'abord ils ont commencé à tirer... En plus il y avait un sniper sur le coté qui tirait au dessus de nous, et leur jeu c'était de tirer à chaque fois plus près de nous. Ils ne tiraient pas au fusil, il tiraient au gros calibre... Il y a une fille, une balle a frappé le sol à un mètre d'elle... Tu imagines, un ricochet et il pouvait y avoir un mort ou plusieurs... Bref, il y a eu comme ça quatre cinq ou six tirs de sommation... On leur disait qu'on voulait parler, qu'on était pacifistes... On leur gueulait ça parce qu'ils étaient à cent mètres... Ils se sont approchés un peu, ils nous ont dit " cassez-vous, cassez-vous ", et puis ils ont ajouté que c'était la dernière sommation, " maintenant on tire dans le tas " ! Nous ce qu'on a pensé c'est qu'au même moment ils étaient en train d'entrer dans les maisons et de tuer les gens et qu'ils n'allaient pas nous laisser voir ça... Donc on s'est dit que ce n'était pas la peine de prendre des risques... On fait demi-tour. On avait encore quelques boîtes de boissons énergétiques, on voulait repasser au centre des Nations Unies, mais quand on est revenus, il y avait encore plus de monde dans la rue, donc on s'est dit " on ne va jamais passer ", tu vois c'était bondé... Il y a des gamins qui sont revenus nous voir, quelques gamins téméraires. Le médecin palestinien qui était avec nous a appelé le Cheikh de la mosquée et il lui a remis ce qu'il nous restait comme boissons. Il lui a dit de les remettre au centre de l'UNRWA. Après on est remonté avec un petit groupe. Le médecin voulait revoir sa famille qui habite entre les deux camps. On a fait un petit détour sur la droite, on a laissé le camp de Balata à gauche, on voyait Askar qui était loin à trois kilomètres sur la droite et puis on a cherché à passer sans se faire voir des soldats. Assez vite on a trouvé un petit chemin qui montait vers la maison. Il y avait sa femme et ses deux enfants et puis aussi la soeur de sa femme. C'était assez émouvant les retrouvailles... les gamins étaient super contents de retrouver leur père. Après, l'autre partie du groupe remontait vers Naplouse. Nous aussi mais par un autre chemin, sur le côté. Quand on est arrivés sur la grande route, eux ils étaient encore un peu en dessous de nous et on leur a dit " on est là, on est là, remontez ! ", et là on s'est fait canarder. Le Palestinien, jamais il ne s'est baissé ! Quand il y a eu un tir, il n'a jamais sursauté ! Et là il nous a pris, il nous a dit " on se planque derrière la poubelle ! "... Ils nous tiraient vraiment dessus... Et la poubelle, il y a des traces de balles qui traversent... Le balles elles traversent les parpaings... Donc ça ne servait à rien, sauf qu'ils ne voyaient pas où ils tiraient... On avait le drapeau blanc et tout... A un moment il y a un type du groupe qui a voulu se relever... ça s'est remis à tirer... On l'a pris, on l'a agrippé, on lui a dit de se replanquer derrière la poubelle... Bon, finalement ça s'est calmé, on est ressorti, on est remonté un peu, et là on a été arrêté par l'armée. C'étaient deux jeeps blindées, des sortes de mini chars, je sais pas... mais blindés... avec un certain nombre de soldats. En face dans l'immeuble, il y avait un filet de camouflage et derrière il y avait des snipers, et puis il y en avait d'autres plus loin aussi... Ils tiraient un peu pour nous faire peur, j'espère qu'ils ne visaient pas les gamins en bas... parce que nous on ne voyait plus à ce moment là. Ils nous ont dit d'attendre, qu'ils essayaient " d'organiser notre sécurité ". On leur a dit " nous on s'en fout, on n'a pas de problèmes de sécurité, on veut remonter, vous pouvez nous laisser là c'est bon... " Ils ont dit " non, il faut qu'on attende que la voie soit libre ", et alors on a vu, au bout d'un certain temps, des espèces de commandos qui jouaient à la guerre, enfin clairement c'était un jeu : il n'y avait personne, pas de tirs palestiniens, il n'y avait personne ! Ils rentraient dans les maisons, de temps en temps on entendait un bébé qui pleurait, et puis voilà, ils ressortaient... C'était pour nous faire patienter, pour nous faire croire qu'il y avait quelque chose... Il ne s'est absolument rien passé. Pas d'arrestation, rien du tout ! C'est du cinoche pour dire " Israël est en danger " quoi... C'était du cinoche pour dire vous ne pouvez pas