Manifestation contre le boycott des universités israéliennes : Claude Lanzmann, Alain Finkielkraut, BHL, Alexandre Adler, Arno Klarsfeld s'élèvent contre l' « esprit de Durban » Plus de 2000 personnes étaient rassemblées hier 6 janvier en fin d'après-midi place Jussieu, devant l'université Paris VI – Pierre et Marie Curie, pour dénoncer la motion votée le 16 décembre par le Conseil d'administration de l'université, et qui demande à l'Union européenne de ne pas renouveler son accord-cadre de coopération universitaire avec Israël. Réunis, de grands intellectuels – Alain Finkielkraut, BHL, Alexandre Adler… – et des politiques : DSK, Pierre Lellouche, Serge Blisko…Compte-rendu et extraits des principales interventions. Ce qui prévaut chez les organisateurs, c'est le soulagement. Soulagement surtout que le rassemblement ait pu se tenir sans incident. La veille, le président de l'UNEF, le principal syndicat étudiant, qui appelait lui aussi à manifester, nous avait confié ses inquiétudes. Yasser Fichtali craignait une contre-manifestation des partisans du boycott. Il redoutait aussi d'éventuelles bagarres déclenchées par des mouvements juifs d'extrême-droite. Rien de tout cela n'a eu lieu. Quelques dizaines de partisans du boycott ont bien essayé de perturber le rassemblement. Mais ils sont restés derrière les grilles de Jussieu, séparés des manifestants par un épais cordon de CRS. Les perturbations se sont limitées à quelques slogans : « Bush, Sharon, assassins ! ». Seul incident notable : le discours de l'orateur de La Paix Maintenant a été accueilli par de copieux sifflets. Au-dessus de la tribune, une large banderole de l'UEJF rappelait le mot d'ordre du rassemblement : « Pour la coopération des savoirs. Contre le boycott ». Outre les intellectuels qui se sont exprimés, on pouvait noter la présence de quelques personnalités politiques : l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn, venu avec son épouse Anne Sinclair, le député PS et maire du 13ème arrondissement Serge Blisko, le député UMP de Paris Pierre Lellouche, le conseiller de Paris Jean-Yves Bobot (membre du Conseil d'administration de Paris VII, qui examinera aujourd'hui une motion similaire à celle votée à Paris VI). Dans la journée, le député UMP Claude Goasguen et l'ancien ministre de la Culture et de l'Education, le socialiste Jack Lang, avaient publié des communiqués condamnant la motion de Paris VI. Au cours d'une brève intervention, le président de l'UNEF, Yasser Fichtali, regrette le vote de la motion : « Je crois que cette mise à l'écart décidée par l'université de Paris VI fragilise malheureusement le camp de la paix » (allusion aux engagements pacifistes fréquents chez les universitaires israéliens). Dans une formule saisissante, le président du CRIF, Roger Cukierman, résume : « Vous croyez être devant Paris VI ! a-t-il lancé à l'intention du public. Vous vous trompez ! Vous êtes à Durban ! Vous êtes à Durban-sur-Seine ! ». La référence à la conférence contre le racisme organisée l'an dernier par l'ONU à Durban, en Afrique du Sud, revient plusieurs fois dans les discours des différents orateurs. Cette conférence avait été ternie par les nombreux dérapages antisémites que s'étaient autorisé certains de ses participants, sous couvert de critique de la politique du gouvernement israélien et du sionisme. Ce qu'ils ont dit : Alain Finkielkraut : L'esprit de Durban envahit les campus « Pour les organisations terroristes qui envoient leurs bombes humaines se faire exploser dans les autobus, les cafés, les restaurants, devant les synagogues ou sur les trottoirs des villes israéliennes, il n'y a pas d'Israélien innocent. Israélien innocent est pour eux une contradiction dans les termes. De même pour les partisans du boycott, et plus précisément pour le conseil d'administration de Paris VI. […] Cette mise en quarantaine et la présomption d'homogénéité sur laquelle elle repose rappelle les heures les plus abjectes de notre histoire. « Mais gare aux analogies ! Ce qui motive l'action de ces administrateurs et de ces professeurs, ce