Guy Verhofstadt, le Premier ministre belge, ouvre sa deuxième «Lettre ouverte aux alter-mondialistes» par les questions suivantes: «Alors que le monde entier a les yeux rivés sur l’évolution de la crise irakienne, des questions plus urgentes ont disparu des informations. (...) La pauvreté en tant que thème est-elle passée de mode? Ne s’agissait-il pas de la question du siècle: comment éviter une lutte des classes violente entre les plus pauvres et les plus riches de ce monde?» Voilà que pour une fois, le Premier ministre de Belgique fait vraiment dans la transparence. Sauf qu’il serait encore plus pédagogique de formuler ainsi la question du siècle pour les gouvernements bourgeois: comment empêcher que des révolutions mettent fin à la domination des multinationales sur la toute grande majorité de cette planète? La pauvreté existe parce que les plus riches de la planète, les détenteurs des multinationales de l’énergie, de l’armement, des technologies les plus modernes, maintiennent leur domination sur les peuples du monde. Les deux cent vingt-cinq plus grosses fortunes du monde représentent un total de plus de 1000 milliards d'euros, soit l'équivalent du revenu annuel de 47% des personnes les plus pauvres de la population mondiale (2,5 milliards de personnes!) (Ignacio Ramonet, «les guerres du XXIe siècle»). La pauvreté s’aggrave parce que les USA et l’Europe maintiennent au pouvoir des régimes qui rapatrient le bénéfice de leurs ressources naturelles dans les économies impérialistes, en premier lieu américaine. Et la «crise irakienne», n’est pas une diversion au thème de la pauvreté. L’Irak est un symbôle pour les peuples arabes: un pays qui refuse la logique du pillage par les multinationales, qui réinvestit au moins une partie de ses richesses dans le dévéloppement de son infratsructure sociale, industrielle et culturelle. La crise irakienne est l’expression la plus aiguë de la question posée. Et la réponse des gouvernements bourgeois à cette question (comment empêcher les révolutions) est claire: par la guerre, c’est-à-dire par la forme la plus violente de la lutte des classes entre les riches et les pauvres. La plate-forme de la manifestation du 17 novembre reprend comme un écho la préoccupation de Verhofstadt lorsqu’elle conclut: «Il convient de prendre des mesures qui allègent la vie de la population irakienne. Ce n’est que de cette façon que l’agressivité montante vis-à-vis du monde occidental peut s’amenuiser.» Ceci est l’application «non gouvernementale» de la «crise irakienne»: «comment éviter la lutte de classe violente entre les plus riches et les plus pauvres?» . Le peuple irakien a subi une première guerre dévastatrice et vit depuis onze ans sous un embargo féroce imposé par le gouvernement américain, mais aussi par les gouvernements européens où siègent les relais politiques des responsables des ONG et des directions syndicales, socialistes et autres écolos. Tout naturellement l’état de pauvreté absolue du peuple irakien augmente sa haine, non pas de Saddam Hussein, but politique de l’embargo, mais de l’impérialisme américain et européen. En même temps, l’occupation et la guerre d’agression du plus fasciste des sionistes, Sharon, armé par les USA, la dénonciation des résistants palestiniens comme terroristes par les gouvernements européens, augmentent la haine des peuples arabes contre l’impérialisme américain et européen. Cette conscience du caractère barbare de l’impérialisme se répand parmi les travailleurs arabes d’Europe, importés en masse par les patrons quand ils en avaient besoin. Cette conscience gagne la classe ouvrière des Etats-Unis et de l’Union européenne, dont tous les gouvernements sabrent dans les budgets sociaux pour leurs efforts de guerre. Des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes descendent dans la rue, au sein même des métropoles impérialistes pour dénoncer ces plans. Alors, la voix du Premier ministre belge s’élève au-dessus de la mêlée pour rappeler la question essentielle: «Comment éviter une lutte de classe violente entre les plus riches et les plus pauvres?», et quelques têtes pensantes des ONG concoctent vite en petit comité une réponse: «Soulagez l’embargo contre le peuple