passer... Alors qu'il y avait des journalistes, ils ont montré leur carte de presse, et ils sont passés tout de suite et ils sont remontés sans problème... Donc ils disaient que notre sécurité n'était pas assurée alors que les journalistes sont passés tous seuls... Bref... Ils nous ont bloqués là et au bout d'un certain temps, on leur a dit " ça va bien, vous êtes gentils, mais on a des rendez-vous, alors on se casse, on remonte... ". On a commencé à avancer un peu, on est arrivé au niveau des jeeps blindées qui étaient sur les côtés, et puis le mec s'est mis devant et il a commencé à tirer en l'air. Il nous a dit d'arrêter. On a encore fait trois pas, dernière sommation... on s'est arrêté et on s'est mis sur le côté. Il nous a demandé de nous asseoir sur le côté. Et alors là on a attendu, attendu, attendu que prétendument ils organisent notre remontée, et puis la police est arrivée. Et alors là, il y avait deux option et il fallait choisir tout de suite. Ils nous ont dit cinq minutes, en fait ça n'a pas duré deux minutes je pense... cinq minutes pour se concerter mais ça n'a pas duré deux minutes... Ils nous ont dit " vous nous laissez les Palestiniens et vous pouvez rentrer là-haut ". Donc on a dit qu'il n'en était pas question, on s'est mis autour des Palestiniens et des Palestiniennes. Il y avait deux Palestiniennes et quatre Palestiniens. On a pris la décision, parce que ça commençait à devenir chaud, de redescendre vers le camp de réfugiés (mais à mon avis on aurait été arrêté quand même parce qu'il y avait des blindés qui étaient arrivés derrière nous... C'était pareil... ), ils nous ont sauté dessus. Ils ont essayé d'attraper les Palestiniens. Nous on les retenait, on les plaquait contre les rideaux de fer des échoppes de commerces. Ils ont commencé à nous taper dessus, à nous insulter... C'était assez violent... C'étaient les flics ? Oui, c'étaient les flics et les militaires, mais c'est quand les flics sont arrivés que ça s'est passé comme ça. Les militaires ont cogné aussi ? Je ne sais pas, tu ne peux pas les différencier... Oui je crois que les militaires ont cogné aussi. Ils avaient le même uniforme les mecs. J'ai pas regardé en détail, mais tu vois il n'y avait pas des bleus et des verts... Ils étaient tous en vert kaki. Ça commençait à chauffer. On a fait ce qu'on a pu pour agripper les Palestiniens, mais ils ont réussi à prendre tous les mecs. On était tassés, ils nous foutaient des coups, ils nous foutaient par terre, tassés contre les machins, ils ont réussi à attraper les trois ambulanciers et le médecin, et là, je me souviens pas de tout parce que j'ai pris un coup sur la tête après, mais j'ai vu qu'ils étaient arrêtés, ils leur ont passé les menottes en plastique qu'ils serrent super fort et ils ont commencé à les tabasser par terre sur le trottoir, la tête sur le bord du trottoir, le genou sur la nuque et ils tapaient avec le coude, avec le bras. Le médecin ils lui ont cassé trois dents de devant. Ils se sont tous faits passer à tabac. Il y en avait trois qui avaient la marque du trottoir sur la tête. J'ai vu un petit peu le passage à tabac, mais pas trop, parce que, enfin j'ai peut-être vu mais je me souviens pas... Pendant ce temps là on avait réussi à garder les filles plaquées contre les tôles ondulées et eux ils essayaient toujours de les attraper en nous tirant, en nous jetant par terre, et à un moment ils ont réussi à saisir une fille. Elle était tenue par les deux bras par des flics, et ils commençaient à l'emporter, et moi, j'étais à moitié par terre à ce moment là, et je lui ai sauté dessus et je lui ai attrapé les jambes aussi haut que j'ai pu, et puis je n'ai pas lâché... Du coup elle est tombée parce qu'ils tiraient vers l'avant et ils me disaient " lâche-la, lâche-la ". Il ont commencé à taper un peu partout, mais je n'ai pas lâché. Après je me souviens plus de ce qui s'est passé. Je me suis retrouvé au sol de telle façon que je ne sais pas comment. Ils m'ont tiré à plusieurs ou je ne sais pas quoi, et je me souviens juste que le mec a pris son élan et il m'a envoyé un coup de rangers sur le front. J'avais déjà la tête par terre, et il m'a tapé sur la gueule. Heureusement il y a eu une bousculade et il a dérapé un peu et il y a un mec qui s'est pris dans les couilles le reste du coup de pied. Je sais pas, s'il n'avait