Jamais plus un Mexique sans les indigènes

«Grâce à leur mobilisation depuis 7 ans, leur mouvement a permis de créer une nouvelle conscience à propos des droits des indigènes», tels furent les propos du président Vincente Fox au récent Forum Economique Mondial de Cancún.

Un telle reconnaissance de la part du plus haut mandataire de la république mexicaine peut paraître surprenante si l’on connaît l’histoire de la guerre menée l’EZLN et ses bases d’appui civiles durant sept ans.

Pour resituer le contexte, il faut revenir au 1er décembre 2000 quand Fox prit ses fonctions en tant que président de la république, le premier depuis la révolution mexicaine à ne pas être issu des rangs du Parti Révolutionnaire Institutionnel.
Dès les premières heures de son mandat, Fox s’est tout de suite occupé du conflit chiapanèque. Il ordonna ainsi directement le retrait de quelques postes de contrôles militaires et annonça l’envoi de la proposition de loi dite « COCOPA » (voir ci-dessous) au Congrès fédéral.

Face à ces gestes de bonne volonté, l’armée zapatiste rompit le silence qu’elle maintenait depuis 5 mois. Par la voix du Subcomandante Marcos, l’EZLN fixa trois conditions pour un retour au dialogue. Les deux premières sont en rapport direct avec la guerre, il s’agit de la libération des quelques cents prisonniers zapatistes croupissant dans des geôles du Chiapas et d’ailleurs et du retrait et de la fermeture de 7 bases de l’armée dans la zone du conflit (sur 259 !). Par ces deux conditions, l’EZLN veut tester la nouvelle administration : Les Zapatistes sont-ils des prisonniers politiques ou des délinquants ? Et est-ce que Fox contrôle son armée et est disposé à abandonner la voie militaire ? Ce sont donc surtout des demandes symboliques.

La troisième condition, la plus importante, c’est l’adoption par les législateurs fédéraux de la proposition de loi « COCOPA ». Cette dernière fut élaborée en décembre 1996 par la Commission de Concorde et de Pacification (COCOPA) composée de législateurs issus des 4 principaux partis politiques. La dite propositon de loi «COCOPA» n’est donc pas l’oeuvre des zapatistes mais elle reprend les points les plus importants des premiers accords de San Andrès, signés par le gouvernement et l’EZLN en février 1996. fondamentalement, cette proposition reconnaît constitutionnellement une réalité : les peuples indigènes font partie du Mexique mais ont leurs propres formes d’organisation sociale et politique. Elle reconnaît le droit à l’autonomie des peuples indigènes et insiste également sur les droits des femme. Elle indique aussi que les peuples indigènes doivent être consultés dans les politiques les concernant et que doivent être respectées et promues leurs cultures.

Si réforme constitutionnelle il y avait sur base de cette proposition de loi, cela constituerait une rupture par rapport à la «politique indigéniste» paternaliste et assistancialiste que a caractérisé les gouvernements mexicains successifs depuis 60 ans.

Paix publicitaire contre paix digne

Vincente Fox est un homme politique moderne de l’ère de la communication. Capable de vendre des boissons gazeuses comme il l’a fait en tant que président de Coca-Cola Amérique latine, Fox sait aussi vendre la paix à l’opinion publique. Il utilise les mêmes stratégies marketing. Il a le talent pour s’accomoder des différents interlocuteurs qu’il rencontre au point de devenir l’un d’eux. Faisant d’un côté l’éloge de l’armée pour son «travail» au chiapas tout en reconnaissant, de l’autre côté, la bien-fondé des revendications indigènes, Fox veut prouver sa légitimité et celle du nouveau régime, il mène une véritable campagne publicitaire pour faire croire qu’il est l’homme de la paix et que si, finalement, elle n’est pas signée, ce serait dû à l’intransigeance du mouvement zapatiste. Il a même essayé de «récupérer» la marche zapatiste en la soutenant et en la qualifiant de soutien à la politique pacificatrice du gouvernement.