irakien, comme cela vous pourrez renverser Saddam sans provoquer une lutte de classe violente». Comme première revendication, la plate-forme du 17 novembre appelle le gouvernement belge à faire appliquer la résolution 687 du conseil de sécurité de l’Onu. Vraiment, pourquoi faudrait-il manifester pour cela? Cela fait plus de dix ans que le gouvernement soutient la résolution 687, du 3 avril 1991, fixant les conditions du désarmement de l’Irak. En envoyant ses inspecteurs dans les missions d’enquête en Irak, le gouvernement belge a déjà bien participé au contrôle colonial d’un pays du tiers monde. Rappelons que ce même gouvernement n’hésite pas à arrêter en un seul jour mille pacifistes venus simplement constater la présence d’armes de destruction massive en Belgique! Les revendications 2 et 3 demandent au gouvernement de rejeter l’invasion militaire de l’Irak. Inutile de manifester pour cela. «Le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, a, selon le Financial Times, envoyé il y a trois semaines une lettre à ses collègues allemands et français, Schröder et Chirac, où il appelle à une politique européenne de sécurité et de défense plus indépendante, maintenant que Washington part sur le sentier de la guerre. Tant Schröder que Chirac ont déjà fait clairement savoir qu’ils ne pensent pas à une participation européenne à une possible invasion de l’Irak.» La plate-forme du 17 novembre partage le point de vue des gouvernants américains et européens sur la «menace d’une possible attaque de l’Irak», mais préfère la solution du gouvernement belge à ce conflit. Renverser le régime anti-impérialiste de Saddam Hussein oui, mais sans risquer de provoquer une insurrection générale contre l’impérialisme. Pourquoi dès lors aller manifester le 17 novembre? Pour appuyer le gouvernement belge dans ses divergences avec l’administration américaine? Qu’y a-t-il encore de «non gouvernemental» dans ce point de vue? Les responsables de la plate-forme du 17 novembre refusent de répondre aux nombreuses critiques et d’en changer une lettre. Dans une réunion récente, ils ont également refusé de mentionner les Etats-Unis et Israël comme fauteurs de guerre. Sous la pression, ils avancent quelques mots d’ordre pour la manifestation mais le maintien à la lettre de la plate-forme vide ces mots d’ordre de tout contenu anti-impérialiste. Comme le dit la syndicaliste américaine Gloria La Riva, ceux qui disaient il y a dix ans «War, no; sanctions, yes», disent aujourd’hui: «War, no; inspections, yes». Et entre-temps, 1,6 million d’Irakiens sont morts de ces sanctions. Et comme l’embargo a préparé la guerre, les inspections préparent une nouvelle guerre. (Selon des sources russes l’inspection des « palais de Saddam » devrait servir uniquement à obtenir les coordonnées GPS de Saddam Houssein, ce qui serait inacceptable pour l’Iraq ». Le peuple irakien n’attend pas des travailleurs de l’Union européenne ou des Etats-Unis qu’ils marchent derrière leur gouvernement pour exiger des USA une solution «non sanglante» de la soi-disant menace que serait l’Irak. Le peuple irakien attend de nous que nous défendions son droit à vivre indépendamment des multinationales du pétrole. Il attend de nous que nous réclamions l’arrêt total, immédiat et inconditionnel de l’embargo et que nous lui foutions la paix avec nos inspecteurs et avec toute forme d’ingérence coloniale. Il attend de nous que nous soutenions sa résistance, comme nous soutenons celle du peuple palestinien. Il attend de nous que nous arrêtons la menace Bush qui annonce des guerres « préventives » contre tous ceux qui n’acceptent pas l’hégémonie absolue américaine. Le peuple irakien et tous les peuples arabes attendent des travailleurs européens et américains qu’ils soient leurs alliés dans la lutte contre l’impérialisme. C’est le système mondial qui se nourrit de leur exploitation et de leur oppression communes. Nous manifesterons le 10 novembre parce que tant la plate-forme que l’engagement social et politique des principaux initiateurs garantissent le caractère clairement anti-impérialiste de la lutte ainsi que l’unité de la classe ouvrière européenne avec les peuples du tiers monde. * secrétaire générale du PTB