pas dérapé, je ne sais pas dans quel état serait mon crâne... Bon ça c'est pour nos petites blessure à nous... Tu as fais voir ça à un médecin ? Non pas encore, mais on a pris une photo... Il faut que tu fasses une visite médicale quand même ! Oui, mais il y a des médecins à Jérusalem Est ? Bien sûr ! Tu vas à l'hôpital Maqassed et tu demandes le docteur Abu L... Tu lui dis que c'est de ma part... Il se débrouillera pour que tu sois examiné rapidement. Bon je reprends... Après ça je suis resté appuyé au sol contre le rideau de fer, et je ne me souviens plus de rien... Pendant ce temps là, il y a des gens qui ont réussi a venir se coucher sur la Palestinienne pour les empêcher de l'emporter. Ils ont fait un tas sur elle. Et la seconde était protégée par quatre autres femmes. Et donc comme c'étaient des femmes, peut-être ça les a retenus... ils n'ont pas voulu être aussi violents qu'avec nous peut-être... Ils essayaient de tirer sur elle, mais elles ne lâchaient pas, les filles... On a donc réussi à garder avec nous les deux Palestiniennes. Ils nous ont menacés. Ils nous ont dit " soit vous les relâchez maintenant soit vous allez avoir mal "... Moi je n'étais plus en état de faire quoi que ce soit, mais les mecs qui étaient dessus, ils ne bougeaient pas. Il y avait un Anglais qui était en direct sur je ne sais quelle radio, au téléphone, sous le tas. Moi, j'avais téléphoné à Léa Tsemel, mais c'était avant que ça chauffe. J'ai aussi téléphoné à E.F. quand ça commençait à monter... mais je n'ai eu le temps de rien lui dire, j'ai juste pu lui dire " il y a une urgence, on se fait taper dessus ", mais c'est tout... donc il n'a rien pu faire... je ne sais même pas s'il a entendu ça... J'ai essayé de parler dans le téléphone, mais c'était pas super facile. Et puis après j'ai vu que le téléphone était éteint... Ensuite j'ai essayé d'appeler à nouveau E.F. parce que c'était le contact le plus facile en Israël, et c'est là que le mec m'a pris mon portable, de force... Tu avais les numéros dedans ? Oui ! Tous les numéros ? Non je n'avais pas tous les numéros, non ! Pas de numéros de Palestiniens ? Non. Bon il me l'a pris de force et visiblement il l'a balancé par terre ou il a piqué la carte parce que quelqu'un a retrouvé le couvercle... Mais on n'a rien retrouvé d'autre... Après, les militaires recevaient pas mal de coups de fil, de messages radio... De notre côté, tout le monde essayait de prendre contact avec la presse... Il y avait des Anglais, des internationaux... des Américains, des Danois aussi. Tout le monde essayait d'appeler le plus possible... La situation s'est un peu stabilisée après la castagne... Peut-être que là ça a bougé quelque chose parce qu'on a vu un changement dans leur attitude. Et puis les flics sont partis, je ne me souviens plus quand, mais j'ai vu qu'ils n'étaient plus là... Et alors ça a un peu changé. Ils nous proposaient qu'on parte, nous, mais qu'on leur laisse les Palestiniens. On leur a dit que ça ne marcherait pas comme ça. Après un certain temps de négociation (dans le groupe il y en avaient qui pensaient qu'on ne pouvait rien pour les Palestiniens... mais on était un certain nombre à être intransigeants sur ce point-là !) Ils ont vu ça aussi, qu'on ne renoncerait pas, qu'il y en avait qui étaient très déterminés. Alors ils nous ont dit d'accord, vous partez devant et on les laisse partir cinquante mètres derrière. Même chose, on n'avait pas envie qu'ils se fassent tirer comme des lapins, donc pas question. Et puis il y avait des gens qui hésitaient, qui parlementaient et d'autres qui disaient niet ! On part avec eux un point c'est tout ! ça parlementait ça parlementait et finalement ils ont fini par obtenir que les Palestiniens partent devant. On a pris le risque. Les Palestiniennes restaient encadrées par des internationales de notre groupe : elles ne les avaient pas lâchées. Donc il y avait des internationales avec les Palestiniens et les filles palestiniennes, et elles les tenaient bien. On a donc commencé à remonter comme ça. Il y avait au moins cinq tanks, et une dizaine de véhicules... L'accord c'était que... Il nous a donné sa parole d'honneur le soldat (c'étaient des réservistes à ce moment-là, avant peut-être pas, mais à ce moment-là c'étaient des réservistes... ) que les Palestiniens pourraient entrer dans