Hors, Mr Fox et consorts n’ont pas encore rempli les trois conditions exigées par l’EZLN pour renouer les contacts. Le président parle beaucoup mais il reste encore une bonne cinquantaine de prisonniers et 3 des 7 bases militaires continuent toujours à fonctionner. Et puis le texte «COCOPA» n’a pas encore été adopté.

Evidemment, Fox est victime de pressions de certains secteurs écclésiastiques, patronaux et militaires qui préféreraient la manière forte pour éradiquer la vermine rebelle. Et il ne faut pas négliger la puissance de ces secteurs, même s’il semble que la paix constituent l’horizon le plus probable. La paix, oui! Mais quelle paix?

La marche de la dignité indigène

Cette initiative politique intelligente a été décidée et annoncée dès le 2 décembre par l’EZLN. Il s’agit d’une idée de l’armée indigène ayant pour objectif de rencontrer la dite société civile et, avec son soutien, aller dialoguer avec le Congrès de l’Union, non pas pour signer la paix mais pour soutenir la proposition de loi «COCOPA» sur la culture et les droits.

Car, même si le président a envoyé cette proposition de loi au Congrès, il ne l’a guère soutenue publiquement depuis. Il a répété, à n’en plus finir, qu’il désirait son adoption, mais il n’a pas condamné les autres propositions de loi. Car celle que soutient l’EZLN n’est pas la seule. Celles de l’ancien président Zedillo et de membres du PAN (parti du président) sont aussi «dans la course».

Rien n’est donc acquis dans ce combat. D’où l’importance de la marche. Depuis le 24 février, des centaines de milliers de personnes, surtout des indiens, accueillent partout la caravane des 24 délégués zapatistes, et des 3000 autres personnes de la société civile nationale et internationale qui l’accompagne et assure sa sécurité face aux éventuels dangers et aux menaces de mort qu’a reçues Marcos depuis sa réapparition publique.

20.000 personnes à San Cristobal, 10.000 à Tuxla Gutierrez, 30.000 à Oaxaca, 20.000 à Juchitan,… et des milliers de symphatisants le long des routes prouvant que les Zapatistes ne sont pas isolés et que le conflit dépasse les frontières du Chiapas. Cette marche provoque une mobilisation sans précédent au Mexique, une mobilisation pour la paix, pour les droits et la culture indigène et contre les effets désastreux de vingt ans de politiques néolibérales sous la coupe du FMI et la Banque mondiale.

Vers la construction d’un puissant mouvement indigène

En privilégiant la voie de la mobilisation, Marcos & les siens tentent de créer un rapport de force face au gouvernement. Fidel Castro, qui ne s’était jamais prononcé sur l’EZLN, a récemment déclaré que Marcos était un maître dans l"utilisation de la symbolique politique. Et le leader maximo, grand connaiseur en communication politique, a entièrement raison. A travers ses envolées satiryques, lyriques, politiques et humoristiques, le «Supe» a refait une entrée fracassante dans la vie publique mexicaine. Lui, le jeune marxiste-léniniste qui, en 1983, est arrivé avec une dizaine de ses compañeros, pour faire la révolution en terres mayas, a su s’imprégner de la culture mésoaméricaine pour développer une pratique et un discours ancré dans le local avec une portée universelle.

Le parcours actuel de la caravane zapatiste est celui emprunté par Emiliano Zapata à l’époque de la révolution mexicaine. Tous les jours, les délégués de l’armée indigène rencontre des secteurs en lutte de la société mexicaine :des profs en lutte, des pêcheurs persécutés, des membres de communauté indigène victimes de la militarisation et de la paramilitarisation, des travailleurs exploités dans les maquilodoras,…

Cette marche n’est pas sorti de l’imagination fertile du Subcommandante. Il y a eu Zapata, il y a eu aussi, en 1992, lors des mobilisations contre le 500ème anniversaire de la «découverte» des Amériques, une autre marche vers la capitale. Tout cela est tactiquement et symboliquement bien joué et cela porte et portera ses fruits, notamment pour la structuration d’un mouvement indigène puissant au Mexique.

