San
Cristobal de Las Casas, Etat du Chiapas, dans le Sud-Est du Mexique,
nous sommes le 1er janvier 1994, il est encore tôt. Une animation
anormale perturbe l'habituelle et relative tranquillité du
Zócalo de l'ancienne ville coloniale.
Un groupe important d'hommes et de femmes mal armés, mais
armés tout de même, sont en train de forcer l'entrée
des bâtiments de la municipalité.
Les Mexicains n'ont même pas eu le temps de savourer leur
nouveau droit de libre-échanger avec les puissants voisins
du Nord
qu'un vulgaire groupe d'indigènes déclarent la guerre
à leur Etat, à la 13ème économie du
monde.
Même les toursites ne se sentent pas à l'aise. Ce groupe
leur fait un peu peur. D'habitude, le Zócalo est un lieu
agréable où l'on peut flâner, loger, se restaurer,
changer ses travellers' cheque, lire son journal, se faire cirer
les chaussures et prendre en photo le visage exotique et sale de
petites gamines indiennes
en échange de quelques pesos.
Mais, aujourd'hui, les indiens, ils n'ont pas ce regard suppliant
comme quand ils essaient de vendre un bracelet, un tissu ou un sourire...
Non, aujourd'hui, ils ont un regard déterminé. C'est
peut-être un trait de cette fameuse "dignité rebelle"
dont parlent souvent les Zapatistes.
Mais cela les touristes, ils s'en foutent, ce qu'ils aiment, c'est,
à 50, rentrer dans une église comme un éléphant
dans un magasin de porcelaine et perturber une cérémonie
religieuse indigène pour observer avec un air condescendant
ces "indios" si primaires.
D'ailleurs, ils ne veulent pas savoir ce qui se passe, aujourd'hui
sur le Zócalo...
"Ils
vont nous laisser partir", demanda l'un (touriste)
Il avait été notifié aux touristes qu'ils pourraient retourner à
leurs logements le 2 janvier.
"Pourquoi
veulent-ils s'en aller?", répondit avec ironie l'homme au passe-montagne.
"Ils profitent de la ville."
Quelques-uns lui demandaient en criant s'ils pouvaient aller en
voiture à Cancún. Tous voulaient parler en même temps. Un guide
qui voyageait avec un groupe de touristes dit qu'il devait les emmener
aux ruines [mayas] de Palenque. Qu'ils ne pouvaient attendre plus
longtemps.
Marcos
perdit alors patience, mais pas son sens de l'humour. "Le chemin
de Palenque est fermé",dit-il. "Nous prenons Ocosingo."
"Désolé pour les ennuis, mais ceci est une révolution."(1)
Eh
oui, une révolution!
Bien sûr, pas au sens marxiste-léniniste du terme,
mais tout de même...
Ce ne sont finalement que des "indios" et, depuis ce 1er
janvier 1994, les gouvernements mexicains successifs ont montré
comment il traitaient les "indios" qui se révoltent.
Mensonges, harcèlements, disparitions, massacres, racisme,
tromperies, viols n'ont pas eu raison de ces "agités
du bocal" qui ont décidé de se soulever pour
revendiquer leur droit à la vie.
Et
en ce 24 février 2001, ils ont démontré qu'ils
étaient encore au rendez-vous. A 20.000, ils ont défilé
dans les rues de San Cristobal de las Casas. Ce n'était pas
l'armée zapatiste cette fois-ci, mais les bases de l'EZLN,
des civils, des "indios" venant de communautés
de toute la région indigène du Chiapas. Certains ont
même marché plusieurs jours pour venir soutenir les
24 membres de la Commandancia Zapatista dans leur périple
devant les mèner à la Ciudad de Mexico le 11 mars
pour exiger l'application et la transformation en loi des Accords
de San Andrés Larrainzar (2).
Dans
la matinée de ce 24 février, les 24 délégués
zapatistes sont partis dans une ambiance festive des Communautés
de La Garrucha, Oventic, Moisés Gandhi et de La Realidad.
C'est d'ailleurs dans cette dernière que le Subcommandante
Marcos a remis symboliquement ses armes et ses balles.
Avec des centaines de gens, ils se sont alors mis en route pour
participer à la Marcha de la Dignidad Indígena, la Marcha
de el Color de la Tierra.
Lors de cette marche parfois silencieuse, parfois moins et que les
coletos (les blancs) regardaient de leur terrasse, les Zapatistes
se sont mélangés à ce qu'ils appellent la société
civile nationale et internationale.
Et des étrangers, il y en avaient. Et les plus visibles étaient
les 150 Italiens du groupe Ya Basta (los monos blancos) qui
assuraient le service d'ordre de cette première démonstration
de force des Zapatistes.
Parmi les Italiens, il y avait notamment deux députés
de Rifondazione Communista ainsi que des militants qui avaient
été interdits à vie de séjour sur le
territoire mexicain.
Vers
22 heures, les délégués zapatistes ont prononcé
un discours assez virulent contre le nouveau président qui
prétend vouloir la paix et la dignité des indigènes
tout en emprisonnant ceux qui se battent pour que cette dignité
soit effective.
D'ailleurs,
concernant les prisonniers zapatistes, une vingtaine ont été
libérés ce 24 février tandis que 50 autres
ont commencé une grève de la faim.
Normalement,
aujourd'hui, dimanche 25 février, la délégation
passera brièvement par Tutxla Gutierrez, capitale de l'Etat
du Chiapas et où ont été massivement distribués,
sans que l'on en connaisse la provenance, des pamphlets anti-zapatistes
traitant les rebelles de "mafieux", qualifiant le président
Vicente Fox de "gauchiste" et faisant l'éloge de
l'armée fédérale.
A
Tutxla Gutierrez, les Zapatistes seront rejoints par la guatémaltèque
et prix nobel de la paix (1992) pour son combat pour les droits
des peuples indigènes, Rigoberta Menchu. Ils poursuivront
ensuite leur route vers l'Etat de Oaxaca.
(1)
Extrait du livre de M.V.Montalban, "Marcos, el señor de los espejos",
2000.
(2)
Voir, entre autres, "Pourquoi
La Marche zapatiste?"
Pour
plus d'informations (en espagnol):
Sitio
oficial de la salida del E.Z.L.N. a la Ciudad de México
ou
Indymedia-Chiapas
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