l'UPMRC. Ils étaient toujours ligotés les mains derrière le dos, mais on avançait vers le centre. Et à un moment, à cent mètres du centre, le soldat a dit " stop ! c'est quoi ce bordel ? nous on ne va pas là ! " On lui a dit " attention, l'accord c'était que tout le groupe rentrerait au centre ". Il y avait une ambulance du centre avec le docteur Ghassan, le chef de la clinique de l'UPMRC qui était à cinquante mètres de nous... Ils l'ont arrêtée, ils ont tiré en l'air pour l'arrêter : une ambulance qui s'est signalée avec les gyrophares et tout... Il restait cinquante mères à faire, mais nous on ne voulait pas laisser les Palestiniens là avec l'armée, ni les laisser partir tous seuls pour qu'un sniper les aligne ! Alors ils nous ont dit " vous faites deux groupes ". Comme on avait naturellement deux groupes, les Français d'un côté et les autres internationaux, et qu'on avait dit, pour les Français qu'on rentrait à Jérusalem puisque c'était notre programme au départ, ils nous ont dit d'aller prendre nos sacs et de nous casser... Pendant ce temps-là, le groupe des autres internationaux reste avec les Palestiniens, et devra ensuite aller chercher ses affaires et partir aussi... On est allés chercher nos sacs. Moi j'étais vraiment pas fier, j'étais super gêné, j'ai dit à l'ambulancier, quand je suis repassé devant lui à l'UPMRC, que j'aurais voulu rester avec eux le soir. Parce que l'épreuve a été difficile. On avait besoin d'en parler ensemble... On est redescendus et là il y avait des journalistes, mais c'étaient des gros cons, des journalistes de guerre qui se font prendre en photo devant un tank au check point alors qu'ils se planque le reste du temps... bref... Ils n'ont même pas voulu passer les bandes et les films qu'on avait faits... Des cons ! Ils n'ont rien vu... c'est terrible ! J'ai demandé qu'on me rende mon téléphone... ça les a occupé un peu, ils m'ont dit que c'était à la police qu'il fallait le réclamer pas à eux... Et alors je n'ai pas compris ce qui s'est passé, mais en profitant de la confusion, les autres internationaux et les Palestiniens sont partis vers le centre de l'UPMRC... C'était très bien. On a demandé aux photographes de les accompagner un petit peu... Ils n'ont pas bougé leur cul de deux mètres. Nous on est redescendus, et on a commencé à marcher vers le check point de Naplouse. Il y avait des snipers qui s'amusaient à tirer sur les côtés, au dessus... On a été suivis par un tank pendant tout un moment. Les gens nous saluaient de leurs fenêtres quand on passait. Certains nous ont donné de l'eau parce qu'on n'avait plus d'eau du tout. D'autres voulaient nous inviter à prendre le thé, mais on n'avait vraiment pas le temps. Quand on est arrivés au check point ils nous on bloqués une heure, il fallait attendre le chef, qui ne venait pas. Ils voulaient nous emmener au camp militaire pour discuter l'histoire... Visiblement ceux qui étaient là n'avaient pas été prévenus de ce qui s'était passé, de qui on était. On leur a dit quel officier nous avait dit de retourner au check point. Au bout de deux heures et demie, l'officier est arrivé, il a voulu en parler à son supérieur, etc. Selon eux, le problème c'était qu'on avait pas le droit d'entrer à Naplouse sans passer par le check point et sans autorisation, et que par conséquent, puisqu'on ne pouvait pas y être entrés, on ne pouvait pas en sortir. On a fait les naïfs en disant que la presse avait annoncé que la ville était ouverte... Ils ont rétorqué que c'était les indications de l'armée qu'il fallait suivre, pas celles de la presse, qu'ils ne voulaient pas d'incidents avec les internationaux. Finalement, à 20h40, sans qu'on comprenne pourquoi, ils nous ont dit " c'est bon, vous pouvez y aller "... Les taxis nous attendaient de l'autre côté... ça fait un bien fou de se retrouver assis dans un taxi où il fait chaud... On était vraiment soulagés ! Le taxi a speedé parce que c'était quand même dangereux, et après ça s'est un peu calmé quand on est arrivés dans des zones moins tendues... Voilà, je crois que j'ai fini là... Aujourd'hui on va un peu faire la pose parce que certains ont été vraiment très éprouvés et qu'il faut récupérer. On va peut-être essayer d'aller voir dans des villages encerclés par des colonies cet après-midi si c'est possible... _____________________________