Ainsi, durant la marche, les délégués de la Commandancia zapatista ont participé aux trois jours de travail du Congrès National Indigène qui fut fondé officiellement en 1996. Héritier politique des dialogues de San Andrès entre l’EZLN, le gouvernement et la société civile, le CNI est le symbole du développement d’une nouvelle « société civile » indigène qui, d’ailleurs, émerge partout, en Amérique latine. Les organisations indigènes de ce pays sont en plein processus de construction d’une unité politique et plus seulement culturelle. La CNI est aujourd’hui l’organe le plus représentatif des quelques 57 nationalités indigènes du Mexique (entre 12 & 15 millions de personnes). Ouvertement opposés aux politiques néolibérales, les quelques 3.500 délégués ont montré leur accord sur l’essentiel. Ils ont ainsi prévu d’organiser un soulèvement indien pacifique pour soutenir la proposition de loi «COCOPA» qui n’est qu’une réforme, mais une réforme d’autant plus essentielle face au Plan Puebla-Panama du président Fox.

Offensive néolibérale sur l’Amérique centrale.

Le nouveau président mexicain est un digne représentant des valeurs conservatrices et des grosses entreprises. Son gouvernement n’étant d’ailleurs qu’un vaste reflet du véritable pouvoir actuel, celui des entreprises et des banques.

La paix que propose Fox n’est rien d’autre que la continuation de la guerre par d’autres moyens. Ce monsieur considère la paix comme un négoce : je te donne, tu me donnes. L’initiative privée recouverte de quelques bondieuseries et d’une couche de populisme constitue l’essentiel de son discours.

Son plan Puebla-Panama est le corrolaire de la paix au Chiapas, qui regorgent de ressources en eau, en hydrocarbures et en biodiversité. Fox prétend vouloir apporter le développement et des emplois aux indigènes du sud du Mexique pour leur rendre la dignité. Et quelle dignité ! Ses projets visent à soutenir, entre autres, le développement des maquiladoras vers le sud où existe une main-d’oeuvre corvéable à merci et où sont concentrées des ressources naturelles déjà épuisées au nord du pays. Le plan Puebla-Panama a pour objectif de recouvrir le territoire de grandes voies routières, de voies ferrées, de gazéoducs,... qui relieront les pays riches du Nord avec les pays centraméricains avec le Mexique comme le maillon entre les deux parties, tout cela dans le cadre de l’extension du libre-échangisme sur le continent.

Et, évidemment, dans le cadre de cette offensive, la Banque mondiale n’est pas loin. La région mexicaine, de l’Istmo de Tehuantepec au Chiapas (et toute l’Amérique centrale) est dans la ligne de mire d’un projet international de l’institution financière nommé «Couloir Biologique Mesoaméricain», projet qui expliquerait la présence de troupes étasuniennes dans le Petén guatémaltèque, juste à côte de la zone zapatiste.

Sans rentrer plus dans le sujet, on peut comprendre l’importance d’une réforme constitutionnelle sur base de la proposition de loi «COCOPA» car les territoires sur lesquels vivent les indigènes, au Mexique comme dans toute l’Amérique latine, sont ceux qui recèlent le plus de richesses et qui sont donc l’objet de convoitises.

Il est extrêment important, par exemple, de reconnaître les droits des indigènes pour établir légalement la protection des connaissances traditionnelles des plantes de ces peuples, sujets à des actions de biopiraterie de la part des compagnies pharmaceutiques qui profitent des lacunes légales pour voler et breveter les connaissances indiennes. La reconnaissance des droits indigènes sur leurs terres est aussi essentielle pour empêcher qu’ils soient dépossédés de leurs terres par des maquiladoras qui, par exemple, s’approprient l’eau dans certaines régions, enfonçant encore davantage les paysans, indiens ou non, dans la misère.

C’est pourquoi il est impératif de soutenir la marche historique de l’armé indigène chiapanèque. Leur combat est celui de tous les peuples indigènes d’Amérique latine et d’ailleurs. Zapata Vive ! La Lucha Sigue !

Fred – Indymedia Belgique

Sources : Lecture quotidienne de La Jornada

Site officiel de la marche : http://www.ezlnaldf.org/

 

Article écrit pour le bimensuel La Gauche/ Rood