Paris, place de la République. Samedi 8 février – Un peu avant 14 heures, quelques personnes s'agitent autour d'une camionnette, déchargent des pancartes et déroulent une banderole « US go home ». Parmi elles, Mohamed Ennacer Latrèche, le président du PMF, le parti Musulmans de France qui, après avoir rassemblé la semaine dernière, à Strasbourg, mille personnes contre la guerre en Irak, est venu mener sa croisade dans la capitale. À ses côtés, pour mener le maigre cortège qui bientôt va s'ébranler - 200 personnes environ - un jeune Turc, tout de vert vêtu, dont l'ambition manifeste est de ressembler à Oussama Ben Laden. Dans la foule, entre autres, le fidèle compagnon de Latrèche, le révisionniste Serge Thion, déjà présent lors d'un dernier rassemblement parisien du PMF dans le XIIIème arrondissement. Les manifestants sont à 80% d'origine arabe. La faiblesse des effectifs ne semble pas émouvoir outre mesure l'islamiste strasbourgeois qui sait que c'est à force de labourer le terrain que son parti gagnera en puissance. C'est pourquoi il s'apprête à défiler dans les quartiers populaires, jusqu'à Barbès Rochechouart (XVIIIe), via le boulevard Magenta. La manifestation du PMF, qui maintenant s'ébranle dans les rues de Paris drapeaux palestiniens au vent, se veut apparemment pacifiste. Les militants qui crient « vive le jihad » sont, pour l'heure, instamment priés de patienter. « Pas ici, ce sera pour plus tard », leur est-il recommandé. Pour l'heure, ils doivent se contenter des grands classiques : « Sionistes, fascistes, c'est vous les terroristes ! » ou « Enfants d'Irak, enfants de Palestine : c'est l'humanité qu'on assassine ! ». Le tout emporté par la présence d'un drapeau du Hezbollah, toujours marqué d'une kalachnikov. En tête de cortège, la photo de George W. Bush au-dessus de laquelle on peut lire « Wanted ». Les dollars sont assimilés à des « armes de destruction massive » ; une grande banderole proclame « Nous ne sommes pas des Américains » ; des manifestants font rouler tout le long de la manifestation un tonneau qui représente un baril de pétrole. Ce « baril de pétrole » s'avèrera, par ailleurs, fort utile à M. Latrèche. Il lui servira de podium pour prononcer ses harangues : « Celui qui contrôlera ce baril contrôlera le monde ». À mi-parcours, il y grimpe encore dessus pour « redonner de l'énergie » à ses troupes et donner en pâture à la foule les vérités qu'elle jubile à entendre M. Latrèche : « Qui a été élu dans l'entité sioniste ? » Un manifestant : « c'est la charogne ! ». M. Latrèche reprend : « Hitler a été élu, on a vu ce qu'Hitler a fait. Sharon a été élu, nous avons déjà vu ce qu'il a fait, alors attendons nous encore à pire. Mais notre problème aujourd'hui, c'est que Sharon s'est allié avec son lobby sioniste, s'est allié à l'Amérique, cette horrible puissance, cette puissance qui n'a d'existence que sur ce qu'elle a commis comme génocides » Et le fondateur du Parti des Musulmans de France entreprend de flatter son public : « Nous les rebelles, nous les Gaulois, devant cette nouvelle Rome, nous qui osons lever la tête (…), nous sommes contre cette Amérique, contre ce sionisme que nous devons à tout prix détruire ! ». M. Latrèche conclut son bref discours par le slogan le plus prisé de la manifestation, qui sera repris en choeur : « Bush, Sharon, Hitler : où est la différence ? ». Et les militants et sympathisants du PMF reprennent leur marche avec ardeur. Il y a ceux qui proposent le journal de l'organisation, celles qui vendent des keffiehs (les foulards palestiniens). On peut aussi acheter le livre antisémite de Randa Ghazy « Rêver la Palestine ». Des tracts circulent, comme celui distribué par un ancien militant de la cause