n'est pas le racisme, c'est l'antiracisme ! Ce n'est pas le fanatisme identitaire, c'est la fureur humanitaire ! Ce n'est pas la haine des Juifs, c'est l'identification avec les Palestiniens ! […] Ils sont ivres de justice, imbus d'humanité. Et c'est grisés par la certitude d'être engagés dans le grand combat démocratique pour l'exclusion de l'exclusion qu'ils réinventent la culpabilité, voire la criminalité collective. « A voir l'esprit de Durban envahir nos campus d'universités, à voir la haine s'adosser aux droits de l'homme et le discours antiraciste justifier la mise au ban de tout un peuple, on reste sans voix, on est épouvanté. » Message du maire de Paris, Bertrand Delanoë (lu par l'adjoint à la vie étudiante, David Assouline) « La décision de Paris VI me paraît constituer une acte choquant et une tragique erreur. Les représentants de la mairie de Paris siégeant au sein de tous les conseils d'administration des universités de Paris condamnent et condamneront ce type d'initiative » Alexandre Adler : Le boycott, ça ne marche pas ! « Le terme boycott est un mot abject qui nous replonge dans les souvenirs des années 30. Ouvrez n'importe quel livre sur l'histoire du nazisme ! Voyez les photos ! « Nous n'achetons pas chez les Juifs ! ». Voilà comment on a commencé. Bien sûr, Israël et peuple juif, ce n'est pas tout à fait la même chose. Ne faisons pas d'amalgame ! Mais quelle insensibilité ! […] Après avoir connu le massacre et la spoliation de millions de Juifs sur la terre européenne, d'avoir cette réponse, « N'achetons pas chez les Juifs ! », qui vient du cœur de l'Université française, c'est inadmissible ! « Mais n'ayez pas peur ! Les boycotts, ça ne marche pas. En 1946, le général Cyril Barker, un homme fin, qui aurait mérité de siéger au conseil d'administration de Paris VI et qui commandait les troupes britanniques en Palestine (c'était la Palestine à l'époque !), avait interdit à ses troupes d'acheter ou d'entrer dans des établissements juifs. Et il avait accompagné cela d'une remarque qui montrait sa finesse d'analyse. Il avait dit : « Il faut taper sur les Juifs là où ça leur fait mal : l'argent. Il faut boycotter les commerces juifs en Palestine. Aucun soldat britannique dans un commerce juif. Eh bien deux ans plus tard, Cyril Barker était de retour dans le Sussex, et la Palestine s'appelait Israël ! « Même en Allemagne, les boycotts n'ont pas marché. Il a fallu spolier les gens. […] Le père de Billy Joel, ce grand artiste américain que vous connaissez peut-être, était le plus grand entrepreneur de meubles en Allemagne. Il a été l'objet d'un boycott de 1933 à 1938. Son entreprise était encore parfaitement profitable en 1938, quand on l'a emmené dans un camp de concentration pour l'assassiner et le spolier. Alors si vous voulez boycotter, continuez ! Il faudra nous spolier, prendre nos biens, faire des interdits professionnels. Sinon, ça ne marchera pas.[…] « Alors vous voyez, je ne suis pas inquiet pour Israël. Je suis inquiet pour mon pays, la France, quand je vois que des intellectuels français se laissent entraîner dans des opérations pareilles, qui sont un signe parmi d'autres de la maladie de notre société ». Bernard-Henri Lévy : L'ignorance scandaleuse des universitaires de la honte « Nous sommes tous ici accablés et en colère. Je suis en colère du deux et deux mesures de ces gens que l'on n'a jamais entendu protester contre les accords de coopération avec les universités chinoises à l'heure de l'occupation du Tibet, que l'on n'entend pas protester contre les accords de coopération avec les universités russes à l'heure où on rase Grozny, que l'on n'entend pas protester contre les massacres au Soudan et qui réserve leur compassion aux 2070 morts palestiniens, compassion justifiée bien entendu, mais terriblement unilatérale, comme s'il n'y avait que ces morts-là, comme si Israël était le seul coupable et comme si elle devait être l'objet d'une réprobation universelle. « Je suis en colère devant l'ignorance de ces professeurs qui feignent de penser que les universités