vietnamienne, intitulé « Les nouveaux hitlériens » : le tract prône « la libération totale de la Palestine arabe ». Circule également la fiche d'inscription au prochain voyage organisé par le PMF en Irak : c'est une mission de solidarité un peu spéciale qui propose aux participants de se constituer sur place en boucliers humains, dans l'hypothèse d'une attaque américaine. Métro Barbès - Face au magasin Tati, M. Latrèche immobilise ses troupes sous les arcades de la station du métro aérien. Les badauds sont au rendez-vous. Le chef incontesté du PMF peut entamer son discours de clôture. L'occasion d'encourager Jacques Chirac dans sa « résistance » en faveur de l'Irak et de scander son nom. Aux côtés de Latrèche, une brochette de « personnalités ». Son premier invité, monté sur le « baril de pétrole », est Serge Thion, ex-chercheur au CNRS, exclu pour négationnisme. Thion, accueilli par les youyous du public, salue « ce courage inhumain, ce courage incroyable de se faire sauter pour la libération de toute la Palestine ». Il dit cela comme s'il s'agissait d'une évidence, pas besoin de hausser le ton, et d'un air si gentil il appelle aussi à « la dissolution de l'État sioniste », à « son remplacement par un État palestinien ». Enfin, il bat le rappel contre « la transformation du sang en pétrole pour les magnats de la puissance américaine » M. Latrèche remercie « son ami Serge Thion » puis reprend de plus belle : « Il faut dissoudre Israël ». Par trois fois, il scande ces mots, par trois fois les manifestants exultent : « À mort le sionisme ! ». C'en est désormais fini des slogans « classiques » des antisémites qui prévalaient encore au début du défilé. Il s'agit maintenant de remplir l'avion qui part pour Bagdad dans quelques jours. Il s'agit aussi de vendre « le Manifeste judéo-nazi d'Ariel Sharon » - ce « Protocole des Sages de Sion » moderne, pseudo-interview du Premier ministre israélien, édité par Le PMF, Le Parti de la France plurielle, l'Arab Commission of Human Rights, la Pierre et l'Olivier, Le Collectif de la Communauté Tun en Europe. Les petit livrets à deux euros pièce part comme des petits pains. Autre « star » du combat antisioniste, invitée par le président du PMF, Jean-Paul Cruse : ancien journaliste à « Libération » et à « VSD », Cruse vitupère contre le « parti-pris sioniste des médias français ». Mais c'est Mohamed Ennacer Latrèche qui, pour conclure, exprime son espoir de voir à l'avenir des centaines de milliers de manifestants dans les rues de Paris à l'appel du PMF. Puis, à l'intention de ses militants – car les badauds ont quitté les lieux depuis longtemps, M. Latrèche répète : « Nous n'accepterons jamais Israël : jamais, jamais, jamais… ». Aucun accord n'est possible avec l'entité sioniste, et « viendront des Palestiniens musulmans, chrétiens, juifs (sic) qui (…) ramèneront d' où ils sont venus ces envahisseurs que le monde ne peut accepter, car ils portent en eux-mêmes la haine, la guerre, le sang… ». M. Latrèche poursuit avec des intonations qui rappellent étrangement celles du personnage joué par Chaplin dans Le Dictateur. Il s'en prend nommément à Elisabeth Schemla, directrice de « proche-orient.info », et à Alexandre Adler qui sont « soutenus par tous les sionistes » ; les sionistes « qui sont tous pour un, et un pour tous ! ». Ensuite Latrèche endosse le rôle du prédicateur et se livre à des incantations : « Et Israël est plus qu'un cancer, et Israël ne pourra exister… ». À 10 mètres de là, les RG, d'imposantes patrouilles de CRS et des officiers de police entendent le président du PMF hurler : « Vive l'Intifada, Vive le FPLP ! Vive le Hamas ! Vive le Hezbollah ! Vive le FDLP ! ». Personne, pourtant, ne bouge. Mais que fait la police