israéliennes seraient un bloc enrégimenté derrière je ne sais quelle politique, alors que nous savons que ce sont des lieux de débat, de libre discussion, d'insubordination intellectuelle et morale. Ignorance crasse ! Ignorance scandaleuse ! Ignorance tragique ! […]Si les universités palestiniennes ont une chance de s'en sortir, si la démocratie à une chance de gagner dans cette région du monde, c'est en partie à ces universités israéliennes que l'on voudrait aujourd'hui boycotter qu'elles le devront. […] « Je suis choqué de l'extraordinaire amnésie de ces universitaires de la honte. L'Université française n'a pas bronché, il y a cinquante ans, quand on a exclu de ses rangs et de son sein des grands savants qui s'appelaient Emile Benveniste ou Jean Wahl ». Claude Lanzmann (message lu par Bernard-Henri Lévy) : Boycotter les boycotteurs « Il y a pour moi dans le mot boycott une connotation sinistre et insupportable dont se seraient avisés les vertueux bureaucrates du conseil d'administration de Paris VI s'ils avaient eu seulement un peu de savoir. Le 1er avril 1933, les nazis décrétaient sur tout le territoire de l'Allemagne le boycott des entreprises et des commerces juifs. Aux portes et aux vitrines de chaque magasin juif furent placardés d'innommables slogans et mots d'ordre : « N'achète pas chez les Juifs. Les Juifs sont notre malheur ». les temps ont-ils changé ?Quoi qu'ils prétendent, les boycotteurs ne pourront pas faire que les Israéliens mis par eux au ban de l'humanité ne soient pas aussi des Juifs. » Fustigeant « ces bureaucrates mécanisés et manicheïstes en proie à la langue et à la pensée de bois », Lanzmann demande : « Ont-ils eu un mot de condamnation pour l'attentat de l'université de Jérusalem ? » […] La motion doit être révoquée publiquement et sans délai. Nous attendons du recteur qu'il s'y emploie personnellement. Si cela ne devait pas être, nous appellerions alors de toutes nos forces et avec tous les moyens dont nous disposons au boycott des boycotteurs. » Arno Klarsfeld : Derrière la façade de verre de l'antisionisme, l'antisémitisme. « Au sein des universités, cela fait déjà plus de 35 ans que gauchistes, communistes et antisémites militent activement contre les différents gouvernements d'Israël. En fait ils militent contre l'existence même de l'Etat d'Israël. Ils militent contre l'Etat juif. Ils n'ont pas digéré la chute du colosse soviétique et la défaite universelle du communisme et reprochent aux Juifs d'avoir sapé cette idéologie en combattant inlassablement pour la liberté et pour la démocratie. « Nous lançons un appel pour que les autres universités ne suivent pas cet exemple exécrable et que le conseil d'administration de Paris VI se réunisse à nouveau, au grand complet, pour annuler cette résolution. (Acclamations) Entre nous, c'est un vœu pieux ! (Rires. Quelques personnes crient : « Béréziat, démission ! » Gilbert Béréziat est le président de Paris VI, NDLR). « A travers les âges, il y a une continuité dans le comportement de l'Université de Paris à l'encontre des Juifs. Sous Saint-Louis, le chancelier de l'Université de Paris a prononcé la condamnation du Talmud et avait fait dresser un grand bûcher en place de Grève où des milliers de Talmud avaient été brûlés. (Sifflets) Il y a soixante ans, l'Université de Philippe Pétain boycottait les Juifs en se séparant des professeurs et des enseignants juifs et en fermant ses portes aux étudiants juifs (sifflets). A l'époque, aucune protestation collective ou individuelle d'universitaires non juifs n'est passée à la postérité. Aucun recteur d'académie, aucun président d'université, aucun professeur d'université n'a protesté.[…]Aujourd'hui, une des universités de Paris s'en prend à l'Etat juif et réclame qu'il soit privé d'échanges universitaires et scientifiques. Une fois de plus, l'Université française va-t-elle se déshonorer face à l'Histoire, en exprimant derrière la façade qu'on sait de verre de l'antionisme, un véritable antisémitisme ? Alors vive la France, celle qu'on aime, vive la démocratie et Am